Chaque matin, je prends mon petit déjeuner en regardant mon reality-show sur Wall Street TV. Il y a du suspens, de la cruauté, beaucoup d’argent en jeu. Le candidat Morgan Stanley va-t-il se faire virer aujourd’hui ? Et demain, sera-ce le tour du premier de la classe, Goldman Sachs, lui qui semblait si indifférent quand les punitions pleuvaient sur ses petits camarades ? Vous gagniez 17.000 dollars de l’ heure ? J’ en suis fort aise. Et bien maintenant pleurez !
Pour parler de la crise financière actuelle, faut-il filer la métaphore du cancer et de ses métastases, celle de la tragédie grecque, de l’ hybris et de ses héros maudits, celle de l’Apocalypse ou comme j’ ai commencé hier à le faire, celle du tsunami financier ? Peu importe, les mots reflètent la gravité de la situation et la peur qui s’en dégage. Nous sommes en train d’ assister à deux phénomènes : J’expliquais hier que Lehman Brothers avait emprunté l’équivalent de 30 fois son capital. Je n’ai pas précisé que pour Morgan Stanley ce ratio était de 27,6 et pour Goldman Sachs de 23,7. Cet effet de levier (leverage) n’ est pas complètement déraisonnable pour le secteur. Pour donner un exemple les hedge funds ont un ratio de 50. Le problème c’ est que quand tout le monde s’ y met cela fait monter les prix des actifs mais l’ effet de richesse est en grande partie fictif. Il n’ y a réellement création de richesse que si la maison qui est au bout de la chaîne de titrisation est vraiment remboursée jusqu’ au dernier centime par son propriétaire. Sinon, l’effet de levier conduit à ériger des châteaux de carte dans les nuages.
Depuis 13 mois, avec pour le moment trois phases (1ère phase en aout 2007, avec l’explosion du problème des subprimes ; deuxième phase : mars 2008, rachat in extremis de la Bear Stearns ; troisième phase depuis une dizaine de jours), nous assistons au long et douloureux phénomène de deleveraging. Il faut désarmer la dette, comme on désarme un fusil, on cloue un canon. Il faut débobiner la dette qui a des nœuds partout dans un système financier, qui ne tient que par quelques fils. Ma foi, ce ne sont pas des travaux de couture.
La crise ne passera pas tant que le processus de désarmement de la dette n’aura pas eu lieu. Ce n’est pas comme à Orly quand ils envoient un petit robot pour faire exploser le sac à dos au pied de la poubelle tandis que l’ armée maintient un cordon de sécurité. Alors, comment fait-on ? Il faut que les institutions financières liquident les actifs douteux qu’elles ont acheté avec l’argent emprunté. Il faut qu’elles remboursent leurs dettes et reconstituent un coussin amortisseur de fonds propres.
Tout ceci est plus facile à dire qu’à faire. D’abord comment vendre des actifs dont le prix a baissé quand tout le monde vend aussi ? Forcément, la loi de l’ offre et de la demande fait plonger le prix de ces actifs déjà dépréciés. On obtient l’ effet inverse de celui recherché avec une sorte de tunnel infernal qui nous mène droit à plus de catastrophes. C’ est précisément cet effet pervers qui a dissuadé pendant des mois beaucoup d’ institutions de se délester en masse de leurs actifs douteux.
A ce problème s’ en ajoute un autre : le credit crunch. Lorsque vous êtes pris à la gorge par vos dettes, si vous ne pouvez pas vendre l’argenterie pour payer le loyer, vous cherchez à emprunter à n’importe quel prix auprès d’un prêteur sur gages ou de la mafia. Ici, ce n’ est pas un film noir, et la banque centrale a bien étudié son histoire économique, donc elle a injecté d’énormes quantités de liquidités. Cela dit, les sommes semblent chaque jour plus vertigineuses, mais comme le désarmement de la dette continue, on dirait que c’est comme si on arrosait le désert avec une pipette d’ eau. Aujourd’hui la Bourse remonte de 417 points mais la terre aura-t-elle absorbé l’embellie demain matin ?Combien de temps cela va durer ? Le temps qu’il faudra ; car la banque centrale a le droit de battre monnaie. Encore et encore et encore.
Au secours, l’inflation revient. Pour l’instant les conséquences d’ un credit crunch sont plus effrayantes que la possibilité d’ un retour de l’inflation. Il faut éviter d’ une part que la panique ne sape la confiance entre institutions financières et d’ autre part que le renchérissement du crédit ne bloque l’économie réelle : les gens n’ achètent plus de maison, plus de voiture, n’envoient plus leurs enfants à la chère université ; les entreprises n’investissent plus car elles ne trouvent pas de bailleur et donc elles licencient. Il y a deux scénarios possibles pour sortir de cette crise : soit on fait une grande catharsis pendant encore quelques jours. Tout le monde a peur, beaucoup ont mal mais on a purgé le système. Soit on continue le désarmement de la dette par à-coups et ça peut durer un cycle de trois à cinq ans de croissance manquée. Dans les deux cas, ça fait mal. Que se passera-t-il demain sur Wall Street TV ? Je n’ en sais rien. Mais je compte bien me lever au milieu de la nuit pour assister au prochain épisode. Il parait que cette fois, Bush lui-même s’occupe de distribuer de l’ aide aux victimes de l’ouragan financier.
Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved
jeudi 18 septembre 2008
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