dimanche 9 novembre 2008

Chronique # 36: votre euro m’intéresse – première partie-

8 novembre 2008

Au rythme où les taux baissent, on va bientôt nous payer pour emprunter de l’argent gratuit. Depuis le 29 octobre, le taux directeur de la Fed est fixé à 1%, son plus bas niveau en un demi-siècle. Si on tient compte d’une inflation américaine de 4,97% fin septembre, nous obtenons des taux d’intérêts réels négatifs. Vous voyez, vous ne rêviez pas.

Le 6 novembre, la Banque d’ Angleterre a aussi réduit son taux directeur de 1,5% la plus grosse baisse d’un coup en 16 ans. Il s’établit désormais à 3%, du jamais depuis 1955. Le même jour, la Banque Centrale Européenne emboitait le pas avec une baisse d’un demi-point et entrainait dans son giron les banques centrales suisse, danoise et tchèque. Son taux de base est désormais fixé à 3,25%. Même la Banque du Japon a fait preuve de bonne volonté avec sa première baisse en sept ans, son taux étant à 0,3%.

L’argent à taux zéro, c’est comme les yaourts à 0%, ça vous donne l’impression que vous faites quelque chose pour votre santé. Mais ce qu’ils font à l’intérieur du système financier se voit-il dans l’économie ?

Les banques HSBC, HBOS et la Barclays traînent des pieds pour répercuter la baisse sur leurs emprunts. Pourtant une réduction de cette ampleur n’est pas que psychologique. Un Britannique qui aurait un prêt à taux variable de 150.000 livres sur sa maison devrait voir ses remboursements se réduire d’entre 133 et 190 livres mensuelles.

La raison pour laquelle les banques ne se lèvent pas toutes pour cet argent gratuit c’est que le credit crunch continue. Elles préfèrent garder leur cash, ont peur de se prêter entre elles. Certes le gros du tsunami semble être passé mais les choses ne sont pas revenues à la normale. On peut mesurer la confiance des agents économiques dans la viabilité du système financier en comparant le taux auquel les banques se prêtent à trois mois –le libor- et le taux que rapportent les bons du Trésor à trois mois; l’ un des investissements les plus sûrs qui existent car l’ Etat ne fait pas faillite. La différence entre les deux – le Ted spread, pour les intimes- avoisine les 0,2% en temps normal. Par exemple, si les bons du Trésor rapportent 1,5% à trois mois, les banques gagnent 1,7% en se prêtant sur la même période. En ce moment, le Ted spread s’étale à 1,29%, c’est à dire six fois plus qu’avant la crise. Au creux de la vague, le 10 octobre, il avait été multiplié par 20 atteignant 4,65%. Donc ça va nettement mieux mais on ramasse les débris.
Un danger lorsque les taux baissent trop est qu’il n’y ait plus d’incitation à prêter votre argent au gouvernement. Les bons du Trésor rapportent si peu ; à ce prix-là, autant garder son cash. On dit que s’ouvre la trappe à liquidités. La politique des taux est alors devenue inefficace. Si on ne peut plus jouer sur les prix- le taux-, on peut toujours agir sur les quantités –le volume- et continuer à injecter des liquidités, mais c’est comme ouvrir le robinet sans pouvoir ajuster la force du filet d’eau… Attention aux inondations, qui s’appellent l’inflation.

Les autorités des différents pays pensent que la trappe ne va pas s’ouvrir parce que les taux d’intérêt réels négatifs vont inciter les gens à ne pas conserver une monnaie qui se déprécie. Ils vont préférer dépenser. C’est sans compter avec les chiffres du chômage et de l’investissement. Leur détérioration accélérée cause des inquiétudes. Les agents sont rationnels. Ils vont freiner leur consommation le plus possible et conserver leur épargne pour survivre à l’après-tsunami. Dit autrement, ce qui rassure les autorités quant à l’absence de risque d’inflation c’est que nous sommes au bord de la déflation.

Bon, je vais arrêter avec mes histoires de nécrose de l’économie. Après on dit que les Français sont moroses. Parlons de choses plus gaies. D’ abord un peu de pub pour Nicolas Sarkozy, notre président qui trouvait que le locataire en partance du 1600 Pennsylvania avenue était un type formidable. Pour une fois, il ne parle pas d’envoyer les sans-papiers dans un charter pour le Mali ou la racaille casser des pierres en Guyane. Il avance deux mesures pour parer un autre tsunami qui méritent d’être étudiées.

D’ abord, il propose la mise en place d’un gouvernement économique aux côtés de la Banque Centrale Européenne.

Comme je l’avais expliqué quand le tsunami avait traversé l’Atlantique, la grande différence entre les Etats-Unis et l’Union Européenne est l’absence de gouvernement fédéral européen pour signer, au nom de l’intérêt général, un chèque de 700 milliards d’euros. Le budget du Parlement européen est minuscule, il compte pour du beurre. Limité par traité à 1,24% du PIB européen, il s’élevait en 2007 à 116 milliards d’euros. C’est évidemment ce qui explique que la voix de José-Manuel Barroso, le président de la Commission Européenne –ce qui ressemble le plus à un embryon de gouvernement fédéral- soit restée inaudible ; l’ argent est le nerf de la guerre et il préside une institution désargentée.

Ensuite, il existe un « eurogroupe » qui rassemble, une fois par mois, tous les ministres des Finances des 15 pays membres de l’Euro et qui est présidé depuis 2005 et jusque fin 2008 par M. Juncker, le Premier ministre du Luxembourg. On voit bien comment on a cherché à travers l’institutionnalisation de la fonction de Président de l’Eurogroupe a corriger l’élément « tournez manège » (auquel est aussi confronté Sarkozy en tant que président de l’UE) : tous les six mois on change. Mais cela n’a pas conféré plus de légitimité pour engager les finances des Etats. Ceci est dû au fait que voter l’ impôt, ici un plan de sauvetage relève bien du pouvoir législatif-national ou fédéral- et que les exécutifs-nationaux ou fédéral- doivent faire ratifier la décision par des représentants de tous les coins du territoire pour sceller l’ accord de la nation. Y-a-il une nation européenne ? Et, oui, on retombe toujours sur le même problème. Mais comme nous expliquait Michel Serres jeudi dernier chez le Consul Général de San Francisco, c’est cette même absence de nation européenne qui nous a apporté 60 ans de paix et qui fera que l’Union Européenne ne réclamera jamais le sang de ses enfants contre, disons un nouvel Hitler ou… Poutine.

Donc, l’idée d’un gouvernement économique sans budget est impuissante. Comme quand sous l’Ancien Régime, le roi devait réunir les Etats Généraux chaque fois qu’il voulait financer quelque grande entreprise. En revanche, s’il s’agit de l’accompagner d’un budget, l’idée est révolutionnaire : passer d’un budget européen plafonné à 1,24% du PIB à un budget qui pèserait 30% du PIB (comme le budget fédéral américain rapporté à son PIB) n’est pas un changement de degré, c’est un changement de nature, une transmutation, qui, vue depuis la RFA de Mme Merkel et même depuis les capitales de tous les pays qui ont dit non à la Constitution européenne, prend l’or souverainiste pour le transformer en plomb fédéral.

Du gouvernement économique, permettez-moi de sauter au gouvernement tout court. Un peu de politique fiction : si au lieu de déferler le 15 septembre 2008, le tsunami avait frappé le 15 janvier 2009… La présidence de l’UE aurait échu à la République Tchèque, qui ensuite la passe à la Suède. Nonobstant mon amitié pour mon ancienne stagiaire tchèque, leur premier ministre est probablement l’un des plus anti-européens depuis Mme Thatcher. De plus le pays de Mirek Topolanek ne fait pas partie de l’Eurozone. Six mois plus tard, les Suédois sont des experts en matière de crise financière mais eux non plus n’ont pas l’euro en partage.

Le Traité de Lisbonne a été adopté le 13 décembre 2007 pour surmonter l’impuissance institutionnelle causée par le non à la Constitution européenne. Il prévoit un Présidence permanente et non plus tournante du Conseil Européen – le gouvernement des gouvernements européens- à l’instar de l’institutionnalisation du président de l’Eurogroupe. Mais d’ abord le Traité n’est pas encore entré en vigueur. Ensuite cela ne change pas le cœur du problème : aux Etats-Unis, le Président est élu par un savant mélange de 270 grands électeurs. Il ne suffit pas que les deux Côtes tombent d’ accord pour élire Obama plutôt que McCain. Et une fois au pouvoir, le Président n’est pas non plus sous le diktat de Sacramento ou de Tallahassee ou les supplications des petits Etats sous perfusion perpétuelle. Que se serait-il donc passé si le pays à la tête du Conseil Européen, devenu permanent décidait de jouer perso ou de profiter de la crise pour casser l’Europe ? Aille, aille, aille.

Examinons maintenant la prochaine bonne idée de Sarkozy, lancée du haut de la Savoie le 23 octobre. Le prochain tsunami sera paré grâce à un fonds souverain français ou des fonds souverains européens coordonnés. Pour citer sa conférence de presse, il veut créer un « fonds public d’intervention qui interviendra massivement chaque fois qu’une entreprise stratégique aura besoin de fonds propres ».

Si j’ai toujours pensé que la politique industrielle de créneaux n’aurait jamais dû être abandonnée et qu’elle passe par des prises de participation et des commandes d’Etat, la mesure annoncée repose sur un flou artistique de la définition de fonds souverain.

Il existe trois types de fonds : les fonds souverains, les fonds de stabilisation, les fonds de réserves qui correspondent grosso modo à des fonds mobilisables à long terme, à moyen terme, à court terme.
Les fonds souverains sont la plupart du temps crées par des pays qui ont des ressources non-renouvelables. Par exemple, les pays du Golfe ou la Norvège (Singapour est un contre-exemple). Comme ils « volent » les générations futures du bénéfice de ces ressources en les exploitant aujourd’hui, ils compensent en investissant une partie des excédents dans des activités qui rapporteront de l’argent demain. C’est ce que l’on appelle l’équité intergénérationnelle et le propre de ces investissements est d’avoir une échéance de très long terme.
Les fonds de stabilisation visent à aplanir les fluctuations en termes de revenu ou de consommation. Ils sont souvent utilisés pour stabiliser les prix des matières premières ou de produits agricoles. L’exemple type est la Politique Agricole Commune. On met de côté de l’argent quand les prix montent et on le ressort quand les prix baissent ; les agriculteurs touchent un prix qui varie autour d’un cours pivot et tout le monde est content. Les fonds de stabilisation doivent pouvoir être mobilisables à six mois.
Les fonds de réserve doivent fournir des liquidités au jour le jour pour des transactions commerciales internationales. Ils permettent de défendre la monnaie contre des attaques spéculatives, la bourse qui s’effondre etc. Ici, le mot clef est liquidité immédiate, pléonasme.
Donc quand M. Sarkozy nous parle d’un fonds souverain à la française, pour faire face aux urgences, de quoi parle-t-il ? En France, on a des bonnes idées, mais on n’a pas de pétrole et encore moins des excédents de la balance des paiements. En plus quand la croissance revient, au lieu de mettre de côté pour les sept prochaines années de vaches maigres, on dilapide, basé sur le fait qu’on vient de se serrer la ceinture durant la disette. Donc, un fonds souverain, on rêve ! Comme on dit en anglais, « talking is cheap, whisky costs money » (=parler ne coûte pas cher mais pour acheter du whisky, il faut de l’argent).
Demain, je vous parle de ceux qui font PING PING à la porte de l’ Eurozone. (Dans la Silicon Valley, quand quelqu’un vous demande de clavarder, on dit qu’il vous PING).

Gabrielle Durana
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