mardi 9 décembre 2008

Chronique # 46: Mon oncle d’Allemagne


9 décembre 2008



Nous allons répéter avec la Bourse de Paris qu’aujourd’hui c’est Noël, le CAC 40 s’est envolé de 8,68%, l’Union Européenne a approuvé le plan de sauvetage des banques de M. Sarkozy, les milliards vont commencer à pleuvoir sur les bilans des banques. Trempons les lèvres.



Comment ça il est tiède ? D’ après le Financial Times, dont la réputation de rigolards est totalement surfaite, 200.000 entreprises de l’Union Européenne feront faillite en 2009 ; contre 62.000 aux Etats-Unis (42.000 en 2008 et 28.000 en 2007) Dans la maison Usher, la France occupera le pigeonnier avec 63.000 dépôts de bilan.


Tenez, vous en reprendrez bien un petit peu, même s’il n’a plus de bulles.


Que les malheurs aient rattrapé l’Amérique, ce n’est que justice divine de l’économie. Ces gens-là vivent au-dessus de leurs moyens, ils ont des grosses voitures et ils jettent leurs verres en papier comme si les arbres repoussaient dans les poubelles. Tandis que si vous épargnez tous les mois, si vous exportez plus que vous n’importez, si vos lessives lavent gris, je vous promets que le petit Milton Friedman ira mettre de la croissance dans vos souliers tous les 31 décembre. Enfin, ça c’était le catéchisme qu’on vous avait appris à l’école de la réussite néo-classique. Et comme dans la vie des Saints c’est vraiment magnifique sur le papier.



Demandez donc au Japon où à l’Allemagne où les a menés la vertu. Le premier verra le nombre de ses entreprises en faillite passer de 14.000 à 17.000 en 2009, tandis que la deuxième s’enfonce dans la pire situation économique depuis 1949.


Vendredi dernier, la Banque Centrale Européenne a abaissé son taux directeur de trois quart de points, pour le ramener à 2,5%. La Banque d’ Angleterre avait précédé. Elle a désormais un taux de base de 2%, du jamais vu depuis 1951. La Banque du Canada, (pays dont l’allégeance à la Reine d’ Angleterre réapparait soudain comme une curiosité à l’ occasion d’une crise institutionnelle, mais cela nous éloigne de nos moutons tsunamiens) et la Banque centrale danoise ont réduit leur taux-plancher de trois-quarts de points. Il est fixé à 1,5% pour la première et à 4,25% pour la seconde.



Le but de toutes ces grandes manœuvres est bien entendu de faciliter le desserrement de l’étau du credit crunch. Après la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre, en quelques jours, tout le marché des capitaux à court terme a été paralysé. Le peur de la faillite des banques a refroidi tout le monde de prêter à son voisin. Les autorités monétaires ont dû fournir de grandes quantités de liquidités pour éviter que l’économie n’explose à cause du gel des tuyaux. Puis comme cela n’a pas suffit, la Fed, imitée par la BCE s’est transformée en prêteur en premier ressort et a commencé à accepter des effets de commerce d’entreprises triées sur le volet et à leur procurer l’argent de leur trésorerie.



La peur a pour conséquence une fuite vers la qualité (flight to quality). Les gens vendent leurs monnaies locales et achètent des yens ou des dollars. Les déposants retirent leurs fonds des banques douteuses et les placent sous le matelas ou chez des concurrents plus solides. Les investisseurs liquident leur portefeuille d’actions et achètent des bons du Trésor en suivant le raisonnement que quand il ne resterait rien après le tsunami, l’Etat lui sera encore-là. Plus rien ne compte en dehors du souci de préserver le capital.



Hier le Trésor américain a vendu aux enchères 27 milliards de bons à trois mois, qui rapportent 0,005%. Vous avez bien lu. C’est le taux le plus bas jamais pratiqué depuis 1929. La semaine d’avant, le Trésor avait procédé à une vente semblable et il avait fallu qu’il offre du 0,05% pour trouver preneur. Au fait, hier, il y avait trois fois plus de demande que d’offre. Il a aussi procédé à une vente de bons à six mois pour 27 autres milliards, avec un intérêt de 0,30%. C’est le taux le plus bas depuis 1958. Une semaine auparavant, il lui avait fallu promettre un intérêt de 0,43% pour attirer les foules. Pas de problème. Il a d’ ailleurs aussi levé des fonds à 10 et 30 ans avec des taux exceptionnellement bas.


En ce qui concerne le credit crunch, en anglais, la métaphore qui est souvent filée est celle du blizzard et donc l’amélioration de la situation est communément appelée un dégel (to thaw frozen credit). A en juger par ces taux ras-plat-plat, on serait invité à conclure que la banquise continue de dériver et qu’elle finira bien par rencontrer un Titanic. En fait, ce n’est que la moitié de l information nécessaire pour se faire un avis.



L’autre moitié du raisonnement repose sur le taux du Libor (London interbank offered rate). Ce taux décidé tous les jours à 11h par 13 banques et publié à Londres sert de référence aux prêts interbancaires et comme le nom ne l’indique pas, ce sont des prêts sans garanties. Le Libor est utilisé par les banques des Etats-Unis, du Canada et du Royaume-Uni. L’Europe continentale, elle, utilise l’euribor, computé et publié aussi chaque jour par Reuters. Il existe des Libor à un jour, à un mois, à trois mois etc. Aujourd’hui le Libor à trois mois cote 2,16% et l’ euribor 3,428%.



La différence entre le taux des bons du trésor et le libor s’appelle le Ted-spread et c’est un excellent indicateur du fonctionnement du système financier. S’il augmente, c’est mauvais signe. S’il se réduit cela veut dire que les banques osent se faire confiance. Au plus fort de la crise, le 10 octobre 2008, le Ted-spread s’élevait à 4,65%. Aujourd’hui il est environ à 2,16%. Cela va donc un peu mieux, mais si je vous dis que le Ted historique oscille entre 0.1% et 0.5%, vous voyiez bien que le printemps est encore loin, loin, loin.


Donc les banques centrales y vont de leur politique monétaire pour huiler les rouages économiques. Comme on ne pourra plus baisser à l’ infini, après on se mettra à faire ce qu’on appelle dans la langue des banquiers centraux du quantitative easing. La politique monétaire ne meurt pas : puisqu’ on ne peut plus jouer sur les prix (le taux) on agit sur les quantités (le volume). La banque centrale retire le plafond sur ses ventes aux enchères et se met à acheter au taux de 0,005% tout ce qui se présente sur le marché des capitaux. Ne croyez pas que ce soit de la science-fiction. C’est ainsi que Roosevelt a financé la 2nde Guerre Mondiale.


Voilà pour la politique monétaire. Quant à l’autre bras du policy mix (nom savant donné à la politique économique qui fait un mélange (le mix) pour intervenir sur l’économie), c’est la politique budgétaire.


Vous êtes ministre de l’économie et des finances. Avant, dans un monde qui n’existe plus, vous aviez deux manettes, la politique monétaire et la politique budgétaire. Aujourd’hui, vous n’en avez plus qu’une, la politique budgétaire. Vous devez essayer d’analyser la situation. Le problème est-il du côté de la demande ou est-il du côté de l’offre ?



Si vous pensez que les entreprises n’embauchent pas parce que le coût du travail ou du capital sapent leur profitabilité, vous allez essayer d’agir sur l’offre. Vous baisserez par exemple l’impôt sur les sociétés (=moins de rentrées dans le budget de l’Etat). Si vous pensez que les entreprises n’embauchent pas parce qu’elles anticipent que personne ne leur achètera quoi que ce soit, vous êtes en train de diagnostiquer que le problème gît du côté de la demande.



En ce moment de Francfort à Paris, de New Dehli à Beijing, de Londres au Hilton de Chicago, où Barack Obama pendant encore 41 jours tient ses conférences de presse en attendant que les Bush aient fini d’acheminer leurs affaires à Dallas, l’immense majorité des gouvernants fait l’analyse que la demande est cassée.


Tous les pays adoptent des politiques de relance. L’eusses-tu cru ? Le retour du mot en R !!! M Sarkozy a même nommé Patrick Devedjian ministre de la relance comme si créer un ministère du beau temps pouvait épouvanter le tsunami.


Qu’on l’appelle relance ou stimulus package, le retour des politiques keynésiennes sonne le glas du crédo du laissez-faire et le conte de fées des déséquilibres qui ne sont que temporaires et qui se corrigent d’eux-mêmes. Comme disait Keynes, « les marchés peuvent rester irrationnels plus longtemps que nous pouvons rester solvables ».


Non seulement le marché peut demeurer irrationnel ou dans un équilibre sous-optimal mais il faut s’occuper de la demande, c'est-à-dire donner à manger aux poules, sinon elles ne pondront pas d’œufs et les restaurants n’auront plus d’omelettes, ou dans une métaphore moins avilissante, donner du travail aux consommateurs.



Barack Obama : 500 à 700 milliards de dollars (5% du PIB) avec une politique de grands travaux. Chine, 586 milliards de $ (8% du PIB), l’Inde 1 à 2% du PIB, malgré des déficits publics déjà élevés, Israël, France, Royaume-Uni (20milliards de £, soit 29.8 milliards de $ ou 23 milliards d’$), Italie, Espagne, Thaïlande, tous les pays sortent le chéquier pour faire des chèques souvent sans provision, car les caisses sont vides ; mais en se disant qu’avec des sourires peut-être le banquier endossera le chèque sans l’encaisser. Par ici, circulez la monnaie. Souvent aussi les vrais effets d’annonce masquent de vieilles dépenses qu’on rhabille en mesures de relance. Mais une chose est sure le volontarisme en économie est revenu.


Dans ce contexte, la rencontre à Londres, hier, de Gordon Brown, le Premier ministre britannique et de Nicolas Sarkozy, le président français au sommet baptisé « Global Europe » et auquel Angela Merkel,la chancelière allemande n’avait pas été invitée illustre la désunion européenne pour traiter la crise.


Rappelons que lors d’une rencontre le 27 novembre 2008, sous la houlette du président de la Commission, les 27 sont tombés d’ accord pour dépenser jusqu’ à 1,5% de leur PIB pour faire de la relance chacun dans son coin.


Ce graphique ci-dessous résume bien les données du problème. Dans la première colonne, vous avez les déficits budgétaires en % du PIB avant la relance. Dans la deuxième colonne, vous avez combien de milliards représente la relance de 1,5%. Si vous ajoutez les chiffres de la 1ere colonne au 1,5% de la deuxième vous obtenez les chiffres de la troisième colonne. Si nous étions en période normale, il faudrait que les pays restent en dessous de 3% dans cette 3eme colonne, afin de respecter le pacte de stabilité. Mais comme nous vivons le tsunami-une-fois-dans-ma-vie, et qu’à long terme, comme disait Keynes, nous serons tous morts, il faut d’ abord sauver l’économie.


Mais justement comme les choses n’allaient pas si mal pour tout le monde, avant le tsunami, vous pouvez constater que tout en restant dans la limite de 3%, il y aurait encore de la marge à dépenser. La quatrième colonne nous donne l’enseignement suivant : l’essentiel de l’argent viendrait de … mon oncle d’Allemagne, de mes tantes italienne et espagnole et de ma vieille tante d’Helsinki dont j’avais jusqu’ à oublié l’existence.



Les ministres de Merkel ont comparé l’enthousiasme anglo-français en faveur du déficit bêlant aux « lemmings se jetant du haut de la falaise ». Moi, cela me rappelle plutôt Mme Thatcher se jetant à la gorge de François Mitterrand en 1984 et lui criant : « I want my money back » (=je veux qu’on me rende mon argent, mais qui peut aussi se traduire par « je veux un retour sur investissement de mon argent »).


L’Allemagne (et d’ ailleurs le Japon aussi mais c’est une autre histoire) sont en récession. Les maux qui frappent l’industrie automobile américaine frappent l’industrie automobile allemande avec des variantes (cf : graphique ci-après), alors pourquoi Angela Merkel ne saute-elle pas sur son siège en s’écriant « une relance, une relance » ?


Supposons que la crise dure deux ans, ce qui est plus ou moins le pronostic aujourd’hui. Si pendant deux ans, vous cherchez à distribuer du pouvoir d’achat directement aux ménages, comme ils sont endettés, ils vont utiliser l’argent pour payer leurs dettes. L’effet multiplicateur (ou ricoquet) dans l’économie est faible.


L’appareil productif de l’Allemagne est tourné à 85% vers l’étranger. Deux ans c’est trop court pour développer un marché national. Ce n’est pas tant que les Allemands ne consomment pas, peut-être (?), c’est surtout qu’ils ne sont pas assez, ou dit autrement qu’ils sont capables de fabriquer pour quatre à cinq fois le volume de ce que peut absorber leur marché national. Et comme ils sont très bons en termes de rapport qualité-prix (grâce à la qualité) et bien ils arrivent à l’exporter. Sauf quand le reste du monde est en crise, comme maintenant, où les exportations deviennent de la surproduction.


Deux ans, donc. Il faudra se serrer les dents et faire peut-être du traitement social du chômage. Quand la croissance repartira, le tissu industriel sera prêt à refabriquer les machines outils du reste du monde.


En attendant, Angela Merkel fait de la relancette avec 12 milliards d’euros de dépenses sur deux ans. Les Français et les Britanniques crient au passager clandestin (free rider). En théorie économique, on appelle le passager clandestin, celui qui veut bénéficier de quelque chose, ici la relance, sans en payer le prix. Quand on sait que l’Allemagne est le principal partenaire économique de la France et vice-versa mais que nous leur achetons des machines outils et autres biens à haute valeur ajoutée et que nous leurs vendons du vin, du fromage et des avions, on voit bien que la relation de mutuelle dépendance est réelle mais déséquilibrée.


C’est comme si la Floride criait au secours et la Californie faisait la sourde oreille. Sans un arbitre-le gouvernement fédéral- qui vous force, le jeu reste non-coopératif : à l heure des problèmes, chacun refuse de payer pour l’autre, même si in fine, cela serait bénéfique pour tout le monde. On aboutit à un équilibre sous-optimal, aussi appelé équilibre de Nash. A moins que la situation n’empire, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France ne pourront pas s’entendre sur la question de la relance.


La mesure sur laquelle les Britanniques et les Français auraient bien aimé obtenir l’accord de principe des Allemands était une baisse coordonnée de la Taxe à la Valeur Ajoutée, qu’ils auraient ramené de 17,5% à 15%.


Angela Merkel doute que cela relancerait la demande globale chez elle. La femme de mon oncle vient de changer la tuyauterie de ses banques et elle en a eu pour 100 milliards d’euros cash et 400 milliards en garanties. Pourtant les canalisations menacent de se briser à nouveau, quand ? Dieu seul le voit. L’urgence, c’est de préserver les trésors industriels, comme le secteur automobile, pas de jeter des euros allemands par les fenêtres du Rhin (tant pis pour les trois länder de notre côté du fleuve). Sans compter que voilà vingt ans que mon oncle dépense pour intégrer ses cousins orientaux avec des résultats mitigés, alors excusez-les encore s’ils préfèrent la Corrèze au Zambèze ; en allemand cela ce dit la forêt Noire à la forêt des Cévennes.



Il y a aussi certainement du calcul politique dans la position de Merkel. Son rival siège au gouvernement avec elle. A quelques mois des élections, elle veut garder des marges de manœuvre pour provoquer Noël au bon moment et lui donner le baiser de Santa.



Gabrielle Durana

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