lundi 20 juillet 2009

Chronique # 83: On a marché sur la tête

Siège de CIT sur la 5eme avenue
20 juillet 2009

Cette faillite est une bonne nouvelle. Le spécialiste américain du crédit aux petites et moyennes entreprises, CIT Group, (aucun rapport avec Citigroup, ma grosse banque, qui coule, qui coule, qui coule et qui vient de retrouver des profits – 4,3 milliards de $ au deuxième trimestre) s’était vu refuser mercredi l'aide d'urgence qu'elle demandait aux pouvoirs publics. En décembre, la Fed lui avait prêté 2.3 milliards de $, sur l’argent du TARP (Troubled Assets Relief Program) ; les 700 milliards avec lesquels Hank Paulson, le ministre des Finances de Bush avait proposé de nettoyer les bilans des banques en octobre, avant de changer d’avis en novembre et de choisir de les recapitaliser. Aussi le refus, la semaine dernière, de la part de Sheila Bair, la directrice de la FDIC[i] a été une vraie surprise. L’action de CIT s'est effondrée, perdant lors d’une seule cotation les trois-quarts de sa valeur.

Une faillite de CIT (Commercial Investment Trust) aurait eu des conséquences. Avec General Electric, CIT était la banque des petites et moyennes entreprises. Fondée en 1908, à Saint Louis dans le Missouri (prononcez Mi-zoou-ri), elle avait financé 150 chasseurs, ces petites unités de combat, destinées à la lutte anti-sous-marine face aux Allemands. Apparues en 1915, elles se multiplièrent en 1917-1918, avec la mise en service d'une importante série de 110 tonnes dont la vitesse atteignait 16 nœuds. Après la guerre, CIT se lance dans le crédit à la consommation pour l’acquisition de postes de radio, à travers un accord avec Thomas Edison. Voyant arriver la Seconde Guerre Mondiale, CIT fermera boutique en Allemagne dès 1934. Après Pearl Harbour, l’entreprise exhorte ses 2000 salariés d’aller servir leur pays. Elle leur garantit un bonus mensuel, une assurance-décès et une place quand ils reviennent.

Tout au long de son histoire, CIT fut tour à tour un conglomérat et l’institution financière permettant de financer le bric à brac électronique qu’elle fabriquait. L’autre géant bâti sur le même modèle est la firme héritière de Thomas Edison, fondée en 1890, et qui à l’origine s’appelait Edison General Electric.

Par exemple, dans les années 60, le marché des ordinateurs était dominé par IBM surnommé Banche Neige (Snow white) et General Electric et CIT (sous le nom de RCA) faisaient partie des « Sept Nains » (Seven Dwarves).

Au moment de la révolution financière des années 70 aux Etats-Unis et 80 en Europe, les grandes entreprises cessèrent d’utiliser les banques pour se financer. Elles lèveraient des capitaux en attirant l’épargne publique, phénomène connu sous le nom de désintermédiation bancaire ou de « bourse universelle ». Pour résister, les banques inventent l’art de prêter plus avec autant ; soit le paquetage des prêts sous la forme de produits financiers, que l’on cède sur le marché obligataire. Elles améliorent ainsi leur ratio Cooke, un ratio prudentiel qui prône une stricte proportionnalité entre le volume de prêts consentis et le montant des fonds propres. Apparait la pratique de la titrisation[ii].


La titrisation a détourné les meilleurs clients d’organismes comme GE et CIT. Tout à coup, ils trouvaient à se financer moins cher auprès des banques. L’innovation est la fille de la nécessité. Ce sera l’avènement du factoring ou en français l’affacturage. Chacun son innovation financière, dans ce dispositif, une PME au lieu d’avoir à attendre 90 jours de délai-fournisseur peut céder sa créance (account receivable) à un tiers. Celui-ci en devient propriétaire (on dit qu’il se trouve subrogé dans les droits du créancier) et avance l’argent à la PME, moyennant une commission et des agios. A la date du paiement, le débiteur paye la société d’affacturage au lieu de payer le titulaire initial de la facture.

Quand M. Peek fut nommé PDG de CIT en 2004, son ambition était de transformer cette « Cofinoga » en un « Lazar Frères ». Il transféra le siège de l’institution, installé près d’un centre commercial de banlieue au 505 de la 5eme avenue, New York, New York. CIT devint un généreux mécène du New York City Opéra et M. Peek grâce à ses dons se vit décerner un poste d’administrateur au musée du Metropolitan.

Comme il fallait augmenter les marges, CIT imita Merrill Lynch et Crédit Suisse et Lehman Brothers. Avec retard, M. Peek lança son entreprise dans la titrisation. Logique du toujours plus, CIT se mit à faire des fusions et acquisitions avec de l’argent emprunté et beaucoup, beaucoup d’effet de levier. En 2003, CIT avait 33 milliards de dettes. En 2007, 55 milliards de $. Pour financer ces prodiges, on alimentait des crédits à moyen terme en refinançant un tiers ou plus de l’encours toutes les 24 heures.

Quand le credit crunch arriva… tous les clients tirèrent sur leur ligne de crédit, ce qui étrangla CIT par les deux bouts.

Goldman Sachs et Wells Fargo aidèrent un peu et pour fort cher. Ce ne fut pas assez. Le 22 décembre dernier, Ben Bernanke qui n’avait qu’une hâte c’était d’aller faire ses courses de Hanoukka accéléra les démarches pour transformer CIT et General Motors en banques de plein exercice (bank holding company). A la suite, Hank Paulson leur alloua respectivement 2,3 milliards et 13,4 milliards de $ du TARP.

La semaine dernière, M. Peek retournait donc à la fontaine remplir sa gourde. Son formulaire de demande d’élixir était posé sur le bureau de Sheila Bair depuis janvier.

La Directrice de la FDIC lui a répondu qu’elle n’allait pas prolonger artificiellement la vie d’une entreprise dont le business model est archaïque.

« C’est le même que General Electric » a répondu M. Peek, or General Electric Capital a pu faire garantir 74 milliards de $ d’obligations par la FDIC[iii]. Chacun son tour ! Et d’ailleurs si on regarde les chiffres, le niveau et l’exigibilité de la dette de CIT sont meilleurs que ceux de GE à court terme.

A quoi est due la différence de traitement ? Comme la FDIC n’est pas un organisme de restructuration industrielle, et comme CIT ne pose pas de risque thermonucléaire, Sheila Bair n’a en tête que de s’assurer qu’on renflouera les facilités de caisse fournies par l’organisme de tutelle dont elle a la charge et qui fonctionne sur la base de la mutualisation des risques. GE Capital a un riche papa industriel qui a utilisé une partie de ses dividendes pour financer la branche financière. CIT aussi en avait un, qui s’appelait Tyco, mais dont il s’est défait dans le cadre de la mue du conglomérat. Débrouillez vous tout seul, puisque vous êtes grand.

C’était donc la faillite assurée. Le contribuable américain aurait donc perdu 2,3 milliards de $ (il en a déjà perdu plusieurs millions dans les bonus dévolus à Merrill Lynch et à AIG. En outre, plus de 10 milliards du renflouement d’AIG ont servi à payer les indemnités dues sur les CDS en cas de faillite de Lehman Brothers, et qui étaient détenus en grande partie par Goldman Sachs). La bonne nouvelle était que CIT pouvait faire faillite sans que cela posât de risque systémique ; contrairement à la banque d'investissement en septembre dernier. Le système financier était redevenu suffisamment solide pour encaisser la cinquième faillite bancaire par la taille dans l’histoire des Etats-Unis [iv]avec en tout et pour tout un imparfait du subjonctif.

Coup de théâtre. Hier dimanche, à 22h30, le conseil d’administration de CIT approuvait un plan de 3 milliards apportés au groupe par Barclays. Ce prêt-relais va lui donner le temps de procéder à une série d'échanges de titres de dette contre des actions nouvelles. C’est chèrement payé. Avec 11% d’intérêts, ce sauvetage de dernière minute devrait permettre CIT de consolider ses fonds propres tout en réduisant la pression de ses frais financiers. Un petit pas pour CIT et un grand pas pour le système financier. La stabilisation à tâtons a marché.

Il y a 40 ans, aujourd’hui, le premier homme posait le pied sur la Lune. Coût de l’opération 104 milliards de $, à prix constants. Quarante ans plus tard, Barack Obama essaie de camper la couverture médicale universelle à Capitol Hill.

Gabrielle Durana
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Carte postale de Mars (mars 2009)

[i] La FDIC est un organisme créé par Roosevelt pour éviter les paniques bancaires. Il prend contrôle des banques en danger de faire faillite et en dispose ensuite par appartements. Traduit littéralement, son nom signifie Commission fédérale d'assurance des dépôts bancaires.
[iii] Dans le cadre du programme destiné à dégivrer les marches financiers, appelé Temporary Liquidity Guarantee Program.
[iv] Après celle de Washington Mutual le 26 septembre 2008.

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