vendredi 21 novembre 2008

Chronique # 43: un autre astéroïde ?

22 novembre 2008

Je crois que l’astéroïde est tombé sans que je l’aie remarqué. Les pataphysiciens de la finance l’ont trouvé mercredi pendant que j’étais allée faire du tourisme universitaire à Berkeley. Ils l’ont repéré dans leur télescope, il arrive, il s’appelle les CMBS. Moi, du haut du Campanile, qui avant de devenir une chaine d’hôtellerie bon marché était et demeure une tour adjacente à une église servant de clocher, ici une réplique de celui de la cathédrale de Venise (http://berkeley.edu/visitors/campanile.html), j’admirai l’horrible fac d’archi, le nouveau bâtiment de physique et le laboratoire d’études spatiales juché sur les collines, les cinq piscines à ciel ouvert, le stade, très important le stade, nous sommes aux Etats-Unis.

Certes, ce n’est pas comme si vous allumiez CNN et que l’annonce du tsunami s’affichait avec des flashs tous les quarts d’heure. Mais telle Léon Zitrone annonçant les pronostics d’une course le lendemain des résultats, je suis énervée : c’est la deuxième fois que cela me prend plusieurs jours avant de réaliser que quelque chose de grave mais de complexe est arrivé.

Lors de la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre, le mécanisme de transmission au reste du système financier fut le suivant : un gros fonds de placement (money market fund) avait investi dans des effets de commerce à court terme (commercial paper) émis par Lehman Brothers. Les MMF sont des comptes offerts aux clients comme vous et moi. Ils sont totalement liquides et rapportent un tout petit peu. A cause des investissements malheureux, soudain la rentabilité du fond devint négative. En anglais, on dit « they broke the buck ». A buck c’est le mot d’argot pour un dollar. L’expression veut dire que quand vous aviez mis un dollar sur le fonds, maintenant vous aviez moins d’un dollar. Les gens se précipitèrent pour retirer leur argent. Les autres fonds voulant se protéger de pertes comparables arrêtèrent d’acheter des billets de trésorerie. Les banques d’investissement, les grandes entreprises qui se finançaient au jour le jour, ou de semaine en semaine, en émettant des effets de commerce n’eurent plus à qui les vendre. Que firent-elles ? Elles avaient des découverts autorisés (credit line) qu’elles s’empressèrent d’utiliser pour être sures d’avoir de la trésorerie. Les banques qui avaient accordé ces facilités de caisse par temps fastes ne pouvaient pas se refinancer non plus auprès des collègues, car tout le monde s’accrochait à son cash. Le marché interbancaire s’arrêta de fonctionner. En l’espace d’une semaine, Le credit crunch avait congelé le système financier, sans fracas.

En août 2007, la crise éclate lorsque les CDO, les Collateralized Debt Obligations, ces titres fabriqués avec des mélanges de morceaux de prêts immobiliers subprimes cessent de rapporter parce que les emprunteurs ne peuvent plus rembourser. Ce fut comme une pluie de météorites qui commença à bruiner sur Wall Street.

Depuis mardi, l’immobilier commercial donne des soucis. Ce n’est pas tellement étonnant. En 1993, mon petit ami de l’époque avait une chambre de bonne rue des Pyramides à Paris. Pendant les années de la « croissance retrouvée » le quartier de l’Opéra s’était vidé de ses habitants, les grands appartements avaient été transformés en bureaux chics. A présent toutes les façades arboraient des panneaux « à vendre, à louer » à plusieurs étages. En allant payer la taxe d’habitation rue Saint Hyacinthe, le précepteur nous avait identifié par nos noms et prénoms. Etonné de notre étonnement, il nous avait expliqué que son secteur ne comptait plus que 400 contribuables. Quand l’économie entre en crise, les bureaux se vident, les centres commerciaux ne font plus recette, les gens partent moins en vacances. Les entreprises ne peuvent plus rembourser les emprunts qu’elles avaient contractés pour aménager les centres commerciaux, les buildings ou leur parc hôtelier. Ces emprunts aussi avaient été mélangés comme des feuilles de salade, puis déchirés et servis dans des petits bols. Ils portent le nom de Commercial-Mortgage-Backed-Securities (CMBS) ou titres adossés à des créances hypothécaires commerciales.

Il faut bien comprendre que le principe de la titrisation n’est pas toxique en soi. Les CDO sont devenus toxiques parce qu’ils étaient adossés à des emprunts contractés par des débiteurs qui n’avaient pas les moyens de rembourser (subprimes). Mais en soi, la titrisation est un mécanisme qui permet aux banques de continuer à prêter et aux investisseurs institutionnels (fonds de pension, grandes compagnies d’assurances) de s’assurer des revenus au lieu d’avoir de l’argent qui prend la poussière. Le problème dans l’immobilier commercial n’est pas que les débiteurs n’étaient pas dignes de foi, mais que la crise économique est en train de les rendre insolvables.

Pour l’ instant le taux de défaillance est très faible : 0,64% mais il a doublé en octobre par rapport à fin 2007, où il s’établissait à 0,39%. Ce qui inquiète c’est que des emprunts de qualité supérieure développent des moisissures. Devinez qui avait fabriqué les jolis tiramisus ? Tenez, je vous emmène au Bistro.

JP Morgan avait pré-packagé les deux emprunts qui posent problème en CMBS. Le premier tiramisu d’un montant de 209 millions de $ portait sur deux hôtels de luxe, un Westin dans la ville de Tucson dans l’Arizona et un village de vacances Hilton en Caroline du Sud. Le deuxième s’élevait à 124 millions de $ et concernait un centre commercial en Californie du Sud dans la région de San Bernardino. Malheureusement, la conjoncture s’est retournée. Les taux d’occupation sont plus faibles qu’escompté. Les emprunteurs ne trouvent pas à se refinancer pour cause de crédit crunch. Après les météorites des subprimes, l’astéroïde de Lehman Brothers, le credit crunch, le develaraging, les pleurs des constructeurs automobiles pour 25 milliards, tombe la grêle des CMBS. Il y en a pour 0,8 trillion.



Pendant dix jours, la chronique s’interrompt car je pars à New York, fêter Thanksgiving. Je suis sure que le tsunami sera encore là à mon retour. Reprise le 3 décembre.

Gabrielle Durana

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