Audience hier des PDG des grandes banques devant le House Financial Services Committee
12 février 2009
A chaque fois que j’essaie de vous parler du roquefort, mon sujet tombe à l’eau. Je l’essuie, je le replace sous la cloche, il me regarde, avec un fond bleu. J’espère pourtant l’aborder entre vendredi 13h00, heure du Pacifique et dimanche soir, quand toutes les Bourses du monde seront fermées. De toutes les manières, il sera à point.
Ce qui me retarde, c’est que ces jours-ci, je passe ma vie au théâtre de Capitol Hill. Remarquez, la programmation est gratuite et elle me console du manque d’offre locale : San Francisco, ville de 750.000 habitants a un corps de ballet, un orchestre symphonique, quelques tableaux, du jazz mais quand on en arrive à l’art dramatique, rien ne surpasse New York. Et maintenant Washington.
Pour se mettre dans l’ambiance, rappelons que dans les jours qui ont précédé la faillite de Lehman Brothers, l’Etat est intervenu in crescendo, puis comme jamais depuis la Grande Dépression. Si l’on inclut les programmes annoncés mardi par Timothy Geithner, les chiffres via le Fed, le Trésor ou le FDIC[i] sont les suivants :
En tant qu’investisseur, l’Etat a promis 4,6 trillions de $ et en a versé 921 milliards (au 10 février).
En tant que prêteur en premier ressort, via la Fed, il a offert 2,4 trillions de $, desquels il a déjà déboursé 666 milliards.
En tant qu’assureur, il a donné sa caution jusqu’à 1,8 trillions de $, et a essuyé 252 milliards de pertes.
La signature de l’Etat figure donc sur un bon à tirer de 8.8 trillions ; desquels ont déjà été mobilisés 1,8 trillions, verts et trébuchants.
L’OCDE dans son style inimitable avertit : « il faut bien voir que les interventions aussi massives pourraient avoir des conséquences fâcheuses à moyen terme, en faussant la structure des incitations pour les ménages, les entreprises et les intermédiaires financiers ainsi qu’en menaçant de déclencher des réflexes protectionnistes et/ou anticoncurrentiels […] Pour ces raisons, l’OCDE a recommandé que ces interventions soient rapides, ciblées et temporaires »[ii].
Pour l’instant, la préoccupation est autre. Hier, à la House Financial Services Committee[iii], tel un policier cuisinant les Rapetouts, un élu vociférait : « Où est passé l’argent ? ».
Les PDG des huit plus grandes banques du pays tenaient plutôt bien leur rôle. « J’ai compris la nouvelle réalité », déclarait Vikram Pandit, le patron de Citigroup « et je vais faire en sorte que la Citi la comprenne aussi »[iv].
En attendant de connaitre les détails de plan Geithner sur l’aide aux ménages surendettés, Barney Franck, le président de la commission obtenait de tous les présents un moratoire en matière d’expulsions.
Certains parlementaires posaient des questions intelligentes. Les plus redoutables émanaient des ceux qui commençaient par des louanges. Merci Mr. Lewis de ne pas avoir fermé de succursales de Bank of America dans ma circonscription, mais dites-moi, les dossiers d’expulsion de votre banque sont traités dans des juristes situés dans des paradis fiscaux. (Ouf ce n’était pas des délocalisations en Inde). Vous l’ignoriez ? « C’est que j’ai du monde sous mes ordres ».
Justement M.Lewis, pardonnez l’estocade et revenons sur l’affaire des 4 milliards de bonus versés sur ordre de M. Thain, le PDG de Merrill Lynch. Le PDG de Bank of America explique qu’il n’avait aucun contrôle avant la fusion avec sa firme. Il a exhorté, puis quand il a découvert les pertes hors-bilan, il a limogé.
Heureusement qu’Obama a été élu, sinon M. Thain aurait été le Treasury Secretary de John McCain.
Nydia Velazquez, élue de New York demande avec un fort accent (latino-américain, pas new-yorkais), si l’argent du TARP a servi à financer le prêt nécessaire à la fusion entre les deux laboratoires pharmaceutiques Pfizer et Wyeth, qui va se traduire par 19.000 suppressions de postes.
Une élue de la région de Los Angeles qui s’était illustrée dans le passé par son activisme en faveur du droit des minorités à accéder à la propriété accuse les banquiers d’utiliser l’argent du TARP pour payer les frais des saisies immobilières. Les PDG se regardent. Le patron de Citigroup appuie sur le bouton devant lui. « Je crois madame que vous parlez… » Et il lui explique comment fonctionne la titrisation.
« L’Amérique est en colère » tonne un Représentant. Le théâtre populiste est le revers de l’adulation. « Levez la main si vous savez de combien ont crû vos prêts depuis que vous avez reçu des fonds du TARP ? » Les yeux se lèvent, se croisent. L’élu insiste. Le PDG de Goldman Sachs dit : « Nous ne sommes pas un organisme de prêt ». John Mack de Morgan Stanley et Ronald Logue de State Street acquiescent. Enchanté, je m’appelle Wall Street. Moment de flottement dans la salle. Pas si ravi que cela de faire votre connaissance. Le parlementaire a peine à reformuler sa question.
Barney Franck, le sémillant président reprend la main. « Si vous n’aviez pas de bonus, quelle est la partie de votre travail que vous vous abstiendriez de faire ? Vous prendriez plus longtemps pour déjeuner ? Vous quitteriez plus tôt le mercredi ? » Il ne loupe pas Vikram Pandit, le patron de Citigroup qui avait dit que ses intérêts en tant que patron étaient alignés sur ceux des actionnaires. « Pourquoi avez-vous besoin qu’on vous graisse la patte pour que vous preniez à cœur les intérêts de l’entreprise ? » Le PDG de Morgan Stanley répond : « Nous adorons ce que nous faisons. Même sans bonus, nous serions encore là. »
« Vous êtes tous des hommes fortunés. » Barney Franck avance ses pions. «Qui parmi vous a investi de son propre argent dans la banque dans laquelle il travaille, ces six derniers mois ? Le cas échéant, combien ? Zéro est aussi une réponse ». M.Lewis répond qu’il a acheté 400.000 actions de Bank of America ; il ne se rappelle plus combien cela lui a coûté. M. Pandit a ajouté 8,4 millions de $ dans Citigroup. M. Dimon a acquis 12 millions de $ de titres JP Morgan Chase. Cinq PDG sur huit n’ont pas profité des soldes.
Pendant ce temps, l’ancien Président de la Royal Bank of Scotland déclarait devant Westminster qu’il était désolé d’avoir acheté ABN Amro. « Le deal était une grossière erreur ». Fred Goodwin, l’ancien PDG de la RBS battait sa coulpe un peu : « Je me suis repassé le film dans la tête mille fois. Je me demandais ce que nous aurions dû faire autrement ». Dennis Stevenson, l’ancien chairman de HBOS s’aplatissait : «Nous sommes profondément désolés et je pense, je dirais, sans réserves, désolé ».
Au Palais du Luxembourg, le Médiateur du crédit était convoqué pour rendre des comptes.
Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved.
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[i] La Federal Deposit Insurance Corporation est un organisme parapublic institué par Roosevelt en 1933 pour garantir les dépôts dans les banques. Avant sa création, Hoover avait laissé 10.000 banques faire faillite.
[ii] Réponse stratégique de l’OCDE à la crise financière et économique, janvier 2009.
[iii] Commission des Finances à la Chambre des Représentants, l’équivalent de l’Assemblée nationale.
[iv] “I get the new reality and I will make sure that Citi gets it too”.
[ii] Réponse stratégique de l’OCDE à la crise financière et économique, janvier 2009.
[iii] Commission des Finances à la Chambre des Représentants, l’équivalent de l’Assemblée nationale.
[iv] “I get the new reality and I will make sure that Citi gets it too”.
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