vendredi 12 décembre 2008

Chrnonique # 47 Germinal dans le Michigan, la Curée dans l’Illinois




12 décembre 2008



Il est minuit sur la chaine du Maire. Londres va ouvrir dans une demi-heure. Les places de Hong-Kong et de Tokyo ont fermé pour le week-end avec deux belles entailles de -5,92% et -5,62% de profondeur. Le Dow futures qui vous annonce la météo de Wall Street pour demain affiche -3,55%. Ephéméride de l’apocalypse.









Pour moins que le prix d’un chocolat chaud pris en face de l’Opéra Bastille, il y a encore quelques heures vous pouviez vous offrir une action de General Motors. Maintenant, il ne vous en coûtera plus qu’un café au comptoir.









C’est fini. Les sénateurs et les membres du congrès de la 110ème législature rentrent chez eux. Les canards battus en boitant, les autres en titubant, incrédules que la droite au Sénat ait eu la faculté d’empêcher un prêt relais de 14 milliards de dollars pour les trois constructeurs du Michigan.










Montesquieu en avait rêvé : « Il faut que par la force des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». George Washington, Benjamin Franklin, Alexander Hamilton et surtout James Madison l’ont fait. La Constitution de 1787 institue un régime de collaboration des partis (le fameux bipartisanship) et protège le pays contre la tyrannie des urnes, grâce à un système de contre-pouvoirs (checks and balance). L’inconvénient de l’avantage c’est qu’une majorité ne peut lutter contre l’obstruction systématique de la minorité (le filibuster-littéralement faire de la piraterie parlementaire) qu’avec une majorité qualifiée, la super majority de 60 voix sur 100 à la chambre haute.









Dans l’assemblée sortante, le rapport des forces était de 49/51 en faveur des Démocrates ; grâce aux deux sénateurs non-inscrits (independents), mais ce n’était pas assez. Dans la future assemblée, élue le 4 novembre et qui prendra ses fonctions le 6 janvier 2009, les Démocrates ont 58 sièges et peut-être vont-ils en gagner un 59ème lors de l’élection partielle du Minnesota. Encore une fois, un seul sénateur empêche la chambre de virer bleue marine. (Attention aux daltoniens politiques, aux Etats-Unis, rouge, c’est républicain ; bleu démocrate).









Le plan de sauvetage avait été approuvé hier par la chambre basse, contrôlée depuis 2006 par les Démocrates et dans laquelle il n’y a pas de minorité de blocage. Mais pour prendre force de loi, le plan devait être adopté en termes identiques par le Sénat. Le vote 52 pour, 35 contre n’a pas permis de surmonter la rafale d’amendements destinée à laisser filer la montre. Le principal point d’achoppement a été les concessions encore plus drastiques exigées par les Républicains de la part des syndicats. Grosso modo on leur demandait de rogner toute couverture santé et toute retraite pour s’aligner sur la politique salariale des constructeurs étrangers installés dans les Etats du Sud. Les Démocrates étaient prêts à accepter une baisse progressive mais pas une coupe à la hache alors que le pays tangue au bord de la dépression. Les Républicains ivres de colère d’avoir été battus à cause du bilan de Bush et de la campagne désastreuse du moins consensuel de leurs membres, John McCain livrent un baroud d’honneur tout en pratiquant la politique de l’assemblée brûlée.









Encore cet après-midi on parlait de ramener Paul Volcker, 81 ans, l’ancien gouverneur de la Fed du temps de Ronald Reagan, de sa retraite à temps partiel – à ses heures, il conseille Obama- et de le couronner « Tzar de toutes les autos » (car czar, c’est joli, en plus ça rime). Bénéfice de l’entrée en âge, il était déjà aux affaires en 1979 lors du précédent dépôt de bilan de Chrysler. Cette fois-ci, il aurait reçu des pouvoirs ad hoc, comme un juge des faillites, avec pour mission de forcer les Trois Grosses à se restructurer, tout en imposant des concessions à toutes les parties prenantes (les stakeholders, comme on dit en anglais-stake=enjeu, mise) : créanciers, salariés, actionnaires, fournisseurs. Cela serait revenu à un redressement judiciaire (chapter 11) sans la lettre écarlate.









Il existe des raisons valables pour lesquelles les PDG des entreprises de Detroit, la centrale syndicale de UAW, les élus démocrates et nombre d’économistes voulaient éviter la procédure collective. D’abord aucun futur acheteur de voiture ne sera assez bête pour choisir une marque susceptible de disparaître sous trois mois pour cause de liquidation judiciaire (chapter 7). Du coup, l’ouverture d’une procédure collective fait craindre qu’au moins un, voire deux constructeurs soient liquidés et c’est cette crainte qui conduit les gens à ne pas acheter leurs produits. Ainsi la prédiction s’exauce. En économie, on appelle cela les anticipations auto-réalisatrices (self-fulfilling prophecy).









Ensuite lors d’une procédure collective, la restructuration du passif exigible se fait grâce à un financement qui prend rang dans le remboursement des créanciers juste après le super-privilège des salaires et des impôts. Ce financement appelé Debtor-In-Possession (DIP) financing, souvent très coûteux, permet à l'entreprise de couvrir les coûts d'exploitation et les achats courants de stocks pendant sa restructuration. Or, devinez quoi avec le credit crunch, l’une des plus grandes entreprises qui se spécialisait dans le domaine, General Electric a arrêté net. Le business a beau être lucratif, quand c’est gelé, c’est gelé. Donc, les Républicains du Sénat laissent tomber les Trois Grosses, victimes de leurs erreurs stratégiques, certes, du crédit crunch et de la crise qui tue la consommation d’objets durables, surtout, et ils les envoient visiter le DIP financing au fin fonds de la Sibérie bancaire.









A qui profite le crime ? Aux Etats du Sud, dont les Républicains sont les élus et qui ont des usines en fonctionnement ou en construction qui font du dumping social. Pas de syndicats, pas de retraite, pas couverture santé pour les travailleurs non permanents, qui dit moins ?










Maintenant des nouvelles de l’Illinois, l’Etat d’ Abraham Lincoln, d’Al Capone, des Kennedy et de Barack Obama.









Après 6 jours d’occupation de leur entreprise à Chicago, les salariés licenciés sans préavis d’une entreprise de fabrication de fenêtres, après que Bank of America ait coupé les lignes de vie viennent d’obtenir le paiement de leurs indemnités. Cela n’avait pas le cachet de Lipp. On ne les avait pas vus se remettre à couper, poncer, clouer tandis que d’autres faisaient les VRP sur les chantiers « Qui veut mes fenêtres ? Feu-naitre ! Qui veut mes fenêtres ? ». Mais on était tout de même agréablement surpris de voir des images à la télévision.









D’ abord, les grèves ici sont rares. Ensuite, quand elles éclatent, les medias parlent du mari qui a fait rôtir sa femme parce qu’elle lui avait confisqué la télécommande. Wow, donc des images de grève et à la télé, c est plus rare que l’école publique et de qualité ou un Républicain à San Francisco. Une victoire à la Pyrrhus, pourtant, car l’entreprise a bel et bien plié bagage ; les anciens dirigeants ont crée une nouvelle structure juridique dans l’Iowa où … finissez la phrase avec moi, la main d’œuvre est plus docile et moins onéreuse.









En Illinois, c’est la lutte finale aussi pour la liberté de la presse et même pour la presse tout court : le Chicago Tribune est en cessation de paiements.









J’ai gardé le plus immoral pour la fin. Le gouverneur de cet État, comme tout gouverneur est investi de la prérogative de nommer le remplaçant d’un sénateur démissionnaire ; par exemple quand il vient d’être élu Président de la République, comme Lincoln. M. Blagojevich n’avait rien trouvé de mieux que de monnayer le poste. La veille de la visite matutinale du FBI à son domicile familial, il faisait le fanfaron devant les caméras venues filmer les grévistes. A un journaliste qui lui demandait s’il était au courant des écoutes du FBI, il répondait qu’ils pouvaient écouter leur ipod ou ce qu’ils voulaient. Le lendemain, il était cueilli au saut du lit. Le pays mangeait ses corn flakes en apprenant le contenu des minables conversations téléphoniques, avec pleins de bips ; car à la télévision américaine il ne faut pas faire rougir votre écran-plasma avec des gros mots.






Pendant ce temps, l’ancien gouverneur de l’Illinois purge une peine de prison pour
A- faire peur aux petites filles
B- absentéisme chronique
C- corruption
D- all of the above (=toutes les réponses ajoutées).







A l’heure où je termine cette chronique, la bourse de Londres est béante avec -3,23%, Francfort déguste avec -4,16% et Paris, demandez au zouave, Paris est sous -4,86%. New York est ouverte depuis 90 minutes et vous sert un -2,48% dans le milieu de l’estomac. Juste pour bien comprendre, quand on ajoute tous ces pourcentages et qu’on les convertit en capitalisation boursière… Quelqu’un a-t-il une calculatrice ? On obtient bien plus que 14 milliards de dollars ? Après on dit que les Républicains sont les vrais amis de l’économie et de la croissance.









Demain, je vous raconte comment les buveurs de matcha iront cuver leur gueule de bois sur la planète ZIRP.

Gabrielle Durana

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