mercredi 17 septembre 2008

Chronique n° 1 Le renard libre dans le poulailler libre

Un de mes amis artiste plasticien me disait au mois de mars dernier, quand la banque d’ investissement Bears Stern, au bord de la faillite, venait d’ être rachetée pour une bouchée de pain – à l’ échelle du capitalisme- par JP Morgan qu’ il n’ avait pas peur de la crise. Son existence d’ « avant la crise » : il gagnait 21.000 dollars par an en travaillant comme manutentionnaire dans une galerie d’ art, partageait un appartement avec 4 autres personnes dans le quartier bon marché de la Mission et la dernière fois qu’ il avait dû se rendre aux urgences après s’être fait agressé par un toxico en manque, il avait préféré marcher plutôt que d’ appeler une ambulance qu’ il n’ aurait pas eu les moyens de payer. « Come on recession ! I’ll take you on » plaisantait-il. (Approche la crise. Viens que je te casse la gueule).

Bien sûr me direz-vous, la vie de Bohème … Fernande Olivier ne racontait-elle pas dans ses mémoires que Picasso et elle étaient tellement pauvres quand ils vivaient au Bateau-Lavoir qu’une fois elle était restée dans la chambre sans sortir pendant six mois car elle n’ avait pas de chaussures ? Mon pote, lui mange au restaurant indien tous les midis. Mais tout le monde n’est pas prêt à payer le prix d’ être pauvre pour devenir artiste. En fait, les classes moyennes aspirent à assurer la sécurité matérielle à leur famille grâce au travail et à l’ épargne. Le tsunami financier les fera-t-elle basculer dans le cauchemar assisté des travailleurs pauvres ?

La Bourse de New York a perdu 500 points il y a deux jours, en a récupéré 140 hier et va en reperdre 450 aujourd’hui. Elle est tombée sous la barre des 11.000 points, en recul de 35% par rapport à octobre 2007. En 1987, lors du lundi noir, la Bourse avait perdu 22,6% en une seule séance. En 1929, entre le jeudi 22 octobre, le jeudi noir et le 13 novembre, elle avait baissé de 39%. Ne polémiquons pas sur le fait que John McCain, le candidat républicain à l’ élection présidentielle de novembre dit que les fondamentaux de l’ économie américaine sont solides. Le plus important est qu’ en dépit de toutes les mesures introduites pour mâtiner la panique, la situation ne semble pas s’ améliorer.

C’ est la fin d’ une époque. L’ économie mondiale, impulsée par les Etats-Unis a connu plusieurs vagues de laissez-faire et d’ interventionnisme depuis la révolution industrielle. La dernière vague avait été initiée par Reagan au début des années 80. L’ idée était de « libérer les forces du marché » des fers de l’ Etat. Les Chicago boys voulaient tout déréguler, des aiguilleurs du ciel au taux d’ usure, à l’ électricité. Passons sur le fait que leur politique budgétaire était keynésienne (répondre à la crise en soutenant la demande avec du déficit budgétaire, notamment un énorme budget militaire). Passons sur le fait que la politique monétariste qui en luttant contre l’ inflation a surtout favorisé le capital. Concentrons-nous sur l’ Etat-arbitre, sur le fait que les lois anti-trust et les autorités de contrôle ont été en grande partie éviscérées de tout pouvoir régulateur. Bonant malant, la même philosophie hayekienne a prévalu chez les deux partis de gouvernement. Dans l’ euphorie de la croissance, elle a conduit à démanteler, sous Bill Clinton, le Glass-Steagall Act en 1999, qui avait été instauré en 1933 pour protéger les épargnants contre une excessive spéculation et qui interdisait aux banques de dépôt d’ être aussi des banques d’affaires.

Le 11 septembre a forcé les idéologues du roll back the state à faire des fonctionnaires des salariés des aéroports. La crise de l’ électricité en Californie au début des années 2000 a aussi montré que le marché ne savait pas d’ autoréguler. Pour apaiser le public après les scandales de Worldcom et d’ Enron, la loi Sabarnes-Oxley a été adoptée pour créer un peu de transparence dans le marché. A l’ époque, les mêmes ont dit que ces lois créaient un désavantage pour la place de New York et que le capitalisme mondial allait se recentrer sur Londres .

La victoire des Démocrates en novembre 2006 qui disposent de la majorité aux deux chambres, puis l’explosion de la crise des subprimes en août 2007 sonnent l’ heure d’un retournement de balancier.

Il n’ est pas sans ironie que ce soient deux Républicains notoires, le président de la Fed, Bernanke et le Secrétaire au Trésor, Paulson qui se retrouvent à nationaliser les compagnies de refinancement de crédits hypothécaires Freddie Mc et Fanny Mae, et AIG, la plus grande compagnie d’ assurance au monde. Ce pragmatisme s’ explique par le fait que toutes ces institutions sont trop grosses pour les laisser tomber (too big to fail) et que leur faillite risquerait de créer un risque systémique c’ est à dire de faire s’ effondrer tout le système financier.
Ce qui me ramène à ce que Keynes appelait l’ économie de casino. Lehman Brothers dont la Barclays est sur le point de racheter les actifs pour une bouchée de brioche avait emprunté l’ équivalent de 30 fois son capital. Tout comme Merril Lynch et Bear Stearns, Lehman Brothers et les autres banques d’ affaires n’ étaient pas sujettes aux mêmes obligations en termes de ratios sur fonds propres que les banques de dépôts. Après 1999 et l’ abolition de la loi Glass-Steagall, certaines banques de dépôt se sont lancées dans le monopoly, telles UBS ou Citigroup. D’ autres, souvent faute de position concurrentielle et non par désir de modérer leurs profits sont restées sur le bord du chemin et ont gagné moins d’ argent dans le secteur hyper-lucratif des nouveaux instruments financiers. Mais c’ est bien le coussin d’ amortissement de leurs fonds propres qui est en train de permettre à ces banques de dépôt historiques, comme Bank of America ou Wells Fargo de mieux s’ en sortir et même de s’ offrir les dépouilles dorées de leurs concurrents moins chanceux.

Toute cette histoire n’ est pas très morale. Alors que le PDG de Morgan Stanley dont les actions viennent de plonger de 25% et de 55% en un an ramènera à la maison plus de 200 millions de dollars cette année, beaucoup d’ épargnants qui ne sont pas boursicoteurs ont perdu les économies de toute une vie. Si l’ on combine le too big to fail et l’ économie de casino, cela donne la formule suivante : tant que tout ca bien on privatise les profits et quand ça va mal on socialise les pertes. Au final, j’ espère que les Démocrates gagneront les élections en novembre et que la loi qui est le seul instrument efficace pour réguler le marché, la loi rétablira un peu de justice. Entre faible et le fort, c’ est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. Combien de temps allons-nous continuer à regarder le renard libre manger les poules libres dans le poulailler libre ?

Gabrielle Durana chroniques du tsunami financier all rights reserved

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