Comme en 1929, la crise financière partie des Etats-Unis arrive en Europe. Le sérieux du danger est devenu tangible le week-end dernier quand trois banques européennes ont dû être secourues par leurs autorités de tutelle respectives : Bradford & Bingley au Royaume-Uni, Fortis au Bénélux et Hypo Real Estate en Allemagne. Ces trois exemples et particulièrement celui de Fortis illustrent la complexité de répondre à une situation de credit crunch quand la crise frappe des banques qui ont une activité à cheval sur plusieurs Etats. La Banque centrale européenne, à la différence de la Fed, n’est pas un vraie banque fédérale dans toute la plénitude de ses prérogatives. Elle n’ a donc pas tous les instruments pour répondre à une crise de ce type.
Une banque centrale a plusieurs rôles. Sa mission principale est de définir et de mettre en place la politique monétaire. Cela peut vouloir dire la stabilité des prix only, comme pour la BCE, ou deux missions, la stabilité des prix et la croissance, comme la Fed aux Etats-Unis. Le principal instrument à sa disposition est d’avoir le pouvoir de fixer le taux de base directeur, c’est-à-dire le taux d’ intérêt auquel les banques empruntent pour ensuite reprêter. La banque centrale a aussi deux autres rôles : elle doit surveiller le système bancaire et elle sert de prêteur en dernier ressort. Si votre banque fait faillite, vous n’aurez pas perdu l’argent qui était sur votre compte. Cette dernière mission crée les conditions de confiance sans lesquelles à la moindre rumeur, tout le monde courrait retirer son argent, or comme les banques font des prêts à partir d’un multiplicateur de leurs dépôts, le système serait extrêmement fragile.
La Banque centrale européenne est responsable de la monnaie commune et elle a hérité des banques centrales nationales la conduite de la politique monétaire. En revanche, l’établissement de la législation et la surveillance des banques commerciales sont encore largement le domaine, jalousement gardé, des banques centrales nationales. La troisième mission non plus n’a pas été transférée. La Banque centrale européenne n’est pas prêteur en dernier ressort. Elle coordonne simplement les efforts des banques centrales nationales. Elle peut injecter des liquidités comme hier, les 120 milliards d’euros, pour éviter qu’une banque ne soit prise à la gorge, mais cela relève de sa première mission, la politique des taux.
Ce dispositif est aujourd’hui inadapté. Les banques commerciales européennes font de plus en plus d’affaires en dehors de leur pays d’ origine (En 2006, 24% de leurs actifs étaient détenus dans un autre pays de l’ UE, contre 11% en 1997). Sans compter que seuls 15 pays sur 27 font partie de la zone euro.
Le cas du bancassureur Fortis est particulièrement intéressant parce qu’il illustre les nouveaux défis auquel doit faire face le système financier européen.
Fortis est un groupe bancaire dont le capital est détenu principalement par des actionnaires belges et néerlandais, mais aussi luxembourgeois et chinois. Les actifs de Fortis s’élevaient au 30 juin 2008 à 974 milliards d’euros. Pour avoir un ordre de comparaison, la Belgique a un Produit intérieur brut de 331 milliards d’ euros en 2007. Fortis est donc non seulement too big to fail, mais aussi too big pour être secourue par un seul pays de la taille de la Belgique. Cela tombe bien dans la mesure où le Benelux a une longue tradition de coopération politique et que la Belgique et les Pays-Bas ont un traité bilatéral qui prévoit qui fait quoi en cas de faillite d’une banque transnationale.
Ce qui me ramène au rôle de prêteur en dernier ressort. Il ne consiste pas à sauver toutes les banques par principe. En fait, les banques centrales se retranchent derrière une prudente ambigüité qui a pour but de distiller la confiance sans encourager les comportements irresponsables. En clair, une banque centrale éliminera les banques insolvables (comme la Fed a fait pour les caisses d’ épargnes en 1987) mais viendra au secours des banques illiquides (comme la Fed a fait vendredi dernier pour Washington Mutual). Mais l’exemple de la faillite de Lehman Brothers montre que la distinction entre banques insolvables (trop d’ actifs pourris ou dépréciés) et banques illiquides (besoins de liquidités et l’argent existe mais n’est pas immédiatement accessible), n’est pas toujours aussi facile à établir. Lehman Brothers a fait faillite et la semaine suivante la Fed et le Trésor, prenant la mesure de la gravité de la situation, sont intervenus pour sauver Merril Lynch.
A partir de quand une créance cesse-t-elle d’être bonne et commence-t-elle à sentir le pourri ? Il suffit de regarder ce qui est en train de se passer avec des multinationales comme General Electric qui ont été forcées d’emprunter auprès de la Fed pour financer leurs tiroir-caisse (l’équivalent de « vous êtes à découvert jusqu’ à la fin du mois… »). Si le credit crunch ne desserre pas son étau, les gens n’obtiendront plus de prêts, General Electric ne vendra plus ses produits et ne gagnant plus d’argent, l’entreprise ne pourra plus faire face à ses obligations. Les bonnes créances seront devenues mauvaises.
Mais revenons à Fortis. L’année dernière, la banque s’était alliée à la Royal Bank of Scotland et au Banco de Santander pour acquérir ABN Amro pour un prix de 73 milliards d’euros. Avec la combinaison de la crise des subprimes et du credit crunch, sa part, estimée à 24 milliards d’euros, a perdu 71% de sa valeur. Le week-end dernier après que la BNP Paribas et ING Group aient décliné l’offre de reprise, la faillite, faute de liquidité, devenait inévitable. Les banques centrales du Benelux ont donc joué le rôle de prêteur en dernier ressort et ont renfloué Fortis à hauteur de 11,2 milliards d’euros. Elles sont désormais actionnaires et peuvent espérer vendre les actifs quand ils arriveront à maturité, ce qui devrait rapporter, peut-être, des bénéfices aux contribuables des deux pays.
Just for the sake of reasoning... Que se serait-il passé si au lieu de Fortis cela avait été ABN Amro qui s’ était vue prise à la gorge par le credit crunch ?
Si la fonction de prêteur en dernier ressort n’est pas prise en main au niveau européen par la BCE, sur qui retombe la responsabilité de venir au secours des banques défaillantes ? Aurait-ce été aux contribuables espagnol et écossais de faire un chèque pour sauver de lointains actifs, disséminés un peu partout en Hollande? Ouh, l’idée européenne n’avait déjà pas la cote... A la différence du Benelux, les liens entre l’Ecosse et l’ Espagne sont lâches. Lorsque les impôts fédéraux payés en Californie servent à réparer pour la millième fois les fronts de mer bâtis en Floride, le contribuable californien hurle mais il espère bien que le jour où la Faille de San Andreas se réveillera et que le Grand-Tremblement-de-Terre-que-tout-le-monde-attend, dont moi, avec mon kit de survie de la Croix Rouge au pied du lit, dévastera tout, les Floridiens mettront la main à la pâte. La solidarité joue parce que c’ est le même peuple, le même pays et parce qu’il y a un gouvernement fédéral pour opérer les transferts. On voit bien les limites de la comparaison avec l’ Union européenne.
Tandis que la préservation du système financier européen requiert d’adapter la législation de la zone euro à la réalité de firmes de plus en plus transnationales, l’élargissement des missions de la BCE au rôle de gendarme du système bancaire et de prêteur en dernier ressort risque de se heurter à la myopie et à l’égoïsme des agents économiques.
On oublie souvent que ce qui a transformé des Etats unis en Etats-Unis, c’est la défaite militaire des "souverainistes" (le terme est anachronique) lors de la Guerre de Sécession. Notre «union sans cesse plus étroite entre les peuples» est aussi scellée par le sang versé de deux guerres mondiales. Mais le processus n’a pas eu de moment paroxystique. C’est sa chance et sa faiblesse. Les Andalous et les habitants de Bratislava, les sujets de Ses Majestés Britannique et Suédoise se sentent une destinée commune mais assez peu un portefeuille joint.
Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved
mardi 30 septembre 2008
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