dimanche 30 novembre 2008

Cartes postales tsunamiennes agrafées : Harlem sous la pluie.


Dimanche 30 novembre 2008

J'ai passé la journée à Harlem. Ma tante voulait assister à une messe avec des gospels et visiter la Spanish Society. Entre un père franc-maçon et une mère italienne, je suis porteuse de gènes anticléricaux anti-récessifs et prédominants. Une de mes copines italo-canadienne (en Amérique du Nord, les "identités à trait d'union" -hyphenated identities- ne veulent pas dire qu'un parent est canadien et l'autre est italien mais que les deux sont italiens et qu'ils vouent un culte linguistique à leurs racines), donc ma copine banquière dans une banque privée et qui ne sort qu'avec des beaux gars à la peau ébène nous avait donné le numéro de téléphone d'une association de Harlem pour obtenir des renseignements. J'appelle hier matin et une voix me répond : "Ici le QG de campagne de Barack Obama". Mince, je me lance dans des explications confuses sur Madrid et les gospels. Il me dit que je devrais plutôt voir avec la Maison Blanche.

L'humour est la chose la plus difficile à comprendre dans une langue étrangère. J'ai un peu perdu le mien en sortant à 125ème rue, sous une salve d’insultes qui ne nous étaient pas destinés, pour trouver une pluie battante. Antonella m'avait prévenue que toutes les églises baptistes et adventistes étaient alignées comme des marchands de bicyclettes. En guise de magasins, le Starbucks brille du vert de l'espoir d'une boisson chaude à l' abri du vent.

Ma tante veut choisir son église. J'ai toutes mes cartes de crédit et 100 dollars de liquide. Elle mesure un mètre cinquante et la dernière fois qu'elle a fait de la gym c'était avant d'ouvrir son restaurant, il y a deux ans. Je traine des pieds mais j'avance de plus en plus loin du Starbucks. Trois églises plus tard, la messe commence toujours à 11 heures et j'ai déjà des anticorps mais encore les pieds secs. Elle continue son étude comparative. Les enfants sont à la Sunday school. Je n'en peux plus. Je lui donne mon téléphone portable et je lui montre d'une main en tenant le parapluie de l'autre, comment composer le 15 (ici le 911). Rendez-vous dans 90 minutes. De toute façon, si la Vierge existe, qu'elle fasse son boulot.

Je pousse la porte du Starbucks. C'est un refuge à Blancs. Pendant que je commande un thé, je remarque que les mugs et autres objets dérivés sont derrière une vitrine sous clef. Je demande à la serveuse noire laquelle des églises est la mieux en termes de gospels. Elle me répond qu'elle travaille trop et n'a pas le temps d’aller à la messe. Je vais m'asseoir en méditant sur l'éthique du capitalisme. Devant moi, il y a un musulman à la barbe bien taillée en train de lire un journal qui d’après la police de caractères n’est pas le New York Times. A une autre table, une tripotée de touristes blancs, dont une dame avec de hauts talons noirs vernis, un manteau crème et un sac Louis Vuitton- un vrai ? Je ne sais pas faire la différence. Vont-ils tous aux golspels comme ma tante? Je demande la permission de m'asseoir à une jeune fille, une valise en tissu immense, émaciée, en jeans avec un haut de jogging barré des lettres Cal et brodé en-dessous "Berkeley, California". Est-elle étudiante de l'autre côté du pont -le monde vu par une San Franciscaine ? Elle me répond que non, qu'elle attend le bus qui coûte deux dollars pour aller à La Guardia. Comme rien que les péages, il y en a pour 6 dollar dans chaque sens, et que le bus roule sur voie propre, c'est imbattable. Je sors mon Wall Street Journal.

Dix minutes plus tard, un homme blanc en imperméable bleu, marqué "Jesus for Jesus" me demande s'il peut s'asseoir. Je souris et me replonge dans mon article sur "qu'est qu'un chef d'œuvre?", une exposition du Louvre hors du Louvre, à voir à Atlanta. Jesus for Jesus c'est un peu comme « aide-toi, le ciel t'aidera » ? Je lis sur le tableau de Vermeer qui s'appelle "l'’Astronome" (http://www.essentialvermeer.com/catalogue/astronomer.html) et comme toujours je cherche la lumière qui vient de la gauche. Je lève le regard et Jesus-for-Jesus ne me demande pas l'heure qu'il est mais ce que je lis. Lui aussi, lit. Il me montre son livre à la couverture élimée: The power of positive thinking (=Le pouvoir de la pensée positive). Je souris. Il me dit que c'est très utile surtout par les temps qui courent et il se lance dans un prêche parsemé d'éléments personnels : il croit à la pureté et donc à l'abstinence avant le mariage, il a 41 ans et il habite dans le Bronx. Il me refait l'histoire du Christianisme depuis l'empereur Constantin. Comme je lui dis que l'église catholique n'est pas ma tasse de thé, c'était celle de mon ex-mari, un vrai con de Républicain; texto sauf "Républicain", il me dit qu'il est 100% d' accord avec moi et qu'il n'est pas religieux, mais spirituel. Je le regarde mieux. J'avais mal lu, c'est "JEWS for Jesus". Il me demande d' où vient mon cute little accent (=mon mignon petit accent) et enchaine sur : est-il vrai que les femmes font toutes du topless en France? Moi, au lieu de m'en débarrasser en lui disant qu'à Paris, les hétéros marchent nus en solidarité le jour de la Gay Pride, je démystifie.

Bon, on n’est pas rendus. Et ma tante qui n'arrive pas. L’homélie se poursuit. J'aurais mieux fait d'aller à la messe. Au moins j'aurais eu les chœurs puisque de toute manière je ne peux pas lire mon Journal. Vous faites quoi dans la vie, pour changer de sujet. Au hasard Balthazar, il est collecteur d'impayés. Les gens pensent que c’est du dix dollars de l'heure mais c'est faux. C'est une profession très lucrative quand on est bon. Et il me récite son code de déontologie pour me convaincre qu'il ne manque ni d'éthique, ni de bonnes manières (« je n’appelle pas les gens à trois heures du matin, c’est interdit ! ») ni de compassion (« I feel for people » -j’ ai mal pour les gens) car il est un chrétien com-passionné (sic) par l'argent de son prochain. Je lui demande si cela ne lui pose pas des problèmes moraux d'appeler les gens qui sont dans des situations désespérées pour leur réclamer de payer leurs frais d'hôpital ; surtout que moi qui ais une assurance, on me facturerait un scanner 300 dollars et que le pauvre gars qui n'avait pas les moyens de se payer l'assurance se verra facturer 3000 dollars le même scanner dans le même hôpital. What's wrong with this picture? (=cherchez l’erreur). Il est 100% d' accord avec moi. Dans ces cas-là, il conseille la faillite. Mais, dis-je c'est injuste, leur vie financière est détruite pendant 7 ans. Lui, fait surtout de la collecte pour des cartes de crédit; les gens qui vivent au-dessus de leurs moyens, car vous comprenez Madame que si ces gens vivent gratis, on va vous augmenter le taux sur la vôtre. Alors là, ça m'étonnerait que JP Morgan Chase me retire mon offre de prêt à 0% jusqu’en septembre 2009, car sinon je répondrai à celle qui m’est arrivée la semaine dernière de chez Bank of America et qui m’offre aussi du zéro % jusqu’en janvier 2010. Je crois plutôt que c'est le même gars qui avait une carte à 17% qui va se retrouver à payer son essence et ses courses avec une carte à 27%. Il se lève. Il est d'accord à 0% avec moi : si les gens qui ne payent pas leurs dettes peuvent dormir la nuit et bien c'est tant mieux pour eux, mais ce n'est pas moral, ils volent. Il est onze heures vingt. Il me dit au revoir.

Les touristes blancs qui attendent leur bus agrégés autour de la table d'à côté me sourient. "We were fascinated by his raincoat" (=nous étions captivés par son imperméable). L'un deux me demande avec un accent irlandais s'il peut prendre la chaise. A condition qu'il ne me parle pas de Jésus, je serai charitable. Il soulève son col et me montre son marcel de prête défroqué.

L'humour est la chose la plus difficile à comprendre dans une langue étrangère. Son voisin me demande si je voudrais une carte de crédit à 50%, par les temps qui courent. 50% de réduction? Il éclate de rire.

Ma tante arrive cinq minutes après qu'un homeless soit entré faire la manche. Je ne donne pas de pièces mais j'ai du chocolat. Je range mon Journal.

Nous voilà dehors, lançant des implorations au ciel et des SOS aux Yellow Cabs. Harlem est bien relié à Manhattan, et au Bronx par des lignes de métro verticales mais il n'y a pas une seule ligne transversale. Le vent froid me gifle. Je lorgne un taxi, comme un évadé une banque. Ils sont rares et pleins.

Béni soit le chauffeur qui nous a recueillies à l’angle du boulevard Malcom X. Je donne l'adresse. Ma tante est enchantée de sa matinée. Mille personnes, toutes sur leur 31, la traduction en langue des signes, les chansons, l'homélie, le voyage organisé à Washington le week-end du 20 janvier. Je lui parle de mon Jesus-for-Jesus pendant que nous passons d'Ouest en Est et que nous remontons 30 pâtés de maison. Elle exulte. Mises à part l'absence de commerce et les modèles de voitures, il est difficile de se rendre compte qu'on est dans un quartier défavorisé. Les immeubles en brique blanche ressemblent à d'autres en brique rouge qui bordent Central Park ou Brooklyn.

Nous débouchons sur Broadway, à l’opposée de Times Square, avec son Nasdaq et ses soleils publicitaires, même la nuit ; nous sommes 100 blocs plus haut. La pluie se déverse à grand seaux, le pare-brise gesticule comme un chien qui reconnaît Ulysse. Le chauffeur nous dépose, à l'angle de trois fast-foods, devant un palais ceint de grilles et de portes sculptées.

Personne. Ma tante propose de voir s'il y a une autre entrée. Nous descendons vers le fleuve. Désormais le Hudson coule dans mes chaussures aussi. Il n'y a pas de trace d'une plaque avec les horaires. Nous continuons le tour du palace. Vraiment, les maisons sont assez belles. Je découvre avec soulagement une église. La dame à l'accueil me dit d'aller sonner chez le gardien.

La Spanish Society ouvre à 13h00 le dimanche. J'étais prête à me rabattre sur le Subway –je ne parle de repartir sans ma tante, Subway c’est la moins mauvaise des marques de restauration rapide-, mais finalement la boulangerie "Dulce despertar" ("Au doux réveil") m’a sauvée des eaux. Ma tante a échangé des recettes avec la dame d'Ecuador. Grâce à la chaine TeleGOL et à la soupe de platanes verts, j’ai pu éviter de finir de très mauvaise humeur.

Derrière la porte, une sélection du Néolithique à Goya en passant par la statuaire de l' Age d' Or, les carrelages mauresques et la plus importante collection de peintures hors d' Espagne de l’impressionniste Joaquín Sorolla, qui, quand il ne faisait pas le portrait de ses mécènes peignait la paysannerie qui peine, la veuve du pêcheur noyé et les prostituées.

Et Harlem sous la neige, c’est comment ?
Gabrielle Durana
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