jeudi 15 janvier 2009

Chronique # 60: le tsunami social est arrivé

Campagne d’aide aux chômeurs à New York en 1932 (le slogan sur la pancarte annonce : « on s’en sortira ! »)

14 janvier 2009

Si cela peut vous consoler, Wall Street connait une agonie interminable. La bourse perd aujourd’hui encore 2,9%, la deuxième chute à trois chiffres depuis début janvier et la 6ème cotation en baisse consécutive. Gardons à l’esprit que Gaza en est à son 19ème jour de raid et que j’ai du tiramisu dans mon réfrigérateur, mais sinon difficile de ne pas sentir le blues du tsunami. A 8200 points, le Dow Jones fait triste figure et avec 11,1 millions de demandeurs d’emplois, Main Street est dans le même Titanic. Ah, Obama, sauve-nous des hedge funds qui sont rentrés de vacances et du deleveraging qui n’en finit pas de purger !

Ce matin, je vais acheter un cadeau pour le bébé d’une amie (pince-moi, je consomme ?) quand je vois une queue dans Chinatown digne de la soupe populaire. Ils attendent tranquillement, pas d’enfant qui braille ou de sans-abri. D’ ailleurs, ils n’ont même pas tous l’air asiatique. « Excusez-moi, la queue c’est pour… ? »

« Acheter le numéro spécial de Spiderman où il vient en aide à Barack Obama. » En vente chez votre marchand de journaux pour la modique somme de 5,99$ et une heure et demi de queue. Me revient tout de suite en mémoire cette exposition que j’avais vue au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme à Paris : « De Superman au Chat du rabbin ». On y voyait des vignettes des années 40, où Superman aidait Roosevelt à terminer la Seconde guerre mondiale et à traduire Adolf Hitler et Joseph Staline devant la Société des Nations. Je ressors du kiosque. Non vraiment la queue, trop peu pour moi. Je poursuis mon bonhomme de chemin vers les mégasoldes de Macy’s.

A la caisse, j’attends une minute et demie.


Commerce de détail aux Etats-Unis pour les trois derniers mois de 2008
Ma petite déflation est en train de nécroser des pans de l’appareil productif. 2,6 millions d’emplois ont été détruits en un an, dont deux millions en quatre mois. La population active n’avait pas connu une telle hémorragie depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Evidemment, il faut comparer en termes relatifs. En 1945, la population américaine s’élevait à 133 millions. Aujourd’hui, nous sommes 303 millions.

Voici un tableau qui retrace l’évolution de la population active depuis 1945. Comme vous le constaterez, les Etats-Unis sont une gigantesque machine à créer des emplois. Ce fait mérite d’être relevé parce que je viens d’un pays qui n’a jamais connu le plein-emploi depuis que je suis née. Et, non, les postes proposés ne sont pas tous payés au SMIC, même les emplois peu qualifiés. Tout simplement parce que quand vous avez des tensions sur le marché de l’emploi, si vous voulez des bras, il faut les payer. Pour votre information, le SMIC fédéral s’élève depuis le 24 juillet 2008 à 6,55$. Mais c’est un plancher à partir duquel les Etats ou les communes peuvent imposer des normes plus généreuses. Par exemple à San Francisco, le salaire minimum est fixé à 9,79$ et même les salariés à temps partiels doivent recevoir une couverture santé.

Bien entendu ce ne sont pas les présidents qui embauchent. Leur politique économique dessine un contexte dans lequel les entreprises prennent la décision de créer des emplois pour faire des profits. Toutefois si vous êtes George W Bush, vous vous dites que vous aviez « créé » un million d’emplois en 2007 et qu’en partant vous laissez un solde positif de 3 millions par rapport à l’an 2000. Tout autre personne âgée de plus de huit ans se souvient des 23 millions d’emplois crées en deux mandats clintoniens ; alors que la population croissait de près de 10%. Oui, je sais les chiffres laissent rêveurs quand on pense à nos hommes politiques français, qui nous expliquent par A+B que 3 millions de chômeurs c’est 3 millions de racaille ou d’immigrés clandestins. Au moins l’Espagne, elle a compris que toutes ces classes dangereuses sont prêtes à se remonter les manches et n’ont qu’un désir : se gorger d’atomixers, de frigidaires et d’écrans plasma.


La dernière fois que le marché du travail se dégradait à la vitesse actuelle (+2,3% de chômage en un an), c´était en 1980. Aujourd’hui, 23,2% des demandeurs d’emploi le sont depuis plus de 27 semaines, ce qui correspond à la définition américaine[i] de chômage de longue durée (long-term unemployement). Dit autrement cela équivaut à 2,6 millions de personnes, en hausse de 1,3 millions par rapport à 2007.

(La definition française de chômage de longue durée est théoriquement de six mois ou plus mais dans beaucoup de publications, on trouve des colonnes de chômage de plus d’un an, ou plus de deux ans, c’est le phénomène du chômage de très longue durée).

Comme le montre le tableau ci-après, le chômage dure en moyenne 10,5 semaines aux Etats-Unis.

Je sais que vous n’aimez pas les tableaux mais en économie ne pas partir des données, c’est faire preuve au mieux de paresse intellectuelle, au pire de mauvaise foi politique. Ici le chiffre entouré en jaune indique que 50% des chômeurs cherchent un emploi depuis plus de 10,5 semaines et les 50 autres %, depuis moins de 10,5 semaines. Quant au chiffre entouré en vert, il montre le chômage de longue durée (sans tenir compte des variations saisonnières).


Sur les 143,3 millions de personnes qui détiennent un emploi, 116,8 travaillent à temps plein et 26,2 à temps partiel. Il est facile de déduire que le temps partiel est subi et non choisi du fait qu’un an auparavant les chiffres se répartissaient entre 121,5 millions de travailleurs à temps plein et 24,7 millions de salariés à temps partiel. On voit bien donc que la dégradation de la situation économique a fait tomber de nombreux salariés dans le sous-emploi et que le cliché de l’Américain qui a trois jobs (ce qu’on appelle le moonlighting, littéralement travailler à la lumière de la lune) n’a pas résolu le problème.




Au total, alors que la durée légale du travail est de 40 heures, la semaine de travail effective s’élève à 33h30, son plus bas niveau depuis 1964 (avant il n’y avait pas de statistiques). Dans l’industrie, la durée effective est plus élevée, avec presque 39,9h, mais en baisse par rapport à décembre 2007 de1,2 heure ; or rappelez-vous que nous étions déjà en récession à l’époque, car ici la crise a éclaté en août 2007. Tout concourt donc à étayer la thèse du sous-emploi. L’Américain workoholique est un autre mythe rendu obsolète par le tsunami.

Comme le montre le tableau suivant, les disparités sont néanmoins très importantes selon le secteur d’activité (attention le mot industry est un faux ami, il veut dire secteur d’activité) :





Donc si le tsunami social est arrivé et tous sont touchés, tous n’en meurent pas de la même manière. Le taux de chômage varie grandement selon que vous travaillez dans le bâtiment (15,3%), dans le secteur hôtelier (9,5%), dans l’industrie (8,3%), dans les services aux entreprises (8,1%), dans le commerce de détail (7,2%, c'est-à-dire la moyenne actuelle), dans les transports (6,7%), dans la banque (5,6%), dans l’éducation ou dans les métiers de la santé (3,8%).
La question que vous vous posez, je vous lis dans les pensées (« euh, la technologie, euh qui permet d’avoir l’impression que, euh, je suis dans le cerveau d’à côté ») : les vieux s’en sortent-ils ?

Disons que si la discrimination par l’âge existe, elle est beaucoup moins importante qu’en Europe. Par exemple dans les CV, on ne permet aucune référence qui puisse établir l’âge du candidat ; sauf quand la personne n’a aucune expérience professionnelle, parce que par exemple, elle vient de terminer ses études. Mais en sens inverse, il est souvent choquant pour des Européens de voir des personnes âgées travailler dans les supermarchés ou les librairies.

Voici un découpage par tranche d’âge de la population active américaine au 31 décembre 2008.

Vous constatez que la catégorie des plus de 55 ans a perdu 800.000 emplois en un an. Mais comme ici la retraite est à moitié par répartition (ce qu’on appelle pay as you go ou Social Securitý) et à moitié par capitalisation (ce qu’on appelle Individual Retirement Account ou des 401K quand le compte d’épargne retraite est bonifié par l’entreprise), les personnes ne sont pas incitées à se retirer du marché du travail. Mais depuis le tsunami, votre 401K est devenu un 201K.

Quand les charrettes déversent le trop plein de facteur travail, en général les salariés licenciés reçoivent à titre d’indemnités de licenciement une semaine de salaire par année d’ancienneté.

Dans ce contexte particulièrement dévastateur, alors que le credit crunch ne permet pas aux chômeurs de payer les courses et l’essence en tirant sur la carte bleue et que les allocations chômage (unemployment benefits) durent beaucoup moins qu’en Europe, généralement 26 semaines, que fait le gouvernement ?

George W Bush avait accordé juste avant Thanksgiving un allongement de la durée d’indemnisation de 7 semaines et de 13 dans les Etats où le chômage était supérieur à 6%. On arrive donc à 33 semaines ou maintenant presque partout à 39 semaines d’allocation chômage.

Le schéma ci-dessous rappelle que le chômage aux Etats-Unis est un trapèze sans filet. (nb : l’incapacité des économies européennes à créer des emplois me fait parfois penser que le chômage de l’autre côté de l’Atlantique est un filet sans trapèze).

Le trait gras indique le taux de chômage, le trait fin l’indemnisation de la perte d’emploi.


La grande nouveauté de l’ère Obama qui montre bien que l’ère Reagan est finie est le retour de l’Etat-Providence (welfare state); non seulement un Etat réamorceur mais un Etat protecteur. En anglais américain, to be on welfare a la connotation d’être un parasite aux crochets de la société. Entendre les économistes, Cristina Romer et Jared Bernstein, samedi dernier, autour de Barack Obama annoncer qu’ils allaient repriser la maille du tissu social avec de l’argent public paraissait donc un discours anachronique, comme si la voix de Roosevelt vous parlait au coin du feu.


Après le TARP (Troubled Assets Relief Program) destiné à sauver Wall Street, Main Street va donc recevoir l’ARRP (American Recovery and Reinvestment Plan) : 700 milliards pour la plomberie, 775 milliards pour le maçon, merci de rétablir un peu d’équité.
Le papier des économistes explique leur méthode de modélisation en détail. Selon eux, un point de PIB fabrique un million d’emplois soit une baisse de ¾ de point du chômage.

Le programme repose sur cinq piliers, comme l’Islam :

1) Une politique de grands travaux, d’investissement en matière d’éducation, de santé et d’énergies propres.
2) Des programmes sociaux pour protéger les plus faibles y compris par l’augmentation des bons alimentaires (food stamps) et de la période d’indemnisation du chômage.
3) Une aide aux Etats pour qu’ils ne suppriment pas leurs programmes éducatifs et sociaux.
4) Des incitations à l’investissement.
5) Un bouclier fiscal pour la classe moyenne qui s’appellera « Making Work Pay », littéralement faire que le travail paye.

On a tiré les leçons des années 30 et de la « décennie perdue » japonaise, ou du moins on cherche comment ne pas répéter les erreurs du passé. Le but est de hâter la sortie de la crise.

D’ ici à fin 2010, la nouvelle équipe espère ainsi avoir crée 3,6 millions d’emplois dont la moitié pour des femmes.
Le plan chiffre l’impact sur la création d’emplois de chaque objectif politique, en distinguant les effets directs et induits :


Rêver ne coûte pas cher, disent les Républicains. En revanche rembourser tout cet argent prendra une génération. Cristina Romer et Jared Bernstein répondent que les investissements d’aujourd’hui sont les profits de demain et les impôts d’après demain.

Si vous êtes sceptiques, je vous rappelle le nombre d’emplois crées sous les différentes présidences américaines. Vous doutez encore ? Ceux qui arrivent au pouvoir dans 6 jours sont les magiciens et les magiciens-stagiaires de Clinton. Vous n’y croyez pas ? Même Spiderman est avec Obama.

Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier, all rights reserved
Pour commander sur Internet la deuxième édition du numéro hors série de Spiderman et Obama : http://www.toywiz.com/spidermanobama.html

Superman aide Roosevelt à terminer la Seconde guerre mondiale (source : Musée d’art et d’histoire du judaïsme,-désolée pour la qualité des photos que j’ai prises à travers la vitre.)


"J' aimerais decocher un coup de poing strictement non-aryen sur ta mandibule mais nous n' avons pas le temps : tu vas venir avec moi rendre visite a un de tes amis"
"Lachez-moi, vous me faites mal".

"Joseph, je te presente Adolf"
"Quoi?"

"Ou est-ce que tu nous emmene?"
"Prochain arret, Geneve en Suisse".

"Vous, fumiers saouls de pouvoir, qui etes responsables des maux actuels de l'Europe, qu' avez-vous a declarer?"

"Adolf Hitler et Joseph Staline, je vous declare couplables du plus haut crime de l'histoire moderne: l'agression sans motif de pays sans defense".
















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