mardi 24 février 2009

Chronique # 69: le jardin oriental


Des immigrés chinois licenciés campent près de leur consulat à Bucarest.

24 fevrier 2009

Les Européens sont en train de découvrir qu’ils ont cultivé leur variante des subprimes dans leur jardin de l’Est. Le cas autrichien est emblématique. Cinq banques, la Raiffeisen, la Bank Austria, l’Erste Bank, la Osterreichniche Volksbanken et l’Hypo Alpe Adria ont prêté l’équivalent de 2/3 du PIB autrichien à la Russie, l’Ukraine, la Hongrie, les Républiques Baltes, la Pologne et la Serbie. Ces 300 milliards d’investissements (230 milliards de prêts et 70 milliards de prises de participation) ont été libellés en euros ou en Francs suisses mais comme les débiteurs gagnent de quoi les rembourser en monnaie locale et qu’elles ont toutes été dévaluées, le montant de leurs traites a explosé. Pourquoi ces derniers ont-ils pris des emprunts dans une monnaie étrangère ? Parce que les taux d’intérêts étaient beaucoup plus attractifs et que Nostradamus n’avait pas prévu le tsunami. Ne jetez pas la pierre aux Autrichiens, la Société Générale, Commerzbank et ING Groep sont les suivants à devoir montrer la couleur de leur hors-bilan.


Comment en est-on arrivé là ? Dans les années 90, l’Europe des 15 avait végété dans une croissance molle. Puisqu’on ne pouvait pas augmenter le taux de profit, l’idée fut de trouver de nouveaux clients. Aux Etats-Unis, on alla les chercher chez les ménages modestes et les minorités, en Europe, dans l’ancien bloc soviétique. Je me souviens d’avoir pensé à l’époque que s’il s’agissait de leur apporter le même niveau d’aide au développement que nous avions fourni à l’Espagne, au Portugal et à l’Irlande, nous n’y arriverions jamais. Puis devant le caractère inéluctable de l’élargissement, je finis par me résigner en pensant les Etats font toujours la politique de leur géographie et que le désir des nouvelles Républiques libres d’être réintégrés dans leur famille culturelle d’origine était légitime. En fait, le pacte fut beaucoup moins généreux que celui octroyé aux vagues précédentes de nouveaux adhérents : à nous leurs débouchés et la main d’œuvre bon marché, quant à votre liberté d’installation et aux fonds structurels ils seraient chiches, signez.

Quinze ans plus tard, la crise distingue les forts des faibles, révèle un développement insuffisant des tous derniers admis et met en lumière une codépendance du système financier occidental vis-à-vis de ses franges orientales, qui n’a rien de bénigne.

Le Traité de Maastricht créant l’euro, signé en 1992 et adopté par référendum en 1995 posait une règle de responsabilité budgétaire. Vous pouvez dépenser selon certains critères –les critères de Maastricht devenus Pacte de stabilité- et si vous exagérez, vous serez mis au pain et à l’eau jusqu’ à ce que vous ayez fait maigrir votre déficit.
L’article 103 –nouvelle nomenclature[i]- dispose : « La Communauté ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique. ».
Le principe est donc l’absence de solidarité financière en matière budgétaire ; ce que les commentateurs anglo-saxons appellent « The no bailout clause ». Le plan de sauvetage du système financier en octobre 2008 a été appelé (en partie à tort) « the Wall Street bailout ».

Mais au deuxième alinéa de l’article 100, le Constituant européen dispose : « Lorsqu'un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d'événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière communautaire à l'État membre concerné. Le président du Conseil informe le Parlement européen de la décision prise. »

Il n’est pas étonnant qu’une soupape de sécurité existe. Il est nécessaire d’aménager des mesures exceptionnelles pour des époques exceptionnelles.

En même temps, s’il suffit de laisser la situation s’aggraver pour que les autres soient forcés de vous venir en aide, nous achoppons sur le problème du « risque moral » (moral hazard).

Illustration du dilemme par un incroyable moment de télévision la semaine dernière.

Le jour où Barack Obama annonçait son autre plan de sauvetage, en faveur des ménages surendettés dans leur logement déprécié, Rick Santelli, l’un des journalistes les plus prééminents de la chaine financière CNBC prit à témoin les traders de la Bourse de Chicago et le reste des téléspectateurs. « Le gouvernement encourage les mauvais comportements, se mit-il à hurler. […] Ici, c’est l’Amérique ! Combien d’entre vous voulez payer l’emprunt de votre voisin qui a acheté une maison avec une salle de bains de trop et qui n’a pas les moyens de payer ses traites ? Levez la main ! Président Obama, entendez-vous ? Vous savez, Cuba avait de belles maisons et une économie à moitié décente. Ils ont migré de l’individuel vers le collectif. Maintenant, ils roulent en Chevy modèle 1954. »

[http://www.youtube.com/watch?v=bEZB4taSEoA dans des pays où Utube n’est pas banni]

Pour la petite histoire, le journaliste est toujours employé par Wall Street TV. Mais revenons à mes brebis européennes égarées. Les Constituants ont été suffisamment exhaustifs pour inclure aussi une disposition qui permettrait de venir en aide à un pays non-membre de l’Union, si le problème affectait la balance des paiements d’un Etat membre.

Par exemple : si le Royaume-Uni avait été membre de la zone euro et que ses investissements en Islande avaient mis en péril ses banques, ou si l’Autriche avait investi l’équivalent de 2/3 de son PIB en Ukraine avec l’issue que l’on connait.

Alors la situation a-t-elle suffisamment empiré pour actionner le dispositif de l’article 100 ?

Charles Wyplosz pour qui je garde un souvenir enchanté parce que j’ai étudié et appris à aimer la macro-économie sur son manuel, après avoir usé tant d’autres manuels qui ne m’ont laissé aucune trace ni plaisir, déclarait il y a deux jours que pour arriver à surmonter le rejet du risque moral, il faudrait peut-être attendre qu’un Etat européen soit en cessation de paiement, pour que les autres et leurs opinions publiques voyant le désastre acceptent de mettre la main au portefeuille. « De même qu’il a été nécessaire de laisser Lehman Brothers faire faillite avant de secourir les banques restantes, il faudra peut-être attendre qu’un Etat dispendieux soit pris à la gorge et demande l’aide du FMI ».[ii]

N’en déplaise à mon ancien maître, qui regarde les catastrophes depuis son balcon de Genève, un tel événement serait l’astéroïde qui plongerait le système financier dans un « marché oursier dévastateur », comme en 1929 ou au Japon dans les années 90. (Si vous ne vous souvenez plus de ce que cela veut dire, cliquez ici :

Hier le PDG de Morgan Stanley était invité chez Charlie Rose, la meilleure émission de télévision américaine qui bien sûr passe sur PBS entre minuit et une heure du matin. Il parlait de la crise actuelle en termes de « guerre économique », non pas de tous contre tous, mais contre l’incertitude, comme l’inconnu. Il réaffirmait que nous vivons des événements inédits et que si on peut s’inspirer du passé, comme un Général peut planifier des batailles basé sur ses souvenirs de sa scolarité à Saint-Cyr, en fait il doit constamment ajuster sa stratégie pour se battre dans cette guerre-ci.

Jour après jour les Bourses mondiales s’éloignent du rivage de la Petite Déflation. Le Dow Jones a rendu 6% la semaine dernière. Hier, il clôturait à 7114 points. Avec cette baisse de 3,41%, il était revenu à des niveaux jamais vus depuis mai 1997. Une décennie de perdue.

Aujourd’hui, le Dow Jones reprenait du poil de la bête après que Bernanke, le gouverneur de la Fed ait rassuré les marchés en leur donnant une ligne d’horizon, 2010 pour la début de la sortie de la crise.
La situation européenne dans son jardin oriental n’est pas guère plus solide. Dans son édition d’hier, le Wall Street Journal établissait un parallèle entre la crise est-européenne de 2009 et la crise asiatique de 1997-1998. La crise économique ralentit les exportations sources de devises. La fuite des capitaux provoque un affaiblissement des monnaies, puis une crise de la balance des paiements.

D’où l’appel le week-end dernier de la part des Chefs d’Etat de la zone euro au Fonds Monétaire International, comme si cet enfant qu’on leur rendait n’était pas le leur.

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunani financier, all rights reserved.

[i] Les numéros des articles ont été refondus lors de la consolidation des traités destinée à les rendre plus praticables.
[ii] “Much as it was necessary to let Lehman Brothers go down before bailing out the remaining banks, it may be necessary to let a profligate government default and ask for IMF assistance.” Vox 21 février 2009

Aucun commentaire: