Annonce du plan Geithner destiné à purger le système financier des actifs toxiques.
(En partant du fond : Larry Summers, conseiller spécial à l’économie de Barack Obama, trois prix Nobel d’Economie dans la famille, mentor de Timothy Geithner ; Christina Romer, professeur d’Economie à Berkeley et présidente du Council of Economic Advisers ; Timothy Geithner, Treasury Secretary, c’est à dire ministre des finances ; Barack Obama, président des Etats-Unis ; Ben Bernanke, gouverneur de la Fed, la banque centrale américaine)
Courrier des lecteurs :
Une lectrice de Berkeley m’écrit : « Il y a drum et Drumm. Drum, c'est un tambour. J'ai un peu cherché qui étaient les Drumm, et j'ai trouvé ceci :
Un lecteur de Rabat me demande ce que fait la Fed de tous les dollars qu’elle déchiquète. D’après la conférencière, mis à part des petits sachets donnés aux visiteurs, l’argent usagé est recyclé comme matériel d’isolation, transformé en bardeaux pour les toits –des sortes de planchettes utilisées en guise de tuiles dans certaines régions-, en bûches et en engrais.
24 mars 2009
Il y a peu de bonnes journées dans la vie d’un agent de change. La plupart alimentent un ressac vert pâle ou rosacé. Enfin, naguère. Ces temps-ci, le roulis plus dur, plus court, plus saccadé a rendu la traversée de Wall Street un périple ulyssien. Même les jours d’euphorie vous soulèvent l’estomac vide à hauteur des lèvres. Hier, l'indice Standard & Poor's 500 s'est envolé de 7,1 % au cours de ce qui fut la meilleure séance de cotation de ces cinq derniers mois. Depuis le 6 mars, qui avait marqué le nadir de mon incertitude, nourri de pessimisme et nimbé de désespoir, quand le Wall Street Journal publiait son papier au titre apocalyptique «le Dow Jones à 5000 points de base ?», depuis donc, les dix meilleurs titres financiers du S&P 500 ont progressé de 64%. Je sais qu’on peut faire dire n’importe quoi aux statistiques et pourcentage contre pourcentage, 17 mois après le début de la crise, les cours d’AIG et de Citigroup sont toujours en baisse de 90%.
Le 10 février, Geithner avait esquissé son plan pour stabiliser le système financier. Les marchés l’avaient jugé trop vague et le Dow Jones avait bu la tasse, salée, à -381 points. Finalement, hier, après 40 jours supplémentaires de tsunami, Geithner a expliqué son concept de partenariat public-privé visant à racheter des prêts liés à l'immobilier et les titres adossés. La reprise boursière, reprise de Panurge, elles le sont par définition, +6,76% au Nasdaq, +6,84% au Dow Jones, +3,44% au Hang Seng vaut donc approbation de la communauté boursière.
En quoi consiste le plan ? Les quilles de Geithner permettront-elles aux banques de sortir de l’onde océanique ? Ou entre Charybde et Scylla, allons-nous continuer à ramasser des pans d’AIG ?
La mauvaise foi, expliquait Sartre consiste à nier sa liberté. L’honnêteté intellectuelle oblige au contraire à établir qu’existent plusieurs solutions et à poser clairement celle que l’on choisit. Geithner demandait hier qu’on juge son plan par rapport à deux autres branches de l’alternative : l’inaction ou la nationalisation.
Le ministre des finances d’Obama déclarait dans sa conférence de presse : « Nous sommes les Etats-Unis, nous ne sommes pas la Suède. Nous avons un système financier très complexe. »[i] Il ajoutait : « Il règne un grand scepticisme dans le pays […] Le risque auquel nous sommes confrontés aujourd’hui est qu’après une longue période d’irresponsabilité et de prise de risque excessive, à présent le système ne veuille plus prendre suffisamment de risque. Or pour que le plan marche, les investisseurs doivent accepter de prendre des risques. »[ii]
En réalité, l’arbre de décision compte quelques autres branches.
Dans une première chronique, j’avais suggéré de ne pas gâcher l’argent du contribuable en recapitalisant des structures incurables et à la place de lancer de nouvelles banques, des « bonnes banques » : http://tsunamifinancier.blogspot.com/2009/02/chronique-65-la-bonne-paie-et-la.html
Dans une autre, j’avais effectivement montré que le sauvetage par la nationalisation, à la suédoise était une solution idéologiquement difficile dans l’univers mental capitaliste. Dans ce scénario, les actionnaires privés étaient liquidés et on concentrait tous les actifs toxiques dans une structure de défaisance, « la mauvaise banque » ; jusqu’à ce qu’ils arrivent à maturité, qu’ils soient enterrés ou vendus à prix cassés. Si vous voulez vous rappeler comment la France a utilisé le même mécanisme de socialisation des pertes pour éviter un risque systémique qu’aurait causé la faillite du Crédit Lyonnais, vous pouvez relire cette chronique de septembre : http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/09/chronique-n3-le-crdit-lyonnais.html
Une autre possibilité non moins dénuée d’enjeux idéologiques consistait à garantir les pertes des banques au-delà d’un certain montant, ce que j’avais appelé le ring fencing : on pose un grillage autour des actifs pourris pour protéger le bilan des banques. Au lieu de tomber sur l’actionnaire, la hache tombe cette fois sur le contribuable. Lisez, vous ne regarderez plus le plan, commencez-à-rembourser-votre-cuisine Dexia-dans-36-mois avec le même regard amoureux :
http://tsunamifinancier.blogspot.com/2009/02/chronique-68-mr-geithner-le.html
http://tsunamifinancier.blogspot.com/2009/02/chronique-68-mr-geithner-le.html
C’est une quatrième solution qu’a fait prévaloir Geithner.
J’ai toujours aimé nager. Quand j’habitais dans le quartier de Richmond, une sorte de 13ème arrondissement sans les tours, j’allais nager dans une piscine couverte, la piscine Rossi. Ici Tino ne fait pas pâmer les filles et la mer est à Malibu, 950 kilomètres plus bas ; sinon il faut être fêlé et s’entrainer entre les requins, dans l’eau glacée pour la course « Echappez-vous d’Alcatraz »[iii]. A l’entrée de la piscine, il y avait une sorte de thermomètre en bois, planté dans la pelouse qui montrait combien d’argent privé avait déjà été levé pour mettre aux normes le terrain de jeux adjacent. Si la collecte portait ses fruits, la municipalité donnerait l’autre moitié des fonds nécessaires à la réouverture du parc. Très différent, indeed, de la philosophie du jardin en bord de Seine, avec ses sculptures en plein air et ses couples amateurs de tango. Le plan Geithner c’est la même chose avec en plus un effet de levier.
Au passage, pour neutraliser la droite en exil qui aurait beau jeu de venir vous faire la morale, car la mémoire, comme une clef USB c’est tellement facile à s’effacer, on rebaptise les actifs pourris (toxic assets). Dorénavant, M Geithner parlera d’actifs hérités (legacy assets) et il distinguera les prêts hérités (legacy loans) des titres adossés à ces prêts (legacy securities).
L’idée est de coinvestir. Si le privé met un dollar, le public met un dollar. Avec ces deux dollars, vous pouvez par un effet de levier emprunter 6 fois plus. En tout vous avez 14 dollars. Les 12 dollars empruntés sont couverts en cas de perte par l’Etat, à travers le fonds de garantie mutuelle de la FDIC[iv].
Maintenant imaginez que la banque Junk veuille se défaire de son portefeuille méphitique de titres subprimes. Sur ces livres de comptes, le portefeuille vaut 100 dollars. Par une enchère inversée, (cela vous rappelle le Plan Paulson ? C’est que c’est … le plan Paulson), les acheteurs potentiels soumissionnent et le mieux disant l’emporte, disons –scenario hyyyyyyper optimiste- pour 84 dollars.
L’Etat met 6 dollars d’argent frais. Le privé met 6 dollars d’argent frais. 12 dollars sonnants et trébuchants vous permettent par effet de levier d’en emprunter 6 fois plus, soit 72 dollars, avec la caution de l’Etat. 72+12=84. La banque Junk est désintéressée. Elle a cédé ses titres méphitiques. Son bilan est devenu mirifique.
Le privé sachant gérer comme le boucher, le brasseur et le boulanger d’Adam Smith, c’est ce dernier qui collectera (servicing) pendant toute la vie des titres les mensualités auprès des emprunteurs. Il remboursera au fur et à mesure l’argent emprunté auprès du Trésor et de la Fed (les 72 dollars) et répartira le restant, 50-50, entre l’Etat et lui.
Se pose immédiatement la question du devoir de diligence ; je ne parle pas des voitures hippomobiles. Imaginons un fonds d’investissement qui veuille investir dans des titres mephitiques de la banque Junk, comment saura-t-il ce qu’ ils valent ? Normalement, il doit à ses clients d’ausculter les comptes de la banque Junk ou au moins le contenu du portefeuille méphitique. C’ est ce qu’ en anglais on appelle la due diligence, le soin appliqué, le contraire de la négligence.
On nous dit que la FDIC, le régulateur du système bancaire, conseillera les banques souhaitant se défaire de leurs créances à risque. Elle conseillera donc les vendeurs.
Mais qui veillera aux intérêts des acheteurs ? On nous explique que le programme lancé par la Réserve fédérale pour faciliter le refinancement des sociétés de crédit à la consommation (TALF) est élargi aux établissements détenant des créances immobilières et d'autres émissions garanties par des actifs. Donc pour avoir le droit d’emprunter les 72 dollars, ces actifs devront avoir été notés lors de leur émission "AAA", la meilleure note possible des agences de notation. Au cas où votre clef USB serait devenue amnésique, je vous invite à tout de suite recharger le fichier « agences de notation » dans la matrix :
Le corbeau honteux et confus avait juré que l’on ne l’y reprendrait plus.
Attendez ne partez pas, j’ ai gardé le meilleur pour la fin. Certains ont jugé injuste qu’ en cas d’échec, 93% des pertes soient essuyées par le contribuable, alors qu’ en cas de succès, le même n’encaisse que 80% des bénéfices. Ainsi dans l’exemple pris par Geithner, 72 $ empruntés + les 6 $ d’argent frais de l’Etat sont misés, soit 78/84èmes d’argent public dans le coût total de l’ópération, si elle est un désastre. En revanche, si tout va très bien Mme Geithner, l’investisseur privé lui recueillera 50% des bénéfices moins le remboursement de l’argent emprunté.
Bill Gross est au marché obligataire ce que Warren Buffet est au marché d’actions, un oracle qui cajole le gouvernement et dicte ses trois volontés sur quatre. A la tête de Pimco[v], il est le plus gros gestionnaire de portefeuille (money manager) au monde. L’automne dernier, il a forcé le gouvernement Bush à réorganiser l’ordre des créanciers lors des faillites, en remontant le rang des détenteurs d’obligations (bonds) au détriment des titulaires d’actions préférentielles (preferred shares). Puis il est allé faire les soldes.
Gross déclarait hier : “Ceci est peut-être la première mesure annoncée qui soit gagnant-gagnant et elle doit être saluée avec enthousiasme… Nous avons l’intention de participer et de jouer notre rôle pour rendre service à nos clients et aider le pays à sortir de la crise. Du point de vue de Pimco, nous sommes intrigués par la possibilité de gains à deux chiffres et l’opportunité de partager les profits non seulement avec nos clients mais avec le contribuable américain.[vi]“
Timothy Geithner dit d’une voix posée que la dite subvention est le prix à payer pour inciter le boucher, le brasseur et le petit boulanger à acheter des actifs toxiques, pardon, hérités. L’alternative selon lui c’est que le contribuable paye 100% au lieu de 93%.
Quand on lui posait la question de savoir à partir de quels paramètres, il jugerait du succès de son plan, il a répondu : « le meilleur indicateur sera de voir que les gens peuvent recommencer à emprunter, de voir comment évolue le coût du crédit et le prix de ces actifs »[vii].
Je vous laisse juge. Et je passe à la question suivante, l’ultime, la question ontologique. Combien vaut vraiment l’héritage ?
Paul Krugman rappelait le week-end dernier dans le New York Times que les plans Geithner du printemps et Paulson de l’automne partagent la même croyance qui est que « les actifs pourris valent en réalité beaucoup plus que ce que le marché est prêt à en donner aujourd’hui ». Il s’agit donc d’utiliser l’argent du contribuable pour mettre en place un mécanisme de « révélation du juste prix ».
Si en mettant à profit l’expertise de Pimco, on se rend compte que le plan ne marche pas, on aura juste perdu du temps au rythme de 600.000 emplois par mois. Si le plan marche en revanche, et bien l’histoire n’est pas très morale, mais comme disait Garcia Marquez, nous « vivrons pour la raconter »[viii].
Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved
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[i] “Now we are the USA. We’re not Sweden. We have a very complicated financial system”.
[ii] “There is deep skepticism across the country.[…] The great risk we face now is that after a long period of irresponsibility and excessive risk taking, that the system will not take enough risk now. And for those programs to work, investors have to be prepared to take risk”.
[iii] http://www.escapefromalcatraztriathlon.com/site3.aspx
[iv] La FDIC est un organisme créé par Roosevelt pour éviter les paniques bancaires. Traduit littéralement, son nom signifie Commission fédérale d'assurance des dépôts bancaires.
[v] Pacific Investment Management Co
[vi] “This is perhaps the first win-win-win policy to be put on the table and it should be welcomed enthusiastically…We intend to participate and do our part to serve clients as well as promote economic recovery. […] From Pimco’s perspective, we are intrigued by the potential double-digit returns as well as the opportunity to share them with not only clients but the American taxpayer.”
[vii] “The best metric is to watch what happens to the capacity of people to borrow, and the price of credit and the price of these assets”.
[viii] “Vivir para contarla” (2002)
[i] “Now we are the USA. We’re not Sweden. We have a very complicated financial system”.
[ii] “There is deep skepticism across the country.[…] The great risk we face now is that after a long period of irresponsibility and excessive risk taking, that the system will not take enough risk now. And for those programs to work, investors have to be prepared to take risk”.
[iii] http://www.escapefromalcatraztriathlon.com/site3.aspx
[iv] La FDIC est un organisme créé par Roosevelt pour éviter les paniques bancaires. Traduit littéralement, son nom signifie Commission fédérale d'assurance des dépôts bancaires.
[v] Pacific Investment Management Co
[vi] “This is perhaps the first win-win-win policy to be put on the table and it should be welcomed enthusiastically…We intend to participate and do our part to serve clients as well as promote economic recovery. […] From Pimco’s perspective, we are intrigued by the potential double-digit returns as well as the opportunity to share them with not only clients but the American taxpayer.”
[vii] “The best metric is to watch what happens to the capacity of people to borrow, and the price of credit and the price of these assets”.
[viii] “Vivir para contarla” (2002)