mardi 23 septembre 2008

Chronique n°4 Wall Street contre Main Street

Je constate que Le Monde ne parle de la crise financière mondiale que pour invoquer les incantations de Sarkozy à punir la finance malfaisante. Aucun intérêt. Ce qui est en train de se jouer est pourtant fascinant tant d' un point de vue économique que politique. C' est aussi une excellente leçon d' opposition constructive.

Depuis cinq jours, le plan de sauvetage du système financier américain, et par là mondial, est en pleine discussion entre d'une part les républicains Henry Paulson (Treasury Secretary), Ben Bernanke (président de la Fed), Chris Cox (président de la SEC, qui surveille la Bourse) et d'autre part le Parlement américain, à majorité démocrate. Pendant qu' on discute, la mer ne se retire pas, elle avance : hier la Bourse perdait 372,75 points. Le gouvernement Bush dit qu'il faut vite signer, sans chipoter et sans faire de politique politicienne, le chèque de 700 milliards de dollars. Le Parlement américain rétorque : un sauvetage, ok, mais pas n' importe comment.

1) Qui aide-t-on ? Wall Street vs. Main Street

Dans le premier brouillon tel que rédigé ce week end par l' équipe de Paulson, l'opération de sauvetage s' appliquait à tout Wall Street c' est-à-dire à toutes les institutions financières présentes sur le territoire américain sans distinction. La définition d' une institution financière n'est pas qu' une subtilité sémantique. Inclut-on les hedge funds (fonds spéculatifs), dont beaucoup vont commencer à exploser à la fin du mois de septembre quand les dates de lock-up (temps pendant lequel les fonds sont bloqués en échange de la promesse de profits mirifiques) arrivent à maturation et que les investisseurs inquiets retirent leurs fonds ? Inclut-on les "fonds vautours" qui en ce moment rachètent les actifs pourris à raison de 22 centimes pour une valeur nominale d'un dollar et qui demain pourraient les revendre à un cours de 65 centimes au Trésor américain, tout ça royalement payé par le contribuable ?

En écoutant Paulson et Bernanke ce matin répondre devant la commission des finances, il était rassurant de voir que la définition avait évolué pour n'inclure désormais que les institutions financières régulées, c' est-à-dire les banques de dépôt et les caisses d' épargne (il ne reste plus de banques d' affaires aux Etats-Unis, depuis qu' il y a deux jours Goldman Sachs et Morgan Stanley ont changé leurs statuts et se sont transformées en banques de dépôt afin de se recapitaliser). Mais la question de l'effet d' aubaine pour des fonds rapaces n'était pas tranchée (concrètement, il faudrait inclure une clause qui vous interdit de revendre vos actifs au Trésor pour un prix supérieur à celui auquel vous les avez achetés).

A 42 jours des élections présidentielle mais aussi législatives, le Congrès a rappelé au gouvernement que les grands oubliés dans le brouillon de Paulson étaient les gens endettés qui sont en train de perdre leur maison et la population américaine en général (Main Street). Ce à quoi il a d'abord été répondu qu' il fallait gérer l' urgence et que seule Wall Street était en train de s'effondrer et que s'il fallait tomber d'accord sur tout, on ne tomberait d'accord sur rien et que pendant ce temps-là, l'eau ne se retirait pas des terres. On verrait Main Street plus tard (après les élections ?). Donc, signez là. Mais si les parlementaires ont hâte de retourner à la fin de la semaine dans leurs circonscriptions, tous comprennent qu' il serait suicidaire de rentrer sans avoir pris en compte les intérêts de l' électeur/contribuable.

2) Le processus de défaisance

Dans le premier brouillon, Paulson se voyait conférer les pouvoirs extraordinaires d' acheter et de vendre des actifs pour un montant de 700 milliards de dollars, sans aucun contrôle a priori ou a posteriori ni par le Congrès ni par le pouvoir judiciaire. C' était écrit noir sur blanc ; calqué sur ce qui s' était passé après le 11 Septembre en matière de sécurité intérieure.
Outre le montant astronomique du chèque, son ordre était donc laissé en blanc. On allait embaucher des experts pour estimer à leur juste prix ces instruments financiers très complexes et M. Paulson les vendrait à qui bon lui semblerait. Après la débâcle, ç'aurait été la curée ; car qui sont les experts ? Les propres concepteurs de ces produits financiers, bien sûr, qui traversent des moments difficiles et pourraient mettre un peu de beurre dans les épinards en reprenant du service comme consultants externes.

Après les cris de colère du Parlement, pas seulement de la part des démocrates, Paulson et consorts ont accepté le principe d' un contrôle des décisions du Trésor.

Le prix de rachat des actifs reste la pierre de touche de toute la négociation. Trop bas, il ne résoudrait pas la crise actuelle, car les institutions détentrices et éligibles n' auraient aucune incitation à se défaire de leurs actifs dévalués, certes, mais pas à ce point-là. On risquerait alors d' avoir des banques zombies, sous-capitalisées, avec des bilans dépréciés qui continuent d'opérer sans mourir et sans espoir de rétablissement. Cela peut durer dix ans, comme au Japon dans les années 1990. Si le prix est trop élevé, on récompense l' échec. C'est l'effet d' aubaine total. L' économie de casino a pris en otage le système et au nom du too big to fail, elle quitte la table avec sa liasse de billets et la collectivité récupère un château de cartes écornées.

Pour résoudre ce dilemme, le président de la Fed propose un système de ventes aux enchères inversé. Imaginez, vous êtes sur le site d' American Express. On propose une semaine de vacances à Hawaii dans un cinq étoiles pour 10.000 $. A ce prix-là personne n' en veut. On peut trouver la même chose sur Orbitz pour 2500$. Le commissaire-priseur continue de baisser le prix. Quelqu' un veut-il de mes vacances de rêves pour 5000$ ? Pour 4000$ ? Finalement, le séjour part à 2300$.

Dans la crise actuelle, les produits mis en vente sont beaucoup plus techniques et difficiles à comprendre, d' où le recours aux experts pour estimer leur objet et a fortiori leur valeur. Bernanke, ce matin, expliquait que la structure de défaisance aurait le temps et les moyens de conserver les actifs jusqu' à ce qu'ils arrivent à maturation et que donc leur prix serait proche de la valeur nominale car entre temps, les prix de l' immobilier auraient remonté. C'est comme si le gouvernement de la Hollande du 17ème siècle se voyait dire que s'il conservait les bulbes de tulipes assez longtemps, les prix allaient finir par remonter. Oui, mais au bout de combien de siècles ?

Un autre point qui semble technique mais qui est hautement politique : dans le brouillon de Paulson, le Trésor devenait acquéreur des actifs pourris mais pas des entreprises qui détiennent ces actifs. Lors des épisodes précédents de faillite du système, que ce soit dans les années trente, ou après la crise des caisses d' épargne, la structure de défaisance avait pris le contrôle des banques. Cette fois-ci on joue sur les mots en justifiant de ne pas entrer dans le capital des entreprises secourues en vertu du fait qu' elles n'ont pas fait faillite. De son côté, le Congrès américain réclame qu' un système de warrants soit appliqué pour que si l' entreprise se rétablit, on socialise les gains. Cela a été le cas en 1979 quand le gouvernement avait aidé General Motors. Cela vient d' être aussi le cas pour l' assureur AIG. Si l' entreprise s' en sort, l' Etat devenu actionnaire fera des bénéfices.

On est en est là. L' eau continue de monter, moins 158 points aujourd'hui, mais l' accord est proche.

Deux points restent encore en débat : l' instauration d' un salaire plafond pour les PDG des banques secourues (il pourrait être l' équivalent du salaire du Président des EU, soit 400.000 $ par an) et le pouvoir donné aux juges des faillites de changer les termes des emprunts sur les maisons saisies. Soit en ajustant le montant du prêt à la valeur dépréciée de la maison, soit en touchant aux termes ou au taux d’intérêt.

Le renard libre refuse de signer et est en train de saccager le poulailler. Les poules ne seraient plus libres, où va le monde ? Le Congrès lui répond : ce sera le prix à payer pour qu' il y ait encore des poulaillers.

Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved

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