lundi 14 novembre 2011

Les urnes et les marchés (136ème épisode)


13 novembre 2011

Les marchés élisent désormais leurs représentants et leurs bulletins de vote sont les taux d’intérêt sur la dette publique nationale. Exit Papandréou et Berlusconi. Entrent Papademos et Monti. C’est peu ou prou ce qu’a déclaré le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), Jean-Pierre Jouyet dans un entretien au Journal du Dimanche. Il a aussi comparé la dégradation de la note de la France sur sa dette souveraine, si elle venait à se produire –ne paniquez pas, c’était juste un exercice d’évacuation, jeudi dernier à S&P- à un Stalingrad financier. Il ajoute que ce n’est qu’une question de temps avant que les peuples se révoltent.

Pour l’instant les rues italiennes se gorgent et débordent de liesse citoyenne. Berlusconi a pris soin de faire adopter les volontés budgétaires de l’UE par le Parlement avant de se retirer. Ruisselera bien l’austérité qui rassérénera les banquiers. L’homme qui valait 9 milliards se dit en repli mais pas battu ; il est retourné à la tête du gouvernement par trois fois et a échappé à 2500 procès.

En Espagne, M. Rajoy s’apprête à reconquérir le pouvoir dimanche prochain et à imposer une politique d’austérité, avec le même zèle qu’à une autre époque fût érigé à Paris le Sacré Cœur pour faire expier les pêchés des Communards. La gauche non socialiste escomptait qu'au bout de six mois, le berceau des Indignés viendrait se mettre en travers des projets revanchards de la droite conservatrice. L’éternelle leçon toujours apprise et sans cesse oubliée est qu’il faut occuper les urnes, tout le reste n’est que vergeture d’une société grosse de colère qui obtempère le dos au mur des Fédérés.

Ce n’est pas un beau mystère du Saint Esprit que le mouvement Occupy Wall Street n’ait toujours pas disparu, malgré le froid, les dérapages internes et les échauffourées avec les forces de « l’ordre ». Le sentiment de la population « respectable » est que « ces gens qui campent » ont peut-être tort dans la manière dont ils expriment leur colère mais qu’ils ont bien raison d’être furieux. J’ai surpris ma coiffeuse, 35 ans mariée deux enfants, dans une conversation qui ne m’était pas destinée. Elle avouait à son amie : « Je n’ai pas été aussi pauvre depuis que j’avais 18 ans et que je commençais comme apprentie ». Elle travaille pourtant depuis des années dans un salon chic de San Francisco.

C’est sur l’appauvrissement sans précédent de la classe moyenne aux Etats-Unis et dans les pays de l’Europe périphérique que se développe, à la faveur de la cruauté du capitalisme la prise de conscience de la rupture du pacte néo-fordiste. Une production de masses reposait sur une consommation de masses et le mariage survivrait dans l’intérêt des débouchés. Mais l’économie de casino s’est débridée du besoin de financer la production et l’investissement.

Il faut occuper les urnes, tout le reste n’est que déconfiture. Derrière la vertu affichée ou la prise de conscience du poids de la dette laissée à nos successeurs, la limitation des déficits et de la dette est utilisée politiquement par ceux-là mêmes qui prônaient naguère la dérégulation, avec la même logique, malgré des contextes différents, visant à contester l’intervention publique dans l’économie.

La croyance dans l’impuissance du pouvoir politique est la ruse du Diable qui fait croire qu’il n’existe pas pour continuer son pétrin. Certes le temps de la démocratie n’est pas celui de la corbeille de Paris ou Dublin mais les solutions politiques à la crise existent encore. Il suffit soit que la BCE accepte de devenir un prêteur en dernier ressort et de refinancer la dette des Etats sans limitation, comme la Fed. Soit que le FESF devienne une banque comme les autres et se refinancer auprès de la BCE avec un effet de levier. Soit que l’UE aille au bout de la logique dans laquelle elle est déjà engagée de solidarité financière, et émette les bons d’un Trésor européen. Dans ce contexte, la réélection d’Obama en 2012, la victoire de la gauche en France puis en Allemagne pourraient marquer un nouveau cap. L’idée que les Américains se réjouissent des malheurs de l’euro est un autre artifice de l’ange déchu. Nous nous sauverons unis contre les marchés.

Gabrielle Durana

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