mercredi 18 janvier 2012

la France perd son triple A, comment ça a pu m’arriver à moi ? (144ème épisode)


18 janvier 2012


Tandis que le parfum pénétrant de faillite grecque nage autour des pits et des salles claires, qu’il pose sur tous les produits financiers structurés le sceau d'une si secrète intimité entre les nouveaux dirigeants européens et les anciens responsables privés, il convient de s’arrêter au seuil d’un interdit. Les mémoires du saccage des finances publiques françaises restent à écrire.

Comment en est-on arrivé à un déficit de 7,5 % par an, à une dette cumulée de 1,725 milliards d’€ ? Si vous êtes Français, votre ardoise s’élève à 26.000 € ? Que tout Américain doive 48.000$ en plus de ses 15.799$ en moyenne de carte bleue par ménage, ne vous console pas. Sérieusement, avons-nous vraiment vécu au-dessus de nos moyens et si oui, depuis quand ?

Il n’y a pas d’histoire financière neutre. Même un tableau comme celui ci-dessus s’interprète.

D’abord un peu de vocabulaire pour se comprendre : le solde (positif ou négatif) des Administrations publiques est plus large que les seuls comptes de l’Etat. Il inclut les collectivités territoriales et un de nos trésors nationaux méconnus : la Sécurité Sociale.

La dette publique est la somme de tous les déficits cumulés, qu’on essaie de rembourser au fur et à mesure. Chaque année, on essaie d’en payer une partie, c’est « le service de la dette ».

Le déficit primaire, c’est ce que les administrations publiques n’ont pas pu payer de dépenses compte-tenu des rentrées d’argent pour une année N. Le déficit public (le « déficit constaté » sur le graphique), c’est autre chose. C’est le déficit primaire plus le service de la dette. Autrement dit, si la dette publique était nulle, le déficit public serait égal au déficit primaire.

Maintenant, reprenons le premier graphique.

Cachez ce déficit que vous ne sauriez voir.

La ligne rouge illustre les talents de gestionnaires d’un gouvernement, compte-tenu d’une conjoncture économique donnée et comme si le passé n’avait jamais existé. Ainsi, il est permis de dire que M. Chirac (la dernière fois qu’il fut Premier Ministre), M. Rocard, et M. Jospin, énormément, savaient équilibrer un budget. M. Bérégovoy après 1983 et pendant le virage de la désinflation compétitive était prêt du seuil mais sans parvenir à rester dans le vert. Pour le reste de la ligne du temps, nous avons été soit victimes soit d’une conjoncture moins favorable, soit les sujets de gouvernements imprévoyants. Chacun son interprétation, n’est-ce pas ?

Il est certain que la ligne noire, elle, montre, qu’on finit toujours pas être rattrapé par son passé dispendieux, même quand on pense qu’il ne s’agit que d’une négligence passagère.

Elle n’est jamais complètement bénigne. En effet, les gouvernements veulent être réélus et les peuples veulent pouvoir se desserrer la ceinture, après les années de vaches maigres. Alors quand la croissance revient, au lieu de se désendetter (l’œil rivé sur le déficit constaté) on ripaille en louchant sur le bel excédent du déficit primaire.

Encore une définition et un graphique pour vous faire votre propre opinion de qui doit être pendu dans cette vilaine affaire de comptes publics qui ne sont pas bons.

Les prélèvements obligatoires sont toutes les sommes que les administrations publiques aspirent puis réinjectent dans le système économique (moins le cout de la bureaucratie, et encore les fonctionnaires outre que la plupart prodiguent un vrai service … public dépensent leurs revenus et font donc marcher la machine économique).





Si on jette un coup d’œil au deuxième graphique, on constate que les prélèvements obligatoires ont commencé de baisser en France en 1999 et que cette baisse s’est accélérée depuis 2007.

Le dogmatisme plutôt que le pragmatisme.

Si on rapporte ces chiffres à la colonne des taux de croissance, on s’aperçoit que dans la première période la France était en expansion. Autrement dit on prélève moins mais la taille du gâteau augmente donc on collecte plus de manière indolore. A partir de 2007, alors que le gâteau de la richesse nationale créée se réduisait pour cause de crise, la part prélevée par les administrations publiques se réduisait plus que proportionnellement. C’est la vieille pensée magique libérale du « trickle down economics », qui croit avec la foi du charbonnier qu’en cas de crise, il faut rendre aux riches, non parce qu’ils sont oisifs mais justement parce qu’ils sont industrieux et qu’ils créeront des emplois. Un cercle vertueux s’enclenchera et il y aura un sursaut de croissance. La machine repartira, la richesse dégoulinera (« trickle down ») sur le reste de la société et le pays sera sauvé par ses riches. Sauvons les riches !

Mais où sont les emplois ?

Pour un audit de la dette publique

Un tsunami financier comme il en arrive une fois par siècle, plus une gestion de la dette ric-rac pendant des lustres, plus des cadeaux fiscaux aux riches parce qu’on les étouffait, choisissez votre équation du saccage… En tous les cas, si l’état de nos entrailles publiques est à l’image de notre sein social, il va falloir plus que de simples amortisseurs naturels (assurance chômage, etc.) pour guérir de notre cancer.

Avions-nous besoin que Standard & Poor’s nous tende un miroir ?

Gabrielle Durana







samedi 7 janvier 2012

les Etats-Unis sont-ils sortis de la crise ? [1ere partie] (143ème épisode)

Le reve americain a l'encan

7 janvier 2012

Avec un taux de chômage de 8,5% et 200.000 nouveaux postes crées en décembre 2011, la situation de l’emploi aux Etats-Unis s’améliore de mois en mois. Elle retrouve son niveau de février 2009. Au total, l’année qui vient de s’écouler a connu le plus de créations d’emplois (1,6 millions) depuis 2006, et 3,2 millions en 22 mois. Ce résultat n’est pas impressionnant : il reste 13,1 millions de chômeurs, ou 22 millions si on compte les personnes sous-employées et celles ayant renoncé à chercher. Mais une année électorale, il permet à Obama de damer le pion aux Républicains qui l’accusent d’avoir échoué sur toute la ligne économique, et d’arguer que le pays est retourné sur la bonne trajectoire. La reprise ne serait plus qu’une question de temps…

Tandis que l’Europe semble entrée en récession et que les théories du « découplage » entre les zones économiques ont maintes fois été démenties par les faits, Ben Bernanke, le gouverneur de la Fed rappelle dans un livre blanc adressé le 4 janvier au président de la « Banking, Housing and Urban Affairs Commission » au Sénat que la sortie de la crise des Etats-Unis reste conditionnée à la résorption de la crise immobilière, éclatée en août 2007. « Quand le bâtiment va, tout va ! » dit la maxime ; son contraire est encore plus vrai.

L’immobilier, boulet de la reprise

Le document prend position : « les problèmes persistants sur le marché immobilier américain continuent d’empêcher la reprise économique ». En effet, les prix de l’immobilier ont chuté en moyenne de 33% depuis leur sommet de 2006, ce qui a occasionné une perte pour les ménages de 7.000 milliards $ en revenus et en patrimoine. Pour comparer, le PIB des Etats-Unis représentait 14.580 milliards $ en 2010.

A l’heure actuelle, 12 millions de propriétaires sont titulaires d’un prêt d’un montant supérieur à la valeur de leur bien immobilier, soit un prêt hypothécaire sur cinq (source : CoreLogic et LPS Applied Analytics).

Aux Etats-Unis, l’image utilisée pour signifier qu’un ménage se retrouve à devoir plus que la valeur de son bien immobilier est celle de la noyade. Le prêt et par assimilation son titulaire sont sous l’eau (‘underwater’). Dans les Etats les plus durement frappés par l’effondrement des prix de l’immobilier, soit l’Arizona, le Nevada et la Floride, nonobstant le soleil du désert ou des Everglades près de 50% des emprunteurs sont sous l’eau.

Selon le rapport, la valeur agrégée de tous ces prêts immobiliers à rendement négatif, appelons les des « prêts maudits » se monte à 700 milliards $. Pour mémoire, le plan Paulson adopté en octobre 2008 qui renfloua les banques s’élevait aussi à 700 milliards $.

Sur les 12 millions de prêts maudits, 8,6 million d’emprunteurs, représentant environ 425$ milliards d’actifs à amortissement négatif (‘negative equity’) sont à jour de leurs mensualités. Ils cherchent désespérément à refinancer leur emprunt, car les taux d’intérêts sont tombés à des niveaux historiques. Ils souhaitent parler à leur banque pour ajuster le montant du prêt à la valeur actuelle du logement. En vain.

De leur côté, les institutions financières mettent sur le compte de la titrisation leur lenteur et leur difficulté à modifier les prêts maudits. En effet, comme il y a de nombreux créanciers partiels pour un même et unique prêt, il faudrait obtenir l’accord de chacun avant de modifier le taux d’intérêt, a fortiori pour réduire le principal.

Mais en rapprochant les deux montants de 700 milliards, il devient clair que le drame humain des uns est un problème de nettoyage de bilan pour les autres.

L’aléa moral des deux côtés

Ainsi les banques, sauvées des eaux par les contribuables refusent de renégocier les prêts avec les clients. Aujourd’hui, les ‘incentives’ sont totalement faussés : il faut qu’un emprunteur sous l’eau arrête de payer pour que son créancier daigne lui parler. Tant qu’il paie, c’est qu’il peut continuer à le faire.

Apparaît l’expression dans la profession bancaire de « strategic foreclosure », c'est-à-dire de débiteurs qui cessent de rembourser non parce qu’ils n’ont plus les moyens mais parce que cela ne fait aucun sens de payer deux fois trop cher sa maison. Autant redevenir locataire et mettre l’autre moitié de l’argent de côté tous les mois. Ou acheter la maison d’à côté pour la moitié du prix en la mettant au nom de ses parents.

De toutes les façons, les banques préfèrent vendre les maisons le plus vite possible aux enchères pour nettoyer leur bilan, puisqu’elles ont déjà provisionné pour pertes et que l’aide de l’Etat leur a évité la faillite. Démêler l’enchevêtrement des titulaires des créances de 12 ou 8,6 millions de prêts hypothécaires pour leur demander de consentir des remises de dette ? En voilà une tâche herculéenne et finalement injuste ; ces gens ont eu les yeux plus gros que le ventre. Qu’ils aient perdu l’épargne de toute une vie de travail, à chacun ses soucis.

Il y aurait beaucoup à dire sur l’aléa moral des uns et des autres. La justice rattrape seulement maintenant les plus hauts dirigeants du réassureur quasi-public Fannie Mae ; le PDG de Freddie Mac s’était suicidé le 8 mai 2009. Quant à Countrywide Financial, autrefois premier prêteur immobilier du pays, quatre ans après l’éclatement des subprimes, personne n’a encore été inquiété.

Sortir de la crise immobilière, un impératif

Le livre blanc de M. Bernanke avance de nombreuses propositions au Congrès pour sortir de la crise immobilière. Sur les 2 millions de logements vides actuels, il estime qu’environ un quart est constitué par le stock des saisies immobilières. D’ailleurs en anglais, « prêt immobilier » se dit ‘mortgage’, un mot dérivé du français qui indique par son étymologie qu’un tel contrat se termine soit par le paiement de la dette (=la mort de la dette), soit par la confiscation du bien (=le gage).

Une partie de ces biens repossedés n’est d’ailleurs même pas remise en vente pour éviter que par la loi de l’offre et la demande, les prix ne s’enfoncent dans une spirale de déclin, générant encore plus de « défaillances stratégiques ». Les maisons restent vides, sont parfois squattées. Elles constituent ‘le shadow inventory’, les stocks de l’ombre.

Le gouverneur de la Fed incite à mettre le plus grand nombre de ces biens immobiliers en location le plus rapidement possible. D’abord pour faire face aux besoins des familles sans logis, car les loyers sont repartis à la hausse. Le rapport indique quelles devraient être les modifications réglementaires pour permettre aux institutions financières d’administrer ses soudains parcs immobiliers. Certes des petits investisseurs sont déjà en train d’acheter des biens à l’encan pour les relouer, mais il suggère de passer à la vitesse supérieure en opérant une modification à grande échelle et en favorisant les financements nécessaires pour que de grands groupes bancaires s’y mettent vraiment.

Il préconise aussi des mesures législatives. Un Obama II ? Le rapport s’adresse officiellement au président de la commission M. Tim Johnson, sénateur républicain de l’Illinois. Il recommande de donner latitude à l’originateur ou à l’établissement gestionnaire (‘servicer’) de négocier une remise de dette avec le débiteur. Il note que ces changements « peuvent être bénéfiques pour la société dans son ensemble, même si ils ne vont pas dans le sens des intérêts des préteurs ».

Dans la mesure où les banques ont déjà été en large mesure indemnisées par le contribuable, il serait logique que la représentation nationale puisse décider du sort de ces logements dont elle est moralement propriétaire.

Et la croissance de long terme ? Ce sera pour une prochaine fois !

Gabrielle Durana



mercredi 4 janvier 2012

Le strabisme de l’austérité (142eme épisode)


"chomage = humiliation" (Chili-2009)

3 janvier 2012


« L'euro sera peut-être la première monnaie mondiale dans dix ans si ses membres avancent dans la résolution des problèmes », déclarait le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, dans une tribune libre parue le 1er janvier 2012 dans le Journal du Dimanche. Il y égrène tous les arguments du « remarquable succès » : le rôle de l’euro en tant que deuxième monnaie de réserve internationale, derrière le dollar et la stabilité des prix. Il prophétise une longue vie à la monnaie unique

Pendant la trêve des confiseurs, les spéculateurs se désaltèrent avec du Billecart-Salmon et le volume des transactions boursières s’étiole comme rose en hiver. Mais avant l’épiphanie, ils sont de retour et leurs pupitres se remettent à clignoter de rouge et de vert, guidés par des algorithmes.

Fini les yaourts Mamie Nova. En Espagne, depuis le 13 décembre, l’alternance a ramené aux responsabilités de ministre des finances, Luis de Guindos, l’ancien patron de Lehman Brothers sur la péninsule ibérique de 2006 à sa faillite.

Mario Draghi, l’ancien patron de Goldman Sachs pendant les années d’exubérance irrationnelle, devenu gouverneur de la Banque Centrale Européenne après la prise de retraite de Jean-Claude Trichet affiche un rigorisme vis-à-vis de la planche à billets dans le discours mais vient de proposer 489 milliards d’euros de prêts à 3 ans à toutes les banques d’Europe impécunieuses ou prises en tenaille.

D’autres échéances électorales auront lieu en Europe en 2012, notamment les élections présidentielles et législatives en France, mais pour quelle autre politique possible ? La ruse du diable est de faire croire qu’il n’existe pas. Les gouvernements sont-ils condamnés à s’aplatir devant les spéculateurs ou à mourir fusillés sur le mur de l’argent ?

L’austérité est un mauvais moment à passer. Il faut serrer les dents, comme du temps, où on n’avait pas encore inventé l’anesthésie générale. L’économie est gangrénée par la dette, il faut couper une jambe. Au lieu de maugréer, mords ton bâton…

Mais on parle d’apurer 25 points de PIB ! Comment peut-on sérieusement promettre de venir à bout de cet effet de stock de déficits en deux ou trois ans ? 25 points de PIB c’est l’équivalent des dettes générées au cours d’une guerre mondiale.

Il y a quatre manières d’apurer une telle montagne de dette :

- Comme après la deuxième guerre mondiale, l’inflation. Ce serait la mort lente pour les détenteurs de revenus fixes (propriétaires, retraités, rentiers etc.). De toute façon, il faudrait passer sur le corps mort de la BCE, après avoir transpercé le colosse Talos, occis les deux Harpies, broyé les rochers broyeurs Symplégades, et tué l'Hydre de Lerne, qu’il resterait encore à tuer un par un l’armée d’agiles squelettes de Francfort.

- On met les « actifs avariés » dans une « mauvaise banque européenne », et on rembourse pendant 30 ans avec en partie ce qui rentrera de revenus liés aux actifs, auxquels on ajoute une tranche des dividendes de la croissance retrouvée. Cela s’assimile à un défaut partiel (sur les intérêts, pas sur le principal), et doit être négocié au plan international.

- Une agonie interminable. C’est ce qu’Eva Joly appelle dans une formule un peu mélodramatique la « tiermondisation de l’Europe », attirant l’attention sur le rôle croissant du FMI en Europe. Le Diable, dans son rôle de père fouettard, c’est l’image traditionnelle du FMI. Puisque l’UE refuse de créer des ‘eurobonds’, les banques centrales des Etats membres vont abonder le capital du FMI. Le diable en personne, ira prêter secours aux pays européens tombés dans le besoin, avec comme contrepartie le superprivilège sur tous les autres créanciers, les politiques d’ajustement structurel et la mise au pas des gouvernements qui n’auraient pas compris la bonne politique spontanément.

- Un jubilée. Comme chez les Juifs de l’Antiquité, quand tous les cinquante ans, les dettes et les peines étaient pardonnées. Ne rêvons pas.

Et bien si justement, on pardonne bien aux banques qui nous ont offensés. Alors pourquoi ne nous pardonnerait-on pas aussi ?

Gabrielle Durana