jeudi 2 octobre 2008

Chronique n°7 Plus c'est technique et plus c'est politique

Le milliardaire Warren Buffet profite de la saison des soldes. Il vient de ramasser un morceau de General Electric contre un peu de lentilles, 3 milliards de dollars. Cela n’est pas sans rappeler la crise financière de 1907 quand JP Morgan avait aidé l’ Etat américain grâce à sa fortune personnelle. Vous n’ avez pas d’argent, je vous en prête! A la suite de quoi la Fed avait été créée en 1913, pour éviter les relations incestueuses.

Le reste du monde attend, espère et supplie que la Chambre des Représentants adopte demain la nouvelle version du plan de sauvetage du système financier américain. Juste pour envoyer le signal que s’ils ne se bougent pas, le sang de Wall Street ira se répandre jusque dans votre street, la Bourse aujourd’hui enregistre une baisse de 348 points et clôture en dessous des 10.500 points.

Le plan Paulson dans sa première mouture s’ étalait sur deux pages et demi et coûtait environ 1 milliard de dollars du mot. Grosso modo, il disait : donnez-moi les pleins-pouvoirs et un chèque de 700 milliards de dollars et je vous tirerai d’ affaire. Ne réfléchissez pas, payez.

La version revue et corrigée par le Congrès avait enflé à 110 pages. On avait rajouté une bonne dose de supervision, le droit pour l’Etat de se porter actionnaire, une limitation des parachutes dorés etc. Mais l’homme de la rue n’était pas assez alarmé, ou conscient des enjeux, et une majorité des parlementaires a préféré ne pas le braquer, à quarante jours des élections.

La troisième et espérons dernière version, telle qu’adoptée hier par le Sénat (merci aux élus juifs qui ont bien voulu se déplacer le jour de leur Nouvel An – hier c’était aussi la fête de l’Eid, mais d’après mes renseignements, il n’y a pas de Sénateur américain de confession musulmane (je vous rappelle, malgré les insinuations de certaines publicités de groupes para-républicains, que Barack Obama est protestant). Bref, la nouvelle version fait 450 pages. Elle oblige les assurances santé à rembourser les soins psychiatriques (???), accorde des abattements sur les plus-values aux entreprises (on se demande bien qui a bien pu faire des plus-values cette année…) et d’autres mesures destinées à graisser la patte des Représentants. Elle contient heureusement encore le plan de sauvetage, avec certaines modifications, notamment sur la limitation de la rémunération des dirigeants.

Enterrée dans 450 pages, une mesure a été ajoutée qui mérite qu’on s’y attarde. Il s’agit de la modification d’une règle comptable. Comme disait mon prof de droit de l’ urbanisme, «Ne vous laissez pas endormir par les apparences, plus c’est technique et plus c’est politique».

Voici le problème :

A la suite de la faillite des caisses d’épargne américaines, à la fin des années 1980, les titres de placement des banques doivent être comptabilisés à leur valeur courante (fair market value) et non à leur valeur d’achat. Cette règle s’appelle en anglais «Mark to market»; comme quand on joue au basket et qu’il faut «marquer» l’autre joueur à la culotte, là il s’agit d’être chevillé au prix du marché.

Si vous combinez cette règle de transparence avec l’obligation qui est faite aux entreprises de présenter leurs résultats à la fin de chaque trimestre, vous obtenez l’effet pervers suivant : juste avant les contrôles, tout le monde fait du zèle. Après l’ arrivée du carnet, on se relâche.
Cas pratique : une banque a un portefeuille d’actifs immobiliers qu’elle a payé 200 millions de dollars. Manque de chance, ces titres portent sur des maisons à Las Vegas, San Diego, Miami, Detroit et Phoenix, où les prix se sont effondrés. Si elle vendait son portefeuille aujourd’hui, il trouverait preneur pour un cinquième de ce prix. Arrive le 30 septembre 2008, si elle veut respecter la loi, elle doit donc comptabiliser cet actif à hauteur de 40 millions. Perte sèche au capital : 160 millions.

Bien sûr, 100% des habitants de Las Vegas, San Diego, Miami, Detroit et Phoenix ne vont pas voir leur maison saisie. La plupart remboursent leur emprunt (il n’ y a peut-être que, mettons, 20% de gens qui ont des problèmes. J’ ai choisi les villes les plus en difficulté. Dans le reste du pays, la situation est moins dramatique. Au 1er septembre 2008, la moyenne nationale des saisies était de 2.75% -contre 30% en 1934.)

Là où le bât blesse c’est qu’une banque ne peut prêter qu’en proportion de ses fonds propres. Donc arrive la fin du trimestre et en application de la loi, la banque a mangé une partie de son capital. Maintenant, sauf à se recapitaliser, la banque ne peut plus prêter que sur la base des 40 millions de fonds propres restants. Or personne ne veut investir car tout le monde a peur d’injecter de l’argent dans une entreprise au bord de la faillite. C’est le cercle vicieux.
La question qui se pose est: la publication des résultats est-elle la cause de la fragilité accrue de la banque ou ne fait-elle que refléter sa fragilité réelle?

Une chose est sûre, la banque ne peut plus accorder de nouveaux prêts.

55 des 60 parlementaires qui ont écrit à la commission de surveillance de la Bourse, la SEC, pour réclamer une suspension de la règle comptable ont aussi voté contre le plan de sauvetage lundi. L’une de leurs raisons est que si on changeait la règle, cela réduirait le montant de l’ardoise. L’autre c’est le lobbying des banques. Lundi nous étions le 29 septembre, les banques espéraient ainsi ne pas avoir à reconnaître d’ autres pertes.

La règle dans la version 3 du texte de sauvetage n’ a pas été abolie mais la SEC a reçu l’autorisation de suspendre son application, si elle le juge souhaitable.

Question : casser le thermomètre fait-il tomber la fièvre?

Il est vrai que la comptabilité est toujours subjective mais les règles ont pour but justement de la rendre la moins créative possible. Si vous autorisez le divorce entre la valeur des actifs et leur prix de marché, c’est la porte ouverte à des bilans dithyrambiques, car un jour mes actifs vaudront ce que je dis.

Dans credit crunch, il y a le mot crédit, qui vient du Latin, « il croit ». Vous mettrez-vous à croire au Père Noël quand les bilans des banques seront couverts de boules argentées ?

Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved

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