mercredi 14 janvier 2009

Chronique # 59 : la dernière séance

13 janvier 2009

Les départs, c’est toujours gai. Hier matin, Hank Paulson donnait son dernier entretien sur Wall Street TV tandis que George W Bush disait adieu à la presse au 1600 Pennsylvania avenue. En une semaine, le pays a perdu 5,2% à Wall Street et en un mois, 524.000 emplois à Main Street. Le Dow Jones s’aplatit à 8848 points, le chômage se dresse à 7,2%.

Aux Etats-Unis, il existe une émission satyrique quotidienne qui passe à l’heure où je me brosse les dents. Dans la partie « Meilleurs moments de l’histoire des Présidents », j’entends la voix et j’apprends à reconnaître Lyndon B Johnson ou Eisenhower, dit « Ike ». Le comique nait de la juxtaposition par David Letterman de discours célèbres de Truman (« Les nations libres ont maintenant démontré qu’à une agression illégale, il sera répondu par la force[i] »), de Kennedy (« ich bin ein Berliner ») ou de Ronald Reagan (« Le communisme est un de ces chapitres tristes et bizarres de l’Histoire humaine dont les dernières pages sont en train de s’écrire sous nos yeux »[ii]), puis vient un extrait de George W Bush dans lequel il bafouille, il dit des choses abjectes (« Vous n’aimez pas ce qu’on vous demande de croire… on vous tue sinon »[iii]), insignifiantes (« Il y a dix ans, vous étiez quatre et maintenant –regardant autour- ben, beaucoup »[iv]) ou absurdes (« Euh, vous pourrez, euh, euh, vous aurez une technologie qui, euh, euh, qui vous permettra euh, de bavarder, de bavarder avec quelqu’un à distance, et vous aurez, euh, l’impression que l’autre personne est dans la même pièce que vous”)[v]. L’exercice de regarder est un acte de contrition. J’avale la moitié du dentifrice et je m’éloigne du téléviseur pour ne pas me mettre à pleurer.

Mais hier matin, j’avais le choix entre la leçon inaugurale d’Esther Duflo[vi] au Collège de France, à la Chaire de « Savoirs contre Pauvreté » et retransmise par Internet (« la technologie, euh qui vous permet de, euh, d’avoir l’impression que l’autre personne est dans la même pièce ») et l’ultime conférence de presse de George W Bush. Entre Hoover et Condorcet, j’ai choisi de rester plantée devant C-Span[vii].

Extraits: “En termes économiques, j’ai hérité d’une récession et je finis sur une récession. Entre les deux, nous avons connu 52 mois ininterrompus de croissance de l’emploi. […] A présent, il est clair que nous sommes dans une situation économique très difficile. Quand les gens analyseront cette situation, forcément on le fera- ce problème a commencé avant ma présidence, il a évidemment éclaté pendant ma présidence. Mais ce qui compte c’est ce que j’ai fait pour y faire face. Et je concède sans complexe que j’ai mis de côté mes principes en faveur de la liberté du marché, quand mes conseillers économiques m’ont dit que la situation pouvait devenir pire que la Grande Dépression ».

Au fur et à mesure des questions, nous revisitons les meilleurs moments de l’histoire présidentielle. La banderole « Mission Accomplished » sur l’avion qui l’amenait à Bagdad en 2004 ? « Une erreur. Cela communiquait un message erroné ». L’absence d’armes de destruction massive en Irak? « Une déception de taille[viii]. Disons que les événements ne sont pas déroulé comme prévu ». Les prisonniers empilés et empalés à Abu Ghraïb ? “Une grosse déception”[ix].

Suit un monologue qui aurait pu être écrit par Eugène Ionesco pour Béranger Ier, sur le rang intact des Etats-Unis dans le concert des nations, à l’exception des « élites européennes ». On passe à l’avenir me jugera : « L’Histoire immédiate n’existe pas. On ne peut juger du bilan d’une Présidence qu’avec le passage du temps. […] Il est impossible de comparer maintenant.”[x].

La voix était emprunte de mélancolie qui expliquait que mercredi en huit, en se levant il préparerait un tasse de café pour sa femme. Tant d’ardeur à défendre un bilan « fort » laissait aussi transparaître la douleur d’être considéré comme le pire président de l’époque moderne ; record à battre avec la concurrence d’Herbert et de Richard.

Même au pays du Quatrième pouvoir et même si c’était la dernière séance, personne dans la salle n’osa poser de question sur la fermeture de Guantanamo, promise par Barack Obama ou sur les risques de poursuites judiciaires pour crimes de guerre à l’encontre de ceux qui donnèrent l’ordre de torturer dans le cadre légal. Il est vrai que le soir même on jouait la dernière saison de « 24h », la série où Jack Bauer torture, mais psychopathe au grand cœur, c’est pour que les familles dorment à poings fermés. Il est vrai aussi que Bush n’est pas Pinochet et que Guantanamo est une petite prison. Mais lance Harold Pinter d’outre-monde : « Combien faut-il tuer de personnes pour commencer à se faire appeler auteur de massacre ?

Le moment qui valait d’avoir reporté Esther Duflo arriva après 50 minutes. Bush prend soudain la contenance de celui qui pense à la mort de son père et dit : « Je crois que l’expression « le poids des responsabilités » est complètement exagérée. C’est comme si je disais, pourquoi moi ? Oh, le fardeau, ma parole, est si lourd a porter ! Pourquoi le système financier devait-il s’écrouler pendant mon mandat? C’est simplement, c’est pathétique, n’est-ce pas de s’apitoyer sur son sort ! Et je ne crois pas que le futur Président Barack Obama s’apitoye sur le sien »[xi].

Y aura-t-il un David Frost qui viendra offrir à George W Bush 4 heures d’entretien, « après le passage du temps » ? Nixon n’était pas ressorti grandi de ses interviews payantes avec un amuseur public en 1978. La télévision est une machine redoutable, opérée par un chasseur d’instants. Même sans l’astuce du montage, lorsque tout est en direct, un plan rapproché sur un visage qui se tord, sur une veine qui palpite en dit plus long qu’un mois de justifications.

Quand je reviens sur Wall Street TV, un bandeau annonce que Bernard Madoff, 70 ans vient d’être autorisé à demeurer dans son appartement-terrasse de l’Upper East Side. Si les personnes les plus indignées par la décision du juge n’étaient pas ses riches clients ruinés, on parlerait de justice de classe.

Une page de publicité, pendant laquelle le pétrole continue son drame à rebours. Puis apparaît l’énergique et très républicaine Maria Bartiromo, italienne par le nom et bien basanée par son look. Elle interroge Hank Paulson, le Secrétaire au Trésor dans ce qu’elle appelle « an exit interview », littéralement l’entretien préalable au départ.

Première question : « est-ce que le pire est encore à venir ? ». Le ministre des finances répond un gloubiboulga. La journaliste enchaîne : « Comment saurons-nous que nous sommes en train de nous en sortir ? ». Hank Paulson parle du retour de la confiance dans une mer de paroles rassurantes et dures à la fois. Maria Bartiromo cite Barack Obama qui se déclare déçu de la manière dont la moitié du TARP a été dépensée, en particulier parce qu’il n’y avait aucune contrainte pour les banques et parce que rien n’a été fait pour les ménages qui ne peuvent plus payer leur maison. Elle annonce que le futur président a demandé à Bush de parler à ses parlementaires afin qu’ils ne s’opposent pas au déblocage immédiat de la deuxième moitié des 700 milliards. Le blabla des banquiers n’est pas beaucoup plus passionnant que le blabla des politiciens alors quand le banquier est ministre… Mais Maria continue à poser ses questions dans l’indifférence rayée de généralités. Donc, le TARP c’était pour la plomberie, que pensez-vous des gens d’Obama qui disent qu’ils vont en utiliser une partie pour refaire un plancher sous les pieds des accédants à la propriété ? L’Etat-c’est-Paulson répond que s’il n’a pas fait la même chose c’est parce qu’il ne savait pas quelle couleur Obama choisirait pour vernir les lattes.

Sous la banderole « Mission accomplie », demain le tsunami social est arrivé!
Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved

[i] “The free nations have now made it clear that lawless aggression will be met with force."
[ii] “Communism is another sad, bizarre chapter in human history, whose last, last pages even now are being written.”
[iii] "You don't like what we tell you to believe in... well kill you."
[iv] "Ten years ago there were four, and today there are... yeah... a lot."
[v] “Uh, you'll be able to, uh, uh, you'll be able to see a technology, uh, a, a technology that will be, enable you to, uh, converse, converse with somebody over a long distance, and it will seem like the person is right there in the room with you."
[vi] http://www.college-de-france.fr/default/EN/all/cha_int/
[vii] Cable Satellite Public Affairs Network.
[viii] “Not having weapons of mass destruction was a significant disappointment. I don’t know if you want to call those mistakes or not, but they were — things didn’t go according to plan, let’s put it that way.”
[ix]“Abu Ghraib obviously was a huge disappointment”.
[x] “There is no such thing as short-term history. I don’t think you can possibly get the full breadth of an administration until time has passed: Where does a President’s — did a President’s decisions have the impact that he thought they would, or he thought they would, over time? Or how did this President compare to future Presidents, given a set of circumstances that may be similar or not similar? I mean, there’s — it’s just impossible to do. And I’m comfortable with that.”
[xi] I believe this — the phrase “burdens of the office” is overstated. You know, it’s kind of like, why me? Oh, the burdens, you know. Why did the financial collapse have to happen on my watch? It’s just — it’s pathetic, isn’t it, self-pity. And I don’t believe that President-Elect Obama will be full of self-pity.”

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