10 février 2009
Hier, j’étais dans le BART, direction Richmond. De temps en temps, j’abaissai mon journal pour vérifier que je n’avais pas raté la station de Berkeley. Soudain deux gamins d’une dizaine d’années nous interpellent les deux inconnues et moi sur la banquette. Ils nous montrent une sorte de pétition sur papier jaune et nous demandent de l’argent. Je me dis que j’ai dû mal comprendre. Pendant que ma voisine du fond de son ipod fait non d’un geste, je leur propose des carambars (« French candies »). Très dignes, ils déclinent et me remontrent leur feuille jaune. L’autre femme leur dit que ce n’est pas la peine d’insister. Ils partent. J’ai un air tellement ahuri qu’elle me demande ce qui m’arrive. Comment lui expliquer que quand j’étais adolescente, je parcourais les wagons entre Juvisy et Gare de Lyon pour faire signer mes pétitions sur le droit de vote des immigrés ? « Je n’ai jamais vu, une chose pareille » dis-je. « Qui est-ce qui les surveille ? » L’autre dame a retiré ses écouteurs. « Moi, je les vois tout le temps » Bon, c’est vrai que je prends le BART une fois par an mais je n’ai pas rêvé, ils devaient être genre en CM2. «Ils lèvent des fonds pour l’éducation physique », ajoute-t-elle. A 17h00 la foule les protège. « Je n’aimerais pas que mes enfants aient à faire la même chose » concède la première. Ainsi va le train de l’école publique en Californie.
Depuis une semaine, le pouvoir exécutif négocie le Plan Obama de relance avec les chambres. Si les Démocrates ont la majorité dans les deux hémicycles, cela ne suffit pas à faire passer le stimulus package comme une lettre au Congrès. Dans le système américain, la chambre haute, le Sénat a la faculté d’empêcher ou tout le moins de ralentir l’adoption d’une loi, sauf si un parti dispose d’une majorité qualifiée (supermajority) des trois cinquièmes, soit 60 votes sur 100. Il manque aux Démocrates deux petites voix pour empêcher les Républicains de faire de l’obstruction systématique (du filisbuster, littéralement de la piraterie parlementaire), mais une voix est une voix est une voix.
Justement, les marchés financiers avaient fermé en hausse vendredi dernier, alors que le vote sur le plan de relance était ajourné. Alors que l’économie a perdu 3 millions d’emplois en 2008 et encore 600.000 en janvier 2009 et que les marchés financiers recommencent à peine à fonctionner, la nouvelle administration Obama ne pouvait pas risquer l’enlisement. Par ailleurs, le nouveau Président appelait de ses vœux une relance soutenue par delà les Démocrates, au nom du bipartisanship, un concept made in USA proche de l’idée d’unité nationale.
Le Parti Républicain rappelait la discipline budgétaire (fiscal responsibility) et exigeait des réductions d’impôts. Après un numéro d’hypnose, tout le monde était censé avoir oublié comment on en était arrivé là. Dehors leurs militants défilaient avec des panneaux roses en forme de cochon et dénonçaient la gabegie. (En américain, pork ou pork barrel désignent le clientélisme ou ce que les Québécois appellent joliment « l’assiette au beurre »).
L’une des conditions essentielles à la réussite du plan relance étant de trouver des projets qui peuvent être démarrés immédiatement (shovel ready, pour lesquels la truelle est prête), des maires avaient envoyé tous les projets qui dormaient dans leurs tiroirs. Le Wall Street Journal a publié les projets les plus absurdes, des néons de Las Vegas au terrain de golf pour trous de frisbees à l’assurance contre le pollen. En fait les tocades s’élevaient à 19 milliards de $ mais les Républicains rebaptisaient le plan de relance « l’arbre de Noël ».
“Obtenir une majorité de 80 voix sur une loi qui n’améliore pas le sort de l’Américain moyen serait une erreur bien plus grande que d’en faire passer une avec 61 votes pour faire repartir l’économie” déclarait Charles Schumer, le numéro 3 du Parti Démocrate. La recherche d’un consensus très large conduit en effet à se replier sur le plus petit dénominateur commun. Nancy Pelosi, la Speaker de la Chambre des Représentants est bien allée chercher les voix une à une. Les trois Républicains qui aujourd’hui ont voté pour le plan de relance ont obtenu que 35% des sommes dépensées le soient au titre des baisses d’impôts. Le plan de 925 milliards a aussi été ramené à 838 milliards.
Voici une spectroscopie du plan de relance d’Obama.
Sur le graphique, vous pouvez constater que les principales coupes budgétaires destinées à plaire aux Républicains sont intervenues dans deux domaines : l’éducation et les aides aux Etats. A prendre ou à laisser.
De son côté, depuis la semaine dernière Barack Obama a réarmé son sourire de prêcheur et ses talents de communicateur en chef. Vendredi dernier, il faisait de la pédagogie en Virginie. « On dit que le plan de relance est un plan de dépense. C’est l’idée. » Rires dans l’auditoire. Aujourd’hui, il a utilisé son avion supersonique Air Force 1 pour aller écouter de gens ordinaires, à Fort Myers en Floride ; la ville qui compte le taux le plus élevé de saisies immobilières des Etats-Unis. Rencontre à la mairie, entrée libre. Une femme noire se met à pleurer et supplie le Président de l’aider à trouver un toit « pas seulement un parc mais un lieu où je puisse faire la cuisine, où j’ai une salle de bains ». Barack Obama lui demande son nom, déclare que des milliers de gens sont dans la même situation (2,3 millions de personnes en sursis d’expulsion) et lui dit que son équipe va l’aider. Un jeune homme prend le micro. Il est étudiant et travaille chez McDonald’s depuis quatre ans et demi. Il interroge le Président sur ce qu’il compte faire pour que des gens comme lui aient une couverture santé. Barack Obama lui demande ce qu’il étudie. « Dans la communication pour travailler à la télévision ou devenir disc-jockey. » Le Président tend le miroir à l’Amérique et si l’image n’est pas jolie, jolie, Washington doit quand même la regarder aux informations.
Le plan de relance a été adopté par 61votes pour et 37 votes contre.
Malgré cela, la Bourse terminait en chute de 4,62% à 7888 points.
Si vous vous souvenez, le stimulus package aurait dû être adopté vendredi dernier, sauf que quand Nancy Pelosi avait compté ses ouailles, certains Démocrates (ceux qu’on appelait jadis les Démocrates de Reagan et qui aujourd’hui se regroupent sous l’appellation de la Coalition du Chien Bleu –the blue dogs) ruaient dans les brancards. L’échec du premier plan de sauvetage en octobre hantait les couloirs du Sénat ; on remit donc les choses sérieuses à mardi.
Aujourd’hui c’est mardi et Timothy Geithner avait rendez-vous à la Chambre des Représentants pour convaincre la Commission des Finances de débloquer la deuxième moitié du TARP. Le plan de relance (stimulus package) c’est sexy, Barack s’en occupe. Le sauvetage du système financier (le bailout), tiens Timothy, tu t’en charges.
J’imagine que Hank Paulson devait être rivé à son téléviseur dans sa maison dans les Hamptons ou sur une île à Dubaï. Voyons si tu débrouilles mieux que moi.
On attendait le Général Patton. Les jours précédents, la nouvelle qu’il faudrait dépenser un trillion pour recapitaliser les banques avait tonné moins fort que l’annonce qu’il faudrait dépenser un deuxième trillion pour la bad bank, rebaptisée « aggregator » (littéralement, compacteur) comme dans le dessin animé Wall-E.
Aujourd’hui, le Treasury Secretary resta dans les généralités ou dans les promesses, expliquant qu’une structure mixte, alliant capitaux privés mais avec des garanties publiques rachèterait les verrines empoisonnées. Ah, et 50 milliards, en-fin, pour les ménages sur le point d’être expulsés. En attendant plus, on ferait courir les banques sur un tapis roulant et on vérifierait leur état cardiaque (stress tests).
Le rire de Paulson a raisonné jusqu’à Capitol Hill.
Pas de détail, pas d’architecture, on surpromet et on souslivre. Geithner non plus n’avait pas répondu à la question : « Comment donner un prix aux actifs pourris ? » Wall Street a répondu avec 5% de chute. Essaie encore.
J’ai oublié M. Orphanides et le roquefort. Demain je soulève la cloche.
Gabrielle Durana
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