jeudi 5 février 2009

Chronique # 65: la bonne paie et la mauvaise banque


5 février 2009

Je marchai vers Jussieu quand dans une reproduction warholienne, des visages rouges et bleus de Barack Sarkozy me terrorisèrent nuitamment. Je restai clouée au bitume à contempler le grillage, déchirée entre la fascination pour l’art de la récup’ et un désir orwellien de hurler. Je furetai dans mon sac, en sortis une clef, traversai la rue et perçai les affiches déjà lacérés. Haletante, je hâtai le pas.

Revenue à San Francisco, j’allume l’écran plat de mon chéri pour me mettre à la page des 100 jours d’Obama. Tiens, les sortis sont rentrés de vacances ! La morgue intacte, ils dispensent des leçons aux usurpateurs, qui tâtonnent pour trouver le micro et les dépendances. Il faut baisser les impôts et l’économie repartira. Il ne faut pas fermer Guantanamo car ces gens-là nous détestent. Vraiment ?

Au nom des droits de la minorité, Les Républicains lors des audiences de confirmation du Congrès font subir à chacun des ministres d’Obama une batterie de questions plus humiliantes les unes que les autres ; comme s’il fallait rappeler à ces autres millionnaires, qui ont trahi leur classe en travaillant pour les Démocrates que le pouvoir n’est ni de gauche, ni de gauche, il est à eux.

Hier, en remplacement de Bill Richardson, le gouverneur du Nouveau Mexique tombé au champ de la pureté, Barack Obama nommait comme Secrétaire d’Etat au Commerce un Républicain, Judd Gregg, qui treize ans auparavant prônait la suppression de ce même ministère. La journée se terminait aussi par deux « retraits de candidature ». Que les Démocrates se prennent les pieds dans la compétence au nom de la morale, telle qu’enseignée par ceux qui ont ouvert des camps de concentration à deux encablures de Miami a quelque chose d’intolérable. Apprendrons-nous jamais ?

Hier aussi, Timothy Geithner, le nouveau Treasury Secretary, rescapé il y a une dizaine de jours d’une laborieuse audience sur ses arriérés d’impôts du temps où il travaillait au FMI, annonçait qu’à l’avenir, les banques qui recevraient de l’argent du TARP devraient limiter la rémunération de leurs dirigeants à 500.000 dollars par an, quand le Président américain en gagne 400.000. Puis Barack Obama montait à la tribune :

« Nous ne dénigrons pas la richesse. Nous ne reconnaissons pas le mérite à contrecœur de ceux qui parviennent au succès ; nous croyons que le succès doit être récompensé. Mais ce qui dérange les gens -avec raison- ce sont les dirigeants qui sont récompensés pour leur échec. Particulièrement quand les récompenses sont subventionnées par le contribuable américain. Que les dirigeants s’octroient ce genre de rémunération par temps de crise ne relève pas seulement du mauvais goût, c’est aussi une mauvaise stratégie, que je ne tolèrerai pas en tant que Président ».

Décodons pour ceux qui n’ont pas Canal +. Au lendemain de la faillite de Lehman Brothers, la chute de l’astéroïde Merrill Lynch avait été évitée de justesse grâce à la reprise de la banque d’affaires par Bank of America, comme si Carrefour avait sauvé Louis Vuitton. L’absorption était bénie par le gouvernement qui promettait à Bank of America des fonds publics pour recapitaliser Merrill Lynch. Entre la signature du deal le 16 septembre et la consommation du mariage le 31 décembre 2008, M. Thain, le PDG de Merrill Lynch a fait distribuer 4 milliards de bonus à ses banquiers stratosphériques.

Donc grosse colère des génies de la finance, insultés par tant d’avarice. Si vous croyez qu’avec des salaires pareils, vous allez attirer les meilleurs dirigeants, vous méprenez Wall Street pour l’ordre franciscain.

En réalité, pas de panique, le dispositif s’applique aux cas « d’assistance exceptionnelle » (exceptional assistance), comme AIG ou Citigroup, quand le gouvernement doit injecter plusieurs milliards en quelques heures afin d’éviter la faillite. Pour les recapitalisations « normales » (sic) avec l’argent du contribuable, pas de souci, le ciel est la limite.

Il y a donc deux discours. Devant le grand public, on affiche de la sévérité et un désir de punir. Mais entre gens éduqués qui comprenons qu’il faut donner du grain à moudre à Billancourt dans l’Ohio, nous n’allons pas nous chamailler.

Ce double langage est bien illustré par le débat sur les nationalisations et la « bad bank ».

D’octobre à janvier, Hank Paulson avait dépensé la moitié du TARP, soit 350 milliards pour stabiliser le système financier. Pourtant début 2009, le Dow Jones a du mal à clouer un plancher sous les 8000 points de base. Les banques, même les sages comme Bank of America ou JP Morgan viennent à confesse, et les pêchés ne sont pas véniels. Les actifs pourris s’amoncellent, tout semble à recommencer. Que faire ?, se demande la nouvelle équipe de conseillers économiques.

Il va falloir nationaliser, s’excusent ceux qui sous Clinton avaient aussi dérégulé. Mais comme les fonctionnaires sont de piètres gestionnaires, comme vous ne voulez pas d’une banque qui ressemble à la sécurité sociale, on pourrait aussi revenir au Plan Paulson initial et délester toutes les banques de leurs actifs pourris, les concentrer dans une structure de défaisance, la « mauvaise banque » (bad bank), comme aux temps du Crédit Lyonnais[i], puis recapitaliser. La bad bank garderait les actifs jusqu’à ce qu’ils arrivent à maturité et les bilans des banques seraient instantanément désinfectés.

Il existe une autre solution. Puisque le but à atteindre est d’avoir des banques aux bilans immaculés, en qui on peut avoir confiance, et qui prêtent, au lieu de socialiser les pertes, on pourrait utiliser l’argent public pour créer une ou plusieurs bonnes banques (good bank).

Garantir les pertes futures de Citigroup comme l’a fait Paulson la semaine de Thanksgiving aurait dû transformer la vieille institution en une nouvelle banque. Mais l’incapacité de la Royal Bank of Scotland au Royaume-Uni ou de Citigroup aux Etats-Unis à lever des fonds, même avec des injections concomitantes de fonds publics montre que la confiance des investisseurs privés s’est déjà évaporée.

D’où la solution de la good bank. Vous prenez l’argent public, vous créez une, deux, trois banques nouvelles qui peuvent prêter avec leur capital propret. En outre, les capitalistes ne sont ni fous ni fauchés, comme il y aurait de la transparence, ils voudraient probablement participer pour être des profits futurs.

Je rêve ?

En 1791, sous l’impulsion d’Alexander Hamilton était née la First Bank of the US qui avait consolidé les dettes de la guerre d’Indépendance, unifié la monnaie des treize colonies et recommencé à financer l’économie. En 1816, sous James Madison, avait été fondée la Second Bank of the US pour refonder la monnaie en proie à l’hyperinflation. Plus tard le président Jackson avait éviscéré l’institution qu’il jugeait trop puissante. Nous pourrions donc imaginer une troisième expérience, la Post Bush Bank, qui recevrait le quart du TARP pour prêter aux PME, aux Etats, aux collectivités territoriales et aux primo-accédants. On achève bien les chevaux, alors pourquoi pas les banques ?

La prochaine fois, je vous parle du Roquefort et de M.Orphanidès, le gouverneur de la Banque de Chypre.

Gabrielle Durana
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[i] http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/09/chronique-n3-le-crdit-lyonnais.html

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