A Prague, les marchands ambulants se sont remis à vendre des statuettes du Golem, censé protéger contre les calamités, jadis contre l’antisémitisme.
14 juillet 2009
Tous les samedis, sur Union Square se retrouvent trois ou quatre habitués. Le cable car remonte la rue Powell dans un grincement bucolique, il longe le restaurant Michael Mina, deux étoiles au Michelin et caresse les anciens magasins Disney aux vitres couvertes de poussière. Le lieu n’a rien d’un square. Aux trois autres extrémités, il est délimité par la galerie Weinstein qui vend des toiles de Marc Chagall, par Neiman Marcus, une sorte de Faubourg Saint Honoré vertical, et la Nike Town. La place ne s’appelle pas Union Square parce que tout le monde s’y rassemble pour mendier ou consommer ; mais parce que pendant la guerre de Sécession, c’était le point de ralliement des partisans de Lincoln. Une colonne corinthienne s’élève au centre du rectangle en ciment tiré à quatre cœurs. Elle fut érigée en l’honneur du général Dewey qui coula tant de navires pendant la Guerre Hispano-Américaine de 1898 que l’Espagne perdit d’abord les Philippines puis Cuba. La Victoire verte ailée avec son trident a été fondue à l’effigie d’une héritière du sucre et inaugurée par Roosevelt, Théodore, celui qui a donné son nom à un ours en peluche. Elle marche vers Tiffany‘s et tourne le dos à Macy’s, sur le boulevard de Geary, là où chaque semaine s’installent les 4 amis.
Entre les distributeurs à la criée de l’Examiner et le stand de bretzels, avec les mendiants attrape-touriste en retrait, ils déplient leurs chaises, disposent des livres en terrasse sur la petite table de camping. Les gens se pressent sur le trottoir, les bras chargés de sacs en papier aux couleurs rieuses. Est-ce les dents blanches de la dame, les ouvrages de science-fiction ou la pancarte qui dit « tests de stress gratuits » ? Quelqu’un s’est assis. Il est pâle, cause ou conséquence de cette aiguille qui vire au rouge.
La Fed a publié le 4 mai le résultat des épreuves d’effort qu’il avait faites subir à 19 de ses plus grandes banques. D’aucuns ont pu critiquer la modèle choisi d’oscillographe mais de ce côté-ci de l’Atlantique, tous s’accordent à dire que l’ignorance est un blizzard qui ne conjure pas les infarctus. Si nous voulons un jour pouvoir renouer avec la croissance, et il n’y a pas de croissance sans demande mais non plus sans tuyauterie intertemporelle du capital, certaines banques doivent arrêter de fumer, perdre du poids, manger sain et recevoir une greffe de capital.
L’idée que les organismes financiers européens soient soumis à des tests de stress fait se raidir les gouvernements. « Quoi, tout le monde a ses problèmes, mêlez-vous des vôtres ! » semblent-ils dire en retirant la main.
Il ne suffit pas de remballer sa transparence qui rime avec arrogance et avec panique pour dissiper le malaise. Les banques européennes ont de quoi être stressées et les problèmes n’ont pas été inventés sur les faux appareils de l’Eglise de Scientologie.
Le fonds monétaire international estimait le 7 avril que les banques européennes devraient provisionner ou lever des capitaux à hauteur de 600 milliards de $ pour faire face aux pertes de 2009 et 2010 et reconstituer leurs fonds propres ; contre 275 milliards de $ pour les banques américaines.
Vous vous demandez peut-être pourquoi je reviens toujours au problème des banques. Ce n’est pas de l’indifférence vis-à-vis des victimes du tsunami financier, ou de la compassion envers les banquiers qui nous ont jetés dans le précipice après qu’ils aient demandé aux autorités d’enlever les barrières. C’est du pragmatisme. Voulons-nous d’une décade perdue à la japonaise ou d’une sortie de crise proche ?
Dominique Strauss Kahn, le patron du Fonds Monétaire International disait le 8 juin 2009 à Montréal, lors d’un sommet économique international des Amériques : « On ne s’en sort jamais tant qu’on n’a pas fait le ménage » (‘You never recover until the cleansing’). Mervyn King, le gouverneur de la banque d’Angleterre n’en disconvient pas puisqu’ il déclare que les problèmes bancaires vont rendre « l’échappée de l’économie de la récession longue, difficile, violente » (‘long, hard, slog’).
Seules la Grande-Bretagne, l’Irlande et la Suisse ont mené des tests, banque par banque pour connaître l’état de leurs artères mais n’ont pas voulu divulguer la méthodologie. L’Europe des 27 qui n’a pas de gouvernement fédéral (vous aviez voté « Non » à la Constitution Européenne ? Et bien maintenant, dansez ! Vous aviez voulu échapper à la techno. Ce sera la danse de Saint Guy), l’Europe des 27, donc, chez qui la régulation bancaire ne relève pas de la Banque Centrale Européenne mais bien de la compétence nationale a déclaré qu’elle mènerait des tests d’effort de tout le système mais ne publierait pas les résultats.
Chacun fait donc ce qui lui plait. En Allemagne, on a des élections en septembre alors le lavage du linge sale à la fontaine publique pourrait se retourner contre les élus locaux qui siègent dans les Conseils de surveillance des banques régionales et contre les élus nationaux qui ont négocié avec Bruxelles le droit de garantir les prêts émis pas ces dernières.
En effet, en contradiction avec l’éthique protestante, les « Landesbanken » se sont gorgées d’actifs pourris entre 2001 et 2005. Après la curée, l’assommoir. Fin avril, le Süddeutsche Zeitung et le Spiegel publiaient un audit confidentiel de l’autorité de tutelle des banques allemandes, la BaFin[i] : les banques allemandes détiendraient 816 milliards d’euros d’actifs toxiques, soit 1,15 trillions de $. Le document désignait Hypo Real Estate, nationalisée depuis, et Commerzbank ainsi que HSH Nordbank comme les prêteurs ayant prêté tout l’été.
La porte parole de la BaFin s’est écrié que le document n’était pas figé dans le temps (“It is a work in progress."). Le ministre de l’Economie Peter Steinbrück a aussi dénoncé une représentation biaisée de la réalité. Enfin, le gouverneur de la Bundesbank a mis en garde contre une mauvaise interprétation des chiffres.
Autre pays quasi-fédéral, avec son système des « communautés autonomes », l’Espagne est dans une même logique d’omerta, par peur de se voir reprendre par la Banque d’Espagne le pouvoir dont jouissaient les régions pour administrer les banques locales.
D’abord montrée comme un exemple en raison de son mécanisme contracyclique de réserves automatiques qui vont renforcer les fonds propres les années de vaches grasses, on a finit par découvrir ce que tout le monde savait : une bulle spéculative dans l’immobilier s’enflait depuis 15 ans.
Quand j’étais enfant dans les années 80, j’allais en vacances à Majorque. A l’époque, il fallait à une famille où un seul adulte travaillait entre 2 et 5 ans pour s’acheter son logement dans un quartier de classe moyenne basse. Ces dernières années, deux smicards (les « mileuristas », littéralement ceux qui gagnent mille euros mensuels) devaient partir en lointaine banlieue pour espérer s’acheter quelque chose en empruntant sur 50 ans. Le miracle économique espagnol fondé sur immobilier a été en grande partie prolongé par l’arrivée massive d’étrangers (près de deux millions au cours de cette dernière décennie) mais soudain le boom s’interrompt et les banques font boum.
Là non plus, on n’a pas tellement envie de sortir les torchons maculés au grand air, les conseils de surveillance des banques étant peuplés d’élus locaux qui ont cautionné, souvent sans comprendre, jouer au Monopoly est plus facile qu’ aux produits dérivés.
La réponse européenne au tsunami financier peut être résumée en deux phrases. Dans son volet budgétaire : « Croisons les doigts », ou pourvu que les Américains et les Chinois nous relancent. Dans son volet monétaire : « Ignorance is bliss »[ii] ou agissons un peu mais sans éveiller l’attention de la populace.
Ainsi, le Secrétaire d’Etat à l”Economie, José Manuel Campa déclarait hier que le gouvernement avait mis en place un Fonds Bancaire de la Restructuration en bon Ordre [iii], le Frob, parce que c’était un instrument « très important mais pas urgent ».
La solution du Frob ressemble au système américain de la FDIC[iv], qui met les banques sous tutelle et une fois la panique évitée, les vend par appartement pour reconstituer ses forces d’intervention. La Frob sera dotée d’un capital de 9 milliards d’euros pour démarrer.
L’évolution de la position allemande va dans le même sens. Le 19 janvier 2008, le ministre allemand récusait la solution de la « bad bank »[v]. Le 13 mai, le gouvernement acceptait le principe d’une structure de défaisance. Le 3 juillet, la loi créant la « banque poubelle » était adoptée par la chambre basse ; dotée d’un capital de 230 milliards d’euros (322 milliards de dollars).
La solution inventée par la France qui combine des prêts, via la Société de financement de l’économie française (la Sfef) et de prises de participation, via la Société de prises de participation de l'Etat (la SPPE) participe de la même stratégie. D’abord absence de grandes dépenses budgétaires, contrairement au Plan Obama. En revanche, les rémunérations mirifiques promises par Nicolas Sarkozy sur trois chaines en technicolor dans l’émission « Face à la crise » ne se sont pas matérialisées : en cas de plus-values, la SPPE ne peut pas gagner plus de 20% sur ses actions les quatre premières années. En cas de moins-values, passez l’addition. La dette de la Sfef est comme le financement de la Guerre d’Irak sous Bush, elle ne figure pas au budget, donc elle n’existe pas. Enfin, la crise frappe d’abord les PME et le dispositif de soutien à leur trésorerie de 22 milliards d’euros risque bien de couter 22 milliards d’euros. Pour mémoire le plan de relance de Sarkozy s’élevait officiellement à 26 milliards d’euros.
Du 7 au 14 juillet 2009, à l’opéra Bastille, création mondiale de « Am Anfang » (au commencement), sur une musique de Jorg Widmann, dans des décors et avec des costumes conçus par le plus français des artistes allemands, Anselm Kiefer
Le 1er juillet, la Cour des Comptes réclamait que l’Etat se dote d’une « doctrine d’actionnaire bancaire ». Non seulement, le contribuable apporte sa caution mais il n’a pas voix au chapitre dans les conseils d’administration et aucun mécanisme de sanction n’est prévu contre les établissements qui ne respecteraient pas les engagements sur la rémunération des dirigeants ou l’évolution du crédit. La seule garantie que ces bonnes gens tiennent leurs promesses est que ce sont des amis personnels du Président.
A moins que justement…
On a beau se lamenter sur l’absence d’Europe politique face à cette crise, on a peine à voir quelle serait son utilité si le dogmatisme est plus fort que le pragmatisme. Un gouvernement européen n’est-il pas censé travailler à la protection de sa population, à une sorte de Welfare state supra-étatique ?
Telle qu’en elle-même, le Commissaire européenne Neelie Kroes s’inquiète des conséquences anticoncurrentielles de la nationalisation de la Royal Bank of Scotland et de la Lloyds Banking group. Alors que le gouvernement britannique essaye de relancer l’économie en poussant les banques dont il possède désormais 70% et 43% du capital à prêter aux particuliers, « il y a des risques que des décisions non concurrentielles soient prises ». Elle exige une cession d’actif avec un calendrier.
Pendant que l’Islande qui voulait être aussi grosse le bœuf se prépare à retourner à ses poissons et à entrer le plus vite possible dans le paradis des chalutiers de l’Union Européenne, dès 2011 avec la Croatie, les manifestations se multiplient en Europe de l’Est. En Ukraine, le Premier Ministre et le Président ne se parlent plus. A Lviv, les chômeurs défilent couverts d’une feuille de licenciement.
Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier
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[i] La ‘Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht’ abrégée en BA-FIN, ou « Bafin » est l’équivalent de l’Autorité des Marchés Financiers en France. La Bafin supervise 2.700 banques, 800 institutions financières non bancaires et 700 compagnies d’assurance.http://www.bafin.de/cln_152/sid_5C3946C05007110DBF497E5851624745/EN/Home/homepage__node.html?__nnn=true
[ii] Littéralement « l’ignorance rend heureux », c’est à dire que si vous ne connaissez pas une mauvaise nouvelle, elle ne vous peine pas.
[iii] El Fondo de Reestructuración Ordenada Bancaria (FROB), voir : http://www.la-moncloa.es/ActualidadHome/2009-2/260609-enlacefondo
[iv] La FDIC est un organisme créé par Roosevelt pour éviter les paniques bancaires. Traduit littéralement, son nom signifie Commission fédérale d'assurance des dépôts bancaires. Sa directrice est Sheila Bair.
[v] Pour une revision du concept de la Bad Bank, ici: http://tsunamifinancier.blogspot.com/2009/02/chronique-65-la-bonne-paie-et-la.html
1 commentaire:
très belle reprise de votre blog, bravo pour ces deux derniers articles!
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