J'ai temporairement détourné un jet qui attendait sur le tarmac d'Ezeiza pour vous ramener à Washington. Depuis deux jours, une commission parlementaire examine les erreurs de régulation ayant conduit à la crise. Hier, elle avait invité les PDG des agences de notation financières Moody's, Standard & Poor (oui, oui, le même que l'indice des 500 valeurs de la bourse de New York) et Fitch à venir expliquer comment des obligations notées triple A avaient pu se convertir en citrouille pourrie, un beau jour d'août 2007. Aujourd'hui, c'était au tour d'Alan Greenspan, l'ancien oracle, pardon président de la Fed (avant Ben Bernanke), de John Snow, l'ancien ministre des finances (avant Hank Paulson) et de Christopher Cox, le directeur toujours en fonction de la Securities Exchange Commission, le gendarme de la Bourse, de répondre de leurs actes.
Premier tableau : hier, le président de la commission lit un courriel entre deux salariés de S&P:
- Au fait, ce deal c'est du n' importe quoi.
- Oui, je sais. Les paramètres du modèle ne capturent pas la moitié du risque.
- On ne devrait pas noter un truc pareil.
- Ici, on note même les obligations émises par les vaches.
- Mais il y a trop de risque associé. Personnellement, je me sens mal à l'aise de donner mon aval.
Les agences de notation financière ont pour rôle d'évaluer le risque de défaillance d'un émetteur de dettes financières. Elles sont au cœur du système d'information qui permet aux investisseurs de faire des choix rationnels sans avoir à passer des heures et jours à visiter les entreprises, à lire toutes les annexes hors bilan après avoir pris des cours du soir d'expert-comptable. Le travail est délégué à des établissements spécialisés qui notent les émetteurs ; du triple A (excellent investissement sans risque) au D (investissement voué à la perte). Pour un barème détaillé des notes, voyez ici :
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c3/Main_Credit_Ratings.png
Les agences publient aussi des notes de «perspectives» sur l' évolution probable des émetteurs et une «liste de surveillance» d'émetteurs dont la note peut être revue à la baisse subrepticement. Toute cette analyse revêt le sceau du sérieux, de l'indépendance et de l'impartialité.
Que diriez-vous si les producteurs de films payaient les critiques et que leurs articles étaient ensuite utilisés comme publicité? Il y aurait comme un conflit d'intérêt… C'est exactement la manière dont les choses se passent jusqu'à maintenant. En effet, les agences de notation sont payées par les émetteurs d'obligations (une solution plus saine serait que les agences soient payées par les investisseurs).
«The story of the credit rating agencies is a story of colossal failure» (=l'histoire des agences de notation financière est l'histoire d'un échec colossal), s'écriait M.Waxman, le président de la commission d'enquête. «The rating agencies broke this bond of trust, and federal regulators ignored the warning signs and did nothing to protect the public» (= les agences ont bafoué la confiance du public et les institutions chargées de la régulation se sont bouché les oreilles et n'ont rien fait pour protéger les gens), continuait de tonner le parlementaire.
En fait, en 2006, en plein délire dérégulateur, la SEC avait cherché a instiller plus de compétition entre les agences, ce qui n'a fait que créer plus d'effets pervers: les agences faisant monter les notes pour gagner des parts de marché face aux concurrents.
Un ancien cadre de S&P expliquait hier qu'une meilleure modélisation du risque des prêts hypothécaires n'avait pas été adoptée pour des raisons budgétaires. S&P contrôlait déjà 92% des parts de marché des titres liés aux prêts immobiliers aux Etats-Unis. Investir dans un meilleur modèle n'aurait pas généré un accroissement du profit.
Le plus incroyable furent les témoignages des PDG des trois agences, S&P, Fitch et Moody's qui se partagent le marché. En bloc, ils ont nié toute responsabilité dans le scandale des subprimes. Et d'égrener une longue liste de garde-fous qui existent au sein de leurs établissements. «Nous ne sommes pas les seuls à avoir été surpris par la baisse des prix de l' immobilier» déclarait le PDG de S&P. On était replongé en 2002 dans les audiences devant le juge pénal après l'effondrement d'Arthur Andersen, l'entreprise qui avait conseillé de la main droite et certifié les comptes de la main gauche d' Enron, de Wordlcom et tutti quanti.
Deuxième tableau : M.Alan Greenspan, président de la Banque centrale américaine de 1987 à 2006, déclarait ce matin devant la commission d'enquête : "I'm shocked, shocked, to find gambling here"(=Je suis choqué, choqué, de trouver qu'on s'adonne au jeu, ici).
Non, en fait, ça c'est le capitaine Louis Renault dans Casablanca. Le témoignage écrit que le banquier a lu devant les parlementaires disait qu'il était "in a state of shocked disbelief" (=en état de choc et d' incrédulité). Mais il ajoutait : «We are in the midst of a once-in-a century credit tsunami.» (=Nous sommes au milieu d' un tsunami du crédit, comme il s' en produit un par siècle).
Greenspan a attribué les excès sur le marché des titres immobiliers à un engouement excessif, une demande intarissable de la part des investisseurs et à leur manque d'esprit critique face aux avis des agences de notation. Il a reconnu qu'on ne sortirait pas de la crise tant que les prix de l'immobilier ne se seraient pas stabilisés. Il a considéré que dans l'ensemble les marchés avaient bien fonctionné, même s'il convenait de réguler les Credit Default Swaps (qui feront bientôt l'objet d' une chronique séparée). Quand le démocrate Waxman lui a demandé droit dans les yeux : «Avez-vous eu tort en ce qui concerne les effets bénéfiques de la dérégulation?», l'ancien oracle a répondu : «En partie».
Demain, je vous emmène voir à quoi ressemble une erreur partielle au Brésil.
Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved
vendredi 24 octobre 2008
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