mercredi 29 juillet 2009

84ème chronique : La tectonique du théâtre

Le futur siège mondial de Goldman Sachs, toujours en construction, au 200 West Street à côté de Ground Zéro, malgré plusieurs accidents graves ou spectaculaires. Estimé à 2,4 milliards de dollars, dont 1 milliards de fonds patriotes (Liberty bonds), exonérés d’impôts, l’immeuble de 43 étages et d’architecture durable est signé Henry N. Cobb, 82 ans, qui a aussi bâti le Fonds Monétaire International (2005) à Washington.

Le courrier des lecteurs est à la fin.

Mercredi 29 juillet 2009

A l’ombre du Ferry Building, devant les étals de fruits, de légumes et de fleurs bios, des jeunes distribuent des tracts. Ils incitent le tout venant à signer la pétition pour obtenir un audit de la banque centrale. Les joggeurs passent. Les goûteurs détournent le regard et piochent dans les coupelles avec les pinces pour saisir des échantillons du bout des doigts. Les partisans de Ron Paul, le député libertarien du Texas sont moins assidus que les apôtres de la Scientologie devant Macy’s, mais ils sont plus nombreux[i]. Ils professent un antiétatisme que la jeunesse de leurs militants rendrait sympathique, si vous n’étiez pas à San Francisco, la ville du mariage gay, de la couverture médicale universelle municipale, du salaire minimum à 9,79$, de l’interdiction de l’eau en bouteille à la mairie, et des sacs en plastique au supermarché, du Paris plage -sans sable- sur Market Street, du métro, des écoles publiques de qualité mais pour gagner il faut jouer au loto, car ici pas de carte scolaire.

« Où est passé notre argent ? » accuse l’affiche scotchée. « Même la CIA se fait inspecter de temps à autre ».

La Fed est malaimée. Dans un vidéo-clip intitulé « Who is minding the store ?”[ii], visionné plus d’un million de fois sur YouTube, un député Démocrate de Floride, Alan Grayson[iii], sorte de croisé entre Batman et Ralph Nader interpelle l’Inspectrice Générale du Conseil des Gouverneurs de la Réserve Féderale sur les bénéficiaires de l’aide de la Fed depuis huit mois. Il veut des noms. La haute-fonctionnaire hésite. Tous les noms ? Les noms. Elle jette une mine interloquée et explique que son autorité ne recouvre pas le domaine de la question. L’élu au Capitol lui demande si elle a fait procéder à une estimation des pertes de la Fed. « C’est vous qui dites qu’il y a des pertes » dit la dame avec lenteur. Le membre du Congrès cite une dépêche Bloomberg qui parle d’un montant hors bilan (off-balance-sheet transactions) de 9,7 trillions[iv]. Elle balbutie qu’elle n’a pas eu l’article entre les mains.

Récemment, le même Alan Grayson demandait à Ben Bernanke, auditionné par le Congrès dans une retransmission en direct sur Wall Street TV et sur la chaîne d’information civique C-Span, ce qui était arrivé au demi-trillion de dollars qui figurait sur le bilan de la Fed au titre de prêts consentis à des banques centrales étrangères[v]. Comme le gouverneur commençait à expliquer ce qu’était un swap de devises, le député l’arrête. Sait-il à qui est allé l’argent ? Ben Bernanke répond que les banques centrales se prêtent entre elles et qu’ensuite chacune prête à ses banques nationales. L’élu de Floride cite un prêt-swap à la Nouvelle Zélande de 9 milliards de $. Pour une population de 4 millions d’habitants, cela fait 2550 $ par personne. N’aurait-il pas été préférable de prêter cet argent aux Américains qui voient leur autorisation de découvert annulée du jour au lendemain, pour cause de credit crunch ? La Fed prête aussi et principalement aux agents intérieurs, répond le banquier central. L’autre plisse les lèvres, lâche un rire qui se brise dans le silence de Bernanke, il se reprend. Le député demande si le pouvoir législatif n’aurait pas dû être consulté. Il cite la Constitution [vi]. En vertu de quelle autorité ces prêts à l’étranger ont-ils été consentis ? L’article 1 section 9 portant pouvoirs du Parlement dispose : «Aucune somme ne sera prélevée sur le Trésor, si ce n'est en vertu de crédits ouverts par la loi; et un état et un compte réguliers de toutes les recettes et dépenses de deniers publics seront publiés périodiquement. » Ben Bernanke lui dit sans lui dire qu’il confond le Trésor, personnification financière de l’Etat et la banque centrale, qui alimente en monnaie toute l’économie. Alan Grayson n’est pas venu pour prendre des cours d’économie. Toute la 8eme circonscription de Floride le regarde, ou devrait. La Fed tire son autorité d’une loi de 1913, rappelle Ben Bernanke. L’élu rétorque qu’à l’époque où les Chambres ont adopté la loi, le PIB des Etats-Unis était beaucoup plus petit ; les législateurs n’ont jamais eu l’intention de céder leur pouvoir sur des sommes aussi importantes à un comité de technocrates.

Les internautes regardent ces extraits sur YouTube et prennent les silences du banquier suprême pour des aveux. La blogosphère s’empare de la nouvelle. Personne ne sait qui a reçu les 2 trillions au bilan de la Fed, sans compter les transactions hors bilan, 9 trillions. D’ailleurs, où est passé l’argent ? Un bloggeur bilingue traduit et par le téléphone arabe, la nouvelle devient : « Qui est parti avec 9 trillions dans la caisse ? »[vii]. Avec une population de 60 millions d’habitants, cela fait 100.000 euros par Français.

N’aurait-il pas été préférable que le député Alan Grayson fasse des études d’économie, que le bloggeur bilingue et tous les autres théoriciens de la conspiration, du gouvernement de l’ombre - on ne dit pas juif- aillent jouer aux jeux vidéos ?

Non, car c’est du théâtre. Ionesco est mort, Yasmina Réza écrit pour Broadway, qui va remplir C-Span ?

Le 21 juillet 2009, Ben Bernanke, maintenant officiellement en campagne pour un nouveau mandat à la tête de la Fed en janvier 2010[viii] répondait aux questions de la Commission des Finances du Congrès[ix]. Le matin même, le Wall Street Journal publiait une tribune libre sous sa plume intitulée : « La stratégie de repli de la Fed »[x] ; écrire c’est une manière de ne pas être interrompu.

J’ai déjà expliqué comment la Fed compte contrôler le dégonflement des deux trillions à son bilan pour le ramener à un statu quo ante[xi]. L’histoire dira si Bernanke était un bon anesthésiste ou s’il a tué le patient en essayant de le réveiller. Mais le moment le plus intéressant de toute la matinée est venu quand il a demandé aux députés s’ils avaient une stratégie de repli pour dégonfler la dette publique (une fiscal exit strategy, par opposition à une monetary exit strategy). L’autre échange très intéressant a été quand Ron Paul a exigé un contrôle de l’action de la Fed par le Parlement. On était replongé en 1993[xii] lorsque la Banque de France luttait pour sa propre indépendance, avant que son âme migre sur les bords du Main. La Banque Centrale Européenne, elle, a été conçue d’emblée comme indépendante du pouvoir politique pour faire plaisir aux Allemands qui autodafaient leur Deutsch Mark sur l’autel de la Monnaie unique. Le grand débat manqué à l’époque fut non pas la question de l’indépendance, qui semble une cause entendue une fois qu’on a compris que la Banque Centrale n’est pas la personnification financière de l’Etat, sinon gare !, gare au pouvoir sans contrepouvoir de battre monnaie. Le débat perdu fut celui sur les objectifs de la banque centrale. La BCE ne reçut comme mission que la stabilité des prix ; la croissance viendrait par la transsubstantiation des profits en corps du Christ. La Fed, elle a pour mandat de concilier les deux.

Il y a des raisons de questionner ce que fait la Fed notamment avec la monétisation de la dette à moyen terme, mais ce n’est pas très sexy.

Alors, comme il faut bien vendre, Goldman Sachs fait la couverture du magazine Rolling Stones[xiii]. L’histoire pourrait se résumer ainsi : « l’Irlande a l’IRA, l’Espagne a l’ETA et les Etats-Unis ont Goldman Sachs ». Leurs amours incestueuses avec l’Etat n’ont d’autre objet que de perpétuer leur pouvoir. Certaines parties de l’article sont excellentes, d’autres assez faibles. Par exemple il est difficile de clouer au pilori Goldman pour l’invention et l’abus des CDS quand c’est JP Morgan Chase qui a laissé sortir le patient zéro[xiv]. Mais sur la bulle high tech à la fin de la décennie 90 et sur celle des matières premières, l’année dernière, l’accusation de spéculation est fondée.

Le 23 juin 2009, Goldman Sachs a rendu les 10 milliards que Hank Paulson l’avait forcé à accepter, au moment où il fallait garantir qu’aucune autre banque d’affaires ne ferait faillite. En remboursant le Trésor, Goldman voulait redevenir maître chez lui. Et se débarrasser de la tutelle sur les salaires. Petit problème, le gouvernement détenait des « warrants » - des bons de souscription d’actions qui lui permettaient de convertir les obligations en actions, si le cours remonte. Goldman voulait les racheter pour 600 millions. Le 22 juillet, il a dû verser 1,4 milliards ; soit un taux annualisé de 23% de retour sur investissement.

Et cette dépêche que vous n’aviez pas encore eue entre les mains : « Goldman Sachs est en pourparlers pour acquérir le Département du Trésor. Dans ce qui est d’ores et déjà considéré comme le coup du siècle, Goldman Sachs a confirmé aujourd’hui qu’il est en négociations pour acquérir le Département du Trésor américain. D’après le porte parole de Goldman, M. Hestsron, la fusion « est un beau mariage » car les deux institutions vouent leur existence à la même chose, fabriquer de l’argent. De nombreuses synergies et des économies d’échelle pourraient être obtenues : « Nous avons déjà tellement de postes de travail et tant d’argent circule dans les deux sens, que cela permettrait de rationaliser le processus ». Mr Hestsron déclare que la seule difficulté dans la fusion est de trouver les parties du Trésor qui ne sont pas déjà la propriété de Goldman. » Goldman Sachs a récemment fêté des profits records en rôtissant un cochon au lait au dessus d’un bûcher allumé avec des billets de 100$. La rumeur dit que Goldman est sur le point de réclamer au Trésor qu’il rembourse l’argent du TARP[xv].

Gabrielle Durana
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[i] Voir http://tsunamifinancier.blogspot.com/2009/07/chronique-82-eyes-wide-shut.html
[ii] Traduction: “Y a-t-il quelqu’un pour surveiller le magasin?”
http://www.youtube.com/watch?v=cJqM2tFOxLQ&feature=channel
[iii] Allez voir ses publicités électorales, sur son site: http://www.graysonforcongress.com/
[iv] http://www.bloomberg.com/apps/news?pid=washingtonstory&sid=aGq2B3XeGKok
[v] http://www.youtube.com/watch?v=00ECLxK2YTs
[vi] L’article 1, section 9 dispose: “No Money shall be drawn from the Treasury, but in Consequence of Appropriations made by Law; and a regular Statement and Account of the Receipts and Expenditures of all public Money shall be published from time to time.” Traduction: “Aucune somme ne sera prélevée sur le Trésor, si ce n'est en vertu de crédits ouverts par la loi; et un état et un compte réguliers de toutes les recettes et dépenses de deniers publics seront publiés périodiquement. »
[vii] http://www.lepost.fr/article/2009/05/27/1552985_9-000-milliards-de-dollars-a-la-fed-disparu-et-le-silence-des-medias.html
[viii] Le President nomme le gouverneur de la Fed, mais il doit ensuite être confirmé par un vote du Sénat.
[ix] House Financial Services Committee
[x] « Fed’s Exit Strategy », Wall Street Journal, 21 juillet 2009,
[xi] http://tsunamifinancier.blogspot.com/2009/03/74eme-chronique-le-petit-sachet-dargent.html vers la fin.
[xii] http://www.banque-france.fr/fr/instit/histoire/5.htm Loi du 4 août 1993.
[xiii] Numéro du 9 au 23 juillet. Pour l’article :
http://www.rollingstone.com/politics/story/28816321/the_great_american_bubble_machine
[xiv] http://tsunamifinancier.blogspot.com/2008/10/chronique-n28-les-prions-de-la-finance.html et les épisodes suivants.
[xv] Le Troubled Assets Relief Program, ou TARP est le programme mis en place grâce aux 700 milliards demandés par Hank Paulson et votés par le Parlement en octobre pour nettoyer les bilans des banques des actifs toxiques et qui furent ensuite utilisés pour recapitaliser les banques, y compris Goldman Sachs, à hauteur de 10 milliards.


Ben Bernanke, gouverneur de la Fed devant le Sénat le 22 juillet 2009

Courrier des lecteurs:

Depuis Rio de Janeiro :

« Bravo : plein d'humour toujours aussi drôle et passionnant ! Réserve : j'y trouve, pour l'avenir proche, plus d'interrogations et de soucis que de palpables sorties de crise ! Va t'on tranquillement vers un simpleretour aux erreurs et horreurs du passe recent ? La Bourse redeviendra-t-elle bientôt un lieu d'agrégation de l'épargne destiné à inciter aux vrais investissements... ou continuera-t-elle son évolution en casino ? Les paradis fiscaux seront ils remis au pas ??? A quand le futur Bretton Woods et la création d'une monnaie basée sur des références internationales, capable d'assurer une meilleure stabilité du commerce ?? A quand la mise en route de conditionnement de la liberté du commerce, du libre-échange ... à la concurrence loyale ... sans prédominance des multinationales et avec un minimum d'égalisation des conditions de travail et de législations sociales ... […] Car , vu le sens où la société se dirige, on peut se demander si, comme dans une tragédie grecque le dernier couple survivra pour occuper la dernière fusée pour Mars ... »

Depuis New York :

« Merci pour ta chronique. Je rajoute le témoignage pratique de l'évènement. Il y a deux ou trois semaines, la CIT a effectivement fermé le robinet en [supprimant] à beaucoup de gens leur ligne de crédit. Cette fois ci, les compagnies qui vont sentir l'effet seront tout ce que l'on peut acheter avec "Configona", c'est a dire l'électroménager, l’électronique, etc.

La spirale continue.

Depuis la crise, j'ai perdu plus de $20'000 de pouvoir d'achat (et je suis un très mauvais payeur puisque je paye mes factures à temps.) Je dois dire que je sens la pression de la crise car j'ai perdu presque la totalité de mon pouvoir d'achat à crédit.

C'est à dire que cet année je consommerai 10.000$ de moins en services ... Et on multiplie cela par les quelques millions qui sont comme moi, et cela fait quelques milliards de dollars.

Mais je terminerai avec une des phrases qui apparait sur les affiches d'autoroutes :

Stop obsessing about the economy, you’re scaring the children.
Interesting fact about recessions … they end.
Self worth is greater than net worth.
This will end long before those who caused it are paroled.

Arrêtez d'obséder sur l'économie, vous effrayez les enfants.
Fait intéressant sur les récessions ... elles s'achèvent.
Votre bien être vaut plus que votre passif.
Tout ceci sera terminé bien avant que ceux qui l'on causé retrouvent leur [semi-]liberté. »

lundi 20 juillet 2009

Chronique # 83: On a marché sur la tête

Siège de CIT sur la 5eme avenue
20 juillet 2009

Cette faillite est une bonne nouvelle. Le spécialiste américain du crédit aux petites et moyennes entreprises, CIT Group, (aucun rapport avec Citigroup, ma grosse banque, qui coule, qui coule, qui coule et qui vient de retrouver des profits – 4,3 milliards de $ au deuxième trimestre) s’était vu refuser mercredi l'aide d'urgence qu'elle demandait aux pouvoirs publics. En décembre, la Fed lui avait prêté 2.3 milliards de $, sur l’argent du TARP (Troubled Assets Relief Program) ; les 700 milliards avec lesquels Hank Paulson, le ministre des Finances de Bush avait proposé de nettoyer les bilans des banques en octobre, avant de changer d’avis en novembre et de choisir de les recapitaliser. Aussi le refus, la semaine dernière, de la part de Sheila Bair, la directrice de la FDIC[i] a été une vraie surprise. L’action de CIT s'est effondrée, perdant lors d’une seule cotation les trois-quarts de sa valeur.

Une faillite de CIT (Commercial Investment Trust) aurait eu des conséquences. Avec General Electric, CIT était la banque des petites et moyennes entreprises. Fondée en 1908, à Saint Louis dans le Missouri (prononcez Mi-zoou-ri), elle avait financé 150 chasseurs, ces petites unités de combat, destinées à la lutte anti-sous-marine face aux Allemands. Apparues en 1915, elles se multiplièrent en 1917-1918, avec la mise en service d'une importante série de 110 tonnes dont la vitesse atteignait 16 nœuds. Après la guerre, CIT se lance dans le crédit à la consommation pour l’acquisition de postes de radio, à travers un accord avec Thomas Edison. Voyant arriver la Seconde Guerre Mondiale, CIT fermera boutique en Allemagne dès 1934. Après Pearl Harbour, l’entreprise exhorte ses 2000 salariés d’aller servir leur pays. Elle leur garantit un bonus mensuel, une assurance-décès et une place quand ils reviennent.

Tout au long de son histoire, CIT fut tour à tour un conglomérat et l’institution financière permettant de financer le bric à brac électronique qu’elle fabriquait. L’autre géant bâti sur le même modèle est la firme héritière de Thomas Edison, fondée en 1890, et qui à l’origine s’appelait Edison General Electric.

Par exemple, dans les années 60, le marché des ordinateurs était dominé par IBM surnommé Banche Neige (Snow white) et General Electric et CIT (sous le nom de RCA) faisaient partie des « Sept Nains » (Seven Dwarves).

Au moment de la révolution financière des années 70 aux Etats-Unis et 80 en Europe, les grandes entreprises cessèrent d’utiliser les banques pour se financer. Elles lèveraient des capitaux en attirant l’épargne publique, phénomène connu sous le nom de désintermédiation bancaire ou de « bourse universelle ». Pour résister, les banques inventent l’art de prêter plus avec autant ; soit le paquetage des prêts sous la forme de produits financiers, que l’on cède sur le marché obligataire. Elles améliorent ainsi leur ratio Cooke, un ratio prudentiel qui prône une stricte proportionnalité entre le volume de prêts consentis et le montant des fonds propres. Apparait la pratique de la titrisation[ii].


La titrisation a détourné les meilleurs clients d’organismes comme GE et CIT. Tout à coup, ils trouvaient à se financer moins cher auprès des banques. L’innovation est la fille de la nécessité. Ce sera l’avènement du factoring ou en français l’affacturage. Chacun son innovation financière, dans ce dispositif, une PME au lieu d’avoir à attendre 90 jours de délai-fournisseur peut céder sa créance (account receivable) à un tiers. Celui-ci en devient propriétaire (on dit qu’il se trouve subrogé dans les droits du créancier) et avance l’argent à la PME, moyennant une commission et des agios. A la date du paiement, le débiteur paye la société d’affacturage au lieu de payer le titulaire initial de la facture.

Quand M. Peek fut nommé PDG de CIT en 2004, son ambition était de transformer cette « Cofinoga » en un « Lazar Frères ». Il transféra le siège de l’institution, installé près d’un centre commercial de banlieue au 505 de la 5eme avenue, New York, New York. CIT devint un généreux mécène du New York City Opéra et M. Peek grâce à ses dons se vit décerner un poste d’administrateur au musée du Metropolitan.

Comme il fallait augmenter les marges, CIT imita Merrill Lynch et Crédit Suisse et Lehman Brothers. Avec retard, M. Peek lança son entreprise dans la titrisation. Logique du toujours plus, CIT se mit à faire des fusions et acquisitions avec de l’argent emprunté et beaucoup, beaucoup d’effet de levier. En 2003, CIT avait 33 milliards de dettes. En 2007, 55 milliards de $. Pour financer ces prodiges, on alimentait des crédits à moyen terme en refinançant un tiers ou plus de l’encours toutes les 24 heures.

Quand le credit crunch arriva… tous les clients tirèrent sur leur ligne de crédit, ce qui étrangla CIT par les deux bouts.

Goldman Sachs et Wells Fargo aidèrent un peu et pour fort cher. Ce ne fut pas assez. Le 22 décembre dernier, Ben Bernanke qui n’avait qu’une hâte c’était d’aller faire ses courses de Hanoukka accéléra les démarches pour transformer CIT et General Motors en banques de plein exercice (bank holding company). A la suite, Hank Paulson leur alloua respectivement 2,3 milliards et 13,4 milliards de $ du TARP.

La semaine dernière, M. Peek retournait donc à la fontaine remplir sa gourde. Son formulaire de demande d’élixir était posé sur le bureau de Sheila Bair depuis janvier.

La Directrice de la FDIC lui a répondu qu’elle n’allait pas prolonger artificiellement la vie d’une entreprise dont le business model est archaïque.

« C’est le même que General Electric » a répondu M. Peek, or General Electric Capital a pu faire garantir 74 milliards de $ d’obligations par la FDIC[iii]. Chacun son tour ! Et d’ailleurs si on regarde les chiffres, le niveau et l’exigibilité de la dette de CIT sont meilleurs que ceux de GE à court terme.

A quoi est due la différence de traitement ? Comme la FDIC n’est pas un organisme de restructuration industrielle, et comme CIT ne pose pas de risque thermonucléaire, Sheila Bair n’a en tête que de s’assurer qu’on renflouera les facilités de caisse fournies par l’organisme de tutelle dont elle a la charge et qui fonctionne sur la base de la mutualisation des risques. GE Capital a un riche papa industriel qui a utilisé une partie de ses dividendes pour financer la branche financière. CIT aussi en avait un, qui s’appelait Tyco, mais dont il s’est défait dans le cadre de la mue du conglomérat. Débrouillez vous tout seul, puisque vous êtes grand.

C’était donc la faillite assurée. Le contribuable américain aurait donc perdu 2,3 milliards de $ (il en a déjà perdu plusieurs millions dans les bonus dévolus à Merrill Lynch et à AIG. En outre, plus de 10 milliards du renflouement d’AIG ont servi à payer les indemnités dues sur les CDS en cas de faillite de Lehman Brothers, et qui étaient détenus en grande partie par Goldman Sachs). La bonne nouvelle était que CIT pouvait faire faillite sans que cela posât de risque systémique ; contrairement à la banque d'investissement en septembre dernier. Le système financier était redevenu suffisamment solide pour encaisser la cinquième faillite bancaire par la taille dans l’histoire des Etats-Unis [iv]avec en tout et pour tout un imparfait du subjonctif.

Coup de théâtre. Hier dimanche, à 22h30, le conseil d’administration de CIT approuvait un plan de 3 milliards apportés au groupe par Barclays. Ce prêt-relais va lui donner le temps de procéder à une série d'échanges de titres de dette contre des actions nouvelles. C’est chèrement payé. Avec 11% d’intérêts, ce sauvetage de dernière minute devrait permettre CIT de consolider ses fonds propres tout en réduisant la pression de ses frais financiers. Un petit pas pour CIT et un grand pas pour le système financier. La stabilisation à tâtons a marché.

Il y a 40 ans, aujourd’hui, le premier homme posait le pied sur la Lune. Coût de l’opération 104 milliards de $, à prix constants. Quarante ans plus tard, Barack Obama essaie de camper la couverture médicale universelle à Capitol Hill.

Gabrielle Durana
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Carte postale de Mars (mars 2009)

[i] La FDIC est un organisme créé par Roosevelt pour éviter les paniques bancaires. Il prend contrôle des banques en danger de faire faillite et en dispose ensuite par appartements. Traduit littéralement, son nom signifie Commission fédérale d'assurance des dépôts bancaires.
[iii] Dans le cadre du programme destiné à dégivrer les marches financiers, appelé Temporary Liquidity Guarantee Program.
[iv] Après celle de Washington Mutual le 26 septembre 2008.

mardi 14 juillet 2009

Chronique # 82 : Eyes wide shut

A Prague, les marchands ambulants se sont remis à vendre des statuettes du Golem, censé protéger contre les calamités, jadis contre l’antisémitisme.

14 juillet 2009


Tous les samedis, sur Union Square se retrouvent trois ou quatre habitués. Le cable car remonte la rue Powell dans un grincement bucolique, il longe le restaurant Michael Mina, deux étoiles au Michelin et caresse les anciens magasins Disney aux vitres couvertes de poussière. Le lieu n’a rien d’un square. Aux trois autres extrémités, il est délimité par la galerie Weinstein qui vend des toiles de Marc Chagall, par Neiman Marcus, une sorte de Faubourg Saint Honoré vertical, et la Nike Town. La place ne s’appelle pas Union Square parce que tout le monde s’y rassemble pour mendier ou consommer ; mais parce que pendant la guerre de Sécession, c’était le point de ralliement des partisans de Lincoln. Une colonne corinthienne s’élève au centre du rectangle en ciment tiré à quatre cœurs. Elle fut érigée en l’honneur du général Dewey qui coula tant de navires pendant la Guerre Hispano-Américaine de 1898 que l’Espagne perdit d’abord les Philippines puis Cuba. La Victoire verte ailée avec son trident a été fondue à l’effigie d’une héritière du sucre et inaugurée par Roosevelt, Théodore, celui qui a donné son nom à un ours en peluche. Elle marche vers Tiffany‘s et tourne le dos à Macy’s, sur le boulevard de Geary, là où chaque semaine s’installent les 4 amis.

Entre les distributeurs à la criée de l’Examiner et le stand de bretzels, avec les mendiants attrape-touriste en retrait, ils déplient leurs chaises, disposent des livres en terrasse sur la petite table de camping. Les gens se pressent sur le trottoir, les bras chargés de sacs en papier aux couleurs rieuses. Est-ce les dents blanches de la dame, les ouvrages de science-fiction ou la pancarte qui dit « tests de stress gratuits » ? Quelqu’un s’est assis. Il est pâle, cause ou conséquence de cette aiguille qui vire au rouge.

La Fed a publié le 4 mai le résultat des épreuves d’effort qu’il avait faites subir à 19 de ses plus grandes banques. D’aucuns ont pu critiquer la modèle choisi d’oscillographe mais de ce côté-ci de l’Atlantique, tous s’accordent à dire que l’ignorance est un blizzard qui ne conjure pas les infarctus. Si nous voulons un jour pouvoir renouer avec la croissance, et il n’y a pas de croissance sans demande mais non plus sans tuyauterie intertemporelle du capital, certaines banques doivent arrêter de fumer, perdre du poids, manger sain et recevoir une greffe de capital.

L’idée que les organismes financiers européens soient soumis à des tests de stress fait se raidir les gouvernements. « Quoi, tout le monde a ses problèmes, mêlez-vous des vôtres ! » semblent-ils dire en retirant la main.

Il ne suffit pas de remballer sa transparence qui rime avec arrogance et avec panique pour dissiper le malaise. Les banques européennes ont de quoi être stressées et les problèmes n’ont pas été inventés sur les faux appareils de l’Eglise de Scientologie.

Le fonds monétaire international estimait le 7 avril que les banques européennes devraient provisionner ou lever des capitaux à hauteur de 600 milliards de $ pour faire face aux pertes de 2009 et 2010 et reconstituer leurs fonds propres ; contre 275 milliards de $ pour les banques américaines.

Vous vous demandez peut-être pourquoi je reviens toujours au problème des banques. Ce n’est pas de l’indifférence vis-à-vis des victimes du tsunami financier, ou de la compassion envers les banquiers qui nous ont jetés dans le précipice après qu’ils aient demandé aux autorités d’enlever les barrières. C’est du pragmatisme. Voulons-nous d’une décade perdue à la japonaise ou d’une sortie de crise proche ?

Dominique Strauss Kahn, le patron du Fonds Monétaire International disait le 8 juin 2009 à Montréal, lors d’un sommet économique international des Amériques : « On ne s’en sort jamais tant qu’on n’a pas fait le ménage » (‘You never recover until the cleansing’). Mervyn King, le gouverneur de la banque d’Angleterre n’en disconvient pas puisqu’ il déclare que les problèmes bancaires vont rendre « l’échappée de l’économie de la récession longue, difficile, violente » (‘long, hard, slog’).

Seules la Grande-Bretagne, l’Irlande et la Suisse ont mené des tests, banque par banque pour connaître l’état de leurs artères mais n’ont pas voulu divulguer la méthodologie. L’Europe des 27 qui n’a pas de gouvernement fédéral (vous aviez voté « Non » à la Constitution Européenne ? Et bien maintenant, dansez ! Vous aviez voulu échapper à la techno. Ce sera la danse de Saint Guy), l’Europe des 27, donc, chez qui la régulation bancaire ne relève pas de la Banque Centrale Européenne mais bien de la compétence nationale a déclaré qu’elle mènerait des tests d’effort de tout le système mais ne publierait pas les résultats.

Chacun fait donc ce qui lui plait. En Allemagne, on a des élections en septembre alors le lavage du linge sale à la fontaine publique pourrait se retourner contre les élus locaux qui siègent dans les Conseils de surveillance des banques régionales et contre les élus nationaux qui ont négocié avec Bruxelles le droit de garantir les prêts émis pas ces dernières.

En effet, en contradiction avec l’éthique protestante, les « Landesbanken » se sont gorgées d’actifs pourris entre 2001 et 2005. Après la curée, l’assommoir. Fin avril, le Süddeutsche Zeitung et le Spiegel publiaient un audit confidentiel de l’autorité de tutelle des banques allemandes, la BaFin[i] : les banques allemandes détiendraient 816 milliards d’euros d’actifs toxiques, soit 1,15 trillions de $. Le document désignait Hypo Real Estate, nationalisée depuis, et Commerzbank ainsi que HSH Nordbank comme les prêteurs ayant prêté tout l’été.
La porte parole de la BaFin s’est écrié que le document n’était pas figé dans le temps (“It is a work in progress."). Le ministre de l’Economie Peter Steinbrück a aussi dénoncé une représentation biaisée de la réalité. Enfin, le gouverneur de la Bundesbank a mis en garde contre une mauvaise interprétation des chiffres.

Autre pays quasi-fédéral, avec son système des « communautés autonomes », l’Espagne est dans une même logique d’omerta, par peur de se voir reprendre par la Banque d’Espagne le pouvoir dont jouissaient les régions pour administrer les banques locales.

D’abord montrée comme un exemple en raison de son mécanisme contracyclique de réserves automatiques qui vont renforcer les fonds propres les années de vaches grasses, on a finit par découvrir ce que tout le monde savait : une bulle spéculative dans l’immobilier s’enflait depuis 15 ans.

Quand j’étais enfant dans les années 80, j’allais en vacances à Majorque. A l’époque, il fallait à une famille où un seul adulte travaillait entre 2 et 5 ans pour s’acheter son logement dans un quartier de classe moyenne basse. Ces dernières années, deux smicards (les « mileuristas », littéralement ceux qui gagnent mille euros mensuels) devaient partir en lointaine banlieue pour espérer s’acheter quelque chose en empruntant sur 50 ans. Le miracle économique espagnol fondé sur immobilier a été en grande partie prolongé par l’arrivée massive d’étrangers (près de deux millions au cours de cette dernière décennie) mais soudain le boom s’interrompt et les banques font boum.

Là non plus, on n’a pas tellement envie de sortir les torchons maculés au grand air, les conseils de surveillance des banques étant peuplés d’élus locaux qui ont cautionné, souvent sans comprendre, jouer au Monopoly est plus facile qu’ aux produits dérivés.

La réponse européenne au tsunami financier peut être résumée en deux phrases. Dans son volet budgétaire : « Croisons les doigts », ou pourvu que les Américains et les Chinois nous relancent. Dans son volet monétaire : « Ignorance is bliss »[ii] ou agissons un peu mais sans éveiller l’attention de la populace.

Ainsi, le Secrétaire d’Etat à l”Economie, José Manuel Campa déclarait hier que le gouvernement avait mis en place un Fonds Bancaire de la Restructuration en bon Ordre [iii], le Frob, parce que c’était un instrument « très important mais pas urgent ».

La solution du Frob ressemble au système américain de la FDIC[iv], qui met les banques sous tutelle et une fois la panique évitée, les vend par appartement pour reconstituer ses forces d’intervention. La Frob sera dotée d’un capital de 9 milliards d’euros pour démarrer.

L’évolution de la position allemande va dans le même sens. Le 19 janvier 2008, le ministre allemand récusait la solution de la « bad bank »[v]. Le 13 mai, le gouvernement acceptait le principe d’une structure de défaisance. Le 3 juillet, la loi créant la « banque poubelle » était adoptée par la chambre basse ; dotée d’un capital de 230 milliards d’euros (322 milliards de dollars).
La solution inventée par la France qui combine des prêts, via la Société de financement de l’économie française (la Sfef) et de prises de participation, via la Société de prises de participation de l'Etat (la SPPE) participe de la même stratégie. D’abord absence de grandes dépenses budgétaires, contrairement au Plan Obama. En revanche, les rémunérations mirifiques promises par Nicolas Sarkozy sur trois chaines en technicolor dans l’émission « Face à la crise » ne se sont pas matérialisées : en cas de plus-values, la SPPE ne peut pas gagner plus de 20% sur ses actions les quatre premières années. En cas de moins-values, passez l’addition. La dette de la Sfef est comme le financement de la Guerre d’Irak sous Bush, elle ne figure pas au budget, donc elle n’existe pas. Enfin, la crise frappe d’abord les PME et le dispositif de soutien à leur trésorerie de 22 milliards d’euros risque bien de couter 22 milliards d’euros. Pour mémoire le plan de relance de Sarkozy s’élevait officiellement à 26 milliards d’euros.




Du 7 au 14 juillet 2009, à l’opéra Bastille, création mondiale de « Am Anfang » (au commencement), sur une musique de Jorg Widmann, dans des décors et avec des costumes conçus par le plus français des artistes allemands, Anselm Kiefer

Le 1er juillet, la Cour des Comptes réclamait que l’Etat se dote d’une « doctrine d’actionnaire bancaire ». Non seulement, le contribuable apporte sa caution mais il n’a pas voix au chapitre dans les conseils d’administration et aucun mécanisme de sanction n’est prévu contre les établissements qui ne respecteraient pas les engagements sur la rémunération des dirigeants ou l’évolution du crédit. La seule garantie que ces bonnes gens tiennent leurs promesses est que ce sont des amis personnels du Président.
A moins que justement…

On a beau se lamenter sur l’absence d’Europe politique face à cette crise, on a peine à voir quelle serait son utilité si le dogmatisme est plus fort que le pragmatisme. Un gouvernement européen n’est-il pas censé travailler à la protection de sa population, à une sorte de Welfare state supra-étatique ?

Telle qu’en elle-même, le Commissaire européenne Neelie Kroes s’inquiète des conséquences anticoncurrentielles de la nationalisation de la Royal Bank of Scotland et de la Lloyds Banking group. Alors que le gouvernement britannique essaye de relancer l’économie en poussant les banques dont il possède désormais 70% et 43% du capital à prêter aux particuliers, « il y a des risques que des décisions non concurrentielles soient prises ». Elle exige une cession d’actif avec un calendrier.

Pendant que l’Islande qui voulait être aussi grosse le bœuf se prépare à retourner à ses poissons et à entrer le plus vite possible dans le paradis des chalutiers de l’Union Européenne, dès 2011 avec la Croatie, les manifestations se multiplient en Europe de l’Est. En Ukraine, le Premier Ministre et le Président ne se parlent plus. A Lviv, les chômeurs défilent couverts d’une feuille de licenciement.

Gabrielle Durana

Chroniques du tsunami financier
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[i] La ‘Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht’ abrégée en BA-FIN, ou « Bafin » est l’équivalent de l’Autorité des Marchés Financiers en France. La Bafin supervise 2.700 banques, 800 institutions financières non bancaires et 700 compagnies d’assurance.http://www.bafin.de/cln_152/sid_5C3946C05007110DBF497E5851624745/EN/Home/homepage__node.html?__nnn=true
[ii] Littéralement « l’ignorance rend heureux », c’est à dire que si vous ne connaissez pas une mauvaise nouvelle, elle ne vous peine pas.
[iii] El Fondo de Reestructuración Ordenada Bancaria (FROB), voir : http://www.la-moncloa.es/ActualidadHome/2009-2/260609-enlacefondo
[iv] La FDIC est un organisme créé par Roosevelt pour éviter les paniques bancaires. Traduit littéralement, son nom signifie Commission fédérale d'assurance des dépôts bancaires. Sa directrice est Sheila Bair.
[v] Pour une revision du concept de la Bad Bank, ici: http://tsunamifinancier.blogspot.com/2009/02/chronique-65-la-bonne-paie-et-la.html

mardi 7 juillet 2009

Chronique # 81: l’épave économique


L’ancien basketteur de haut niveau Magic Johnson prêtait son image en avril dernier aux services payants de déclaration d’impôts qui offrent aussi des crédits pour fins de mois difficiles.


Cette chronique est dédiée à la mémoire de Pierre Aubéry, historien (Le Havre 1920-Oakland 2009).


Mardi 07 juillet 2009

Les mauvaises nouvelles se suivent mais ne se ressemblent pas quand on prête attention. A partir de jeudi, l’Etat de Californie s’acquittera de certaines de ses dettes avec des traites à échéance du 2 octobre et qui rapportent 3,75% en rythme annuel. On les appelle des IOU (prononcez « Aille-eau-you »). De votre main, vous écrivez « je te dois » (I owe you) et le montant, ajouté des intérêts ; la personne range le papier dans sa poche et vous tend un sac de pièces. Dans l’univers incroyable de la Californie, Arnold Schwartzenegger imprime donc sa propre monnaie, des « individual registered warrants » et garde ses dollars pour payer les créditeurs de premier rang et le superprivilège des salaires. Mais dire que l’Etat est en faillite c’est ne rien comprendre.

Au jeu des départements français, la préfecture est toujours une grande ville. Ici, quand on vous demande la capitale d’un Etat c’est toujours une petite ville ; non parce qu’il fallait multiplier les centres urbains (comme quand on a créé Evry ou Créteil pour l’Essonne ou la Val de Marne) mais parce que dans le débat entre Jefferson et Hamilton, aux premiers temps de la République, c’est le premier qui l’a emporté. Il s’est agi de reléguer le small government le plus loin possible de la vie des affaires. Ce serait Carson City pour le Nevada, Tallahassee et pas Miami, Springfield et surtout pas Chicago. Pour la Californie, Sacramento se trouve à 151 kilomètres du Golden Gate Bridge. Imaginez l’influence avant la construction de l’autoroute. Là, sous un Capitol qui ressemble à une Notre Dame des Clochettes, se sous-gouverne la 6eme puissance économique mondiale. Visitez l’Alliance Française locale et vous aurez tout compris. Depuis 25 ans, le budget n’est pas voté à temps. La majorité des deux tiers n’est jamais réunie, à croire qu’on l’ait voulu ainsi.

Les finances publiques étaient donc exsangues avant mon ami le tsunami. Le gouverneur républicain refuse d’augmenter les impôts des millionnaires du Comté d’Orange (rares sont ceux de la Silicon Valley qui votent pour lui), car trop c’est trop. Les démocrates refusent d’augmenter les impôts sur les classes moyennes ; elles ont déjà été dévalisées par la crise. Arnold Schwarzenegger, stoïque sabre dans les dépenses d’éducation, de santé et dans les dotations aux collectivités territoriales, qui à leur tour licencient maîtres et pompiers. Elles ferment les bibliothèques le week-end et augmentent les tarifs des transports en commun.

L’Etat de Californie n’est pas le seul à chercher comment payer ses créanciers chirographaires (ceux qui n’ont aucune priorité à être payés) autrement qu’avec des dollars. Dans le Midwest, le gouverneur de l’Ohio est en sursis jusqu’à ce soir minuit. Celui de l’Indiana a déjà promis que la police et les prisons assureraient la continuité du service public. Pour ce qui n’est pas essentiel, il faudra se serrer la ceinture. Ici, personne ne parle d’augmenter les impôts des millionnaires, à croire que Monsieur Ford n’a pas réussi dans l’automobile. Comme si dans la région de Lille n’avaient vécu que des filandières, sans les propriétaires des usines. On n’achève pas les espèces rares.

Heureusement depuis la planète Krypton, un plan de relance de 700 milliards de dollars arrive. A pied, ou en rollers, il n’y a que 10% qui soient partis à destination.

L’épave économique n’est pas à la même place. Les chiffres du chômage continuent d’augmenter. Tandis qu’en France, depuis avril 2009, se détruisent 1500 emplois par jour, notez qu’aucun chiffre récent n’est disponible sur le site de l’INSEE (officiellement 8,7% au premier trimestre :
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=99&ref_id=CMRSOS03311), ici le taux de chômage indemnisé atteint 9,5% (chiffre entouré en rouge sur le tableau ci-dessous). Si l’on ajoute le sous-emploi, c'est-à-dire les personnes qui souhaiteraient travailler à temps plein mais qui ne le peuvent pas, le taux de sous-utilisation du facteur travail s’élève aux Etats-Unis à 16,5% (cf : http://www.bls.gov/news.release/empsit.t12.htm) en date du 2 juillet 2009 - chiffre entouré en jaune.


Plan de relance ou absence de plan de relance, est-ce la même chose ? Not quite. De fait, même Monsieur Sarkozy se lance dans l’emprunt d’Etat (premier discours devant le Congrès d’un président depuis 1848 le 22 juin 2009, contenu et périmètre encore à définir dans une rhétorique moirée de généralités). De plus, Joe Biden, le vice-président américain réfléchit à voix haute à un deuxième plan de relance, plus axé sur la demande tant la consommation est faible pour cause de chômage. Laura Tyson, l’ancienne conseillère de Clinton aux affaires économiques réclame elle aussi un soutien de la demande.
Les gardiens des grands équilibres dénoncent le lobby gauchiste de Berkeley. D’ailleurs, au lendemain de son adoption, début février, Robert Reich, lui aussi prof à Berkeley, avant et après avoir servi comme ministre du travail de Clinton avait déjà souligné l’erreur qui consistait à alléger le plan passé de 1,2 trillions à 700 milliards et à le délester d’un tiers de baisses d’impôts. Depuis sa chaire de Princeton, Paul Krugman, le prix Nobel d’Economie qui éduque par milliers les lecteurs du New York Times avait tiré les mêmes avertissements.

Comment réagissent les marchés financiers à la dégradation des indicateurs ? Nous les avions quittés le 21 mai avec un Dow Jones à 8292 points de base. Un mois plus tard, le vendredi 19 juin, arrivaient à expiration le même jour 1) les contrats à terme sur indice boursier (stock index futures), 2) les options sur indice (stock index options) et 3) les options sur achats d’options (stock options), c'est-à-dire pour simplifier tous les contrats passés un trimestre plus tôt et qui reflétaient les anticipations des agents. Le phénomène connu sous le nom de « triple witching » (« the witching hour » sonne au douzième coup de minuit) est une sorte d’éclipse boursière qui se produit quatre fois par an. Les agents doivent alors fermer leurs positions, la volatilité ce jour-là est maximale et le volume la dernière heure très élevé. Le 19 juin, la Bourse finissait comme elle avait commencé : le Dow Jones à 8,539.73 (-0,19%) et l’indice des valeurs technologiques, le Nasdaq à 1827 points (+1,09%). Les agents avaient donc anticipé une prophétie auto-réalisatrice (self-fullfilling prophesy) de hausse. Un trimestre plus tard, le pouls de l’économie réelle n’ayant pas recommencé à battre, le Dow Jones cette semaine-là reculait de 2,95%, le Nasdaq de 1,69%, l’indice des 500 valeurs de Standard & Poor de 2,64% et l’indice Russel 2000 qui reflète l’évolution de presque toute la place (2000 valeurs) rendait 2,68%.

Publiez le chiffre du chômage et vous avez un marché « oursier » (bearish market) qui rugit sur toute la pente depuis deux semaines. Aujourd’hui, le Dow Jones dégringolait de -1,9% à 8163 points, son plus bas niveau depuis fin avril. Pour la première fois depuis le 23 juin, le Vix, l’indice de la volatilité sur la place de Chicago repassait au-dessus de 30, en hausse de 6,4%. Les fondamentaux de l’économie ne sont pas sains. Et les anticipations empreintes de pessimisme. Si vous êtes devenus insensible aux indices, vous pouvez toujours changer de Wall Street TV à la chaîne de l’instant. On y pleure sur télécommande. Michael Jackson recevait toute la journée un enterrement papal, au Centre Staples de Los Angeles, baptisé du nom d’une marque de fournitures de bureau, celui-là même où il répétait la veille de sa mort, pour son come-back. Bernard Madoff depuis sa prison regarde surement CNN. Il a l’éternité et 150 ans pour rire de son bon tour. Ses louis d’or se sont transformés en citrouille. Ruth lui manque.
Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier
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