vendredi 3 octobre 2008

Chronique n°8 Petits et Gros sont dans un bateau

Deux jours après le Sénat, la Chambre des Représentants vient d’adopter par 263 votes contre 171 la version modifiée du plan de sauvetage de 700 milliards de dollars du système financier américain. Il aura fallu quatre jours de psychodrame où il a plu des mauvaises nouvelles sans discontinuer (chiffres du chômage, ventes d’automobiles, prix de l’immobilier), pour que les agents économiques comprennent que, sauf à revenir au troc ou à un monde où les gens payent comptant leur voiture et leur maison, le système financier américain méritait d’ être sauvé par et pour ses usagers.

Pratiquement au même moment, les Européens vont se retrouver en sommet de crise à Paris pour essayer de s’entendre sur un plan de sauvetage de leur système financier. La faillite évitée de quatre grandes banques en moins d’une semaine a mis les pendules à l’heure. Dans une économie mondialisée, le battement de l’aile de Wall Street a provoqué un tsunami financier en Europe et ce ne sont pas les digues verbales de dirigeants bien intentionnés qui vont limiter les dégâts.

Analyser les deux situations en termes de théorie des jeux permet de mieux comprendre ce qui est en train de se dérouler sous nos yeux.

D’ abord le cas américain : nous étions dans le cas typique d’un jeu à deux coups avec trois agents : le Congrès, le Peuple et Wall Street.

Le Congrès a besoin du Peuple et peut sanctionner Wall Street.

Le Peuple a besoin de Wall Street et peut sanctionner le Congrès mais pas Wall Street.

Wall Street a besoin du Congrès et peut sanctionner le Peuple mais pas le Congrès.

Le Congrès est une émanation du Peuple mais a ses propres intérêts. On peut dire qu’ il est dans une situation d’ agence par rapport au Peuple (où le Peuple est le principal et le Congrès agit comme son agent).

Cela donne le jeu suivant :

Premier coup, lundi 29 septembre 2008 : le Congrès punit Wall Street. Wall Street punit le Peuple. Tout le monde est puni.

Les agents étant rationnels, ils comprennent que ce jeu conduit à l’ auto-destruction. On aboutit donc à un changement de comportement.

Au coup suivant : le Congrès aide Wall Street. Le Congrès a aidé le Peuple tout en assurant la prise en compte de ses intérêts. Le Peuple ne punira pas le Congrès. On a donc abouti à un jeu coopératif avec un happy end (sic): le monde n’ est pas annihilé, il pourra se reconstruire.

Maintenant, le cas européen.

Premier coup : d’emblée, le jeu s’ engage de manière non coopérative.

L’Irlande dit qu’elle garantira tous les avoirs déposés dans six de ses banques sans limitation de montant. Au même moment, le Royaume-Uni et la France relèvent leur maximum garanti.

Dans ce jeu, nous avons deux types de joueurs :

Les Gros Pays (France, Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Italie) peuvent sauver leurs banques eux-mêmes.

Les Petits Pays (Irlande, Belgique, Pays-Bas, etc.) sont trop petits pour sauver leurs banques tous seuls.

Les Gros Pays ne veulent pas payer pour les Petits Pays parce que leurs Peuples respectifs les puniraient.

Deuxième coup : le Président de la Banque centrale européennne et le Président de l’ Union européenne, lui-même membre d’ un Gros Pays, essayent de réunir un sommet qui rassemble les Gros Pays et les Petits Pays afin d’ instaurer un jeu coopératif.

La solution coopérative est supérieure à la solution non-coopérative mais elle est instable. D’abord parce que le jeu a déjà commencé. Ensuite parce que les Petits Pays n’accepteront de coopérer que si les Gros Pays les aident en cas de faillite.

Nous sommes donc dans un jeu de type dilemme du prisonnier :

Petit Pays coopère,
Petit Pays joue perso,
Gros Pays coopère,

Plan de 400 milliards est adopté, le gros contribuable a payé pour tout le monde. Le monde est sauvé.

Un plan de moindre envergure est adopté. Certaines banques font faillite. Coût pour la collectivité supérieur à 400 milliards.

Gros Pays joue perso,

Les banques des Gros Pays sont sauvées. Des banques de Petits Pays font faillite. Les Gros mangent les Petits. Le secteur se restructure sur un champ de dépouille. Sauve qui peut!

En réalité ni le Président de la Banque centralee, ni le Président de l’UE n’ ont d’ autorité pour forcer les Gros Pays et les Petits Pays à coopérer. En outre, les Gros Pays n’ ont pas tous un comportement homogène. Ils ont des stratégies propres.

Au total, je n’ ai pas de boule de cristal mais je crois pouvoir anticiper que la solution coopérative, quoique la plus souhaitabl, ne sera pas celle à laquelle aboutiront les représentants des Etats de l’ UE ce week-end à Paris.

Bon, si tout ceci est vrai, pourquoi la Bourse de New York a-t-elle clôturé aujourd’hui sur une baisse de 1,55% et le CAC 40 a, lu, connu une hausse de 2.96% ? Il y a de quoi en perdre ses dernières certitudes. Il y a un dicton à Wall Street : «You buy on the rumors and you sell on the news» (=vous achetez en fonction des bruits de couloir et vous vendez quand les nouvelles sont confirmées). Le Palais Brogniart a fermé boutique pour le week-end avant que le plan de sauvetage ait été soumis au vote à la Chambre des Représentants. Wall Street a ouvert en hausse de 200 points sur la rumeur que le plan serait adopté. Quand ce fut chose certaine, les traders ont pris leurs bénéfices. Le capitalisme n’ est pas soudain devenu altruiste.

Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved

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