lundi 10 novembre 2008

Chronique # 37 : votre euro m’intéresse -2ème partie-

Erratum : Un lecteur diplomate me fait remarquer que dans le Traité de Lisbonne, le Président du Conseil devenu permanent serait élu par les pays membres en fonction de sa personne –intuitu personae- et qu’il ne représenterait pas son pays d’origine. Par conséquent le danger qu’il/elle « joue perso » ou que par accident un anti-européen se retrouve à exercer ces fonctions disparait. Dont acte. Il ajoute qu’en cas de crise, il n’est pas le Président de l’ UE ni Président de l’ Europe, juste le Président du Conseil Européen.

Précision : « clavarder », le mot existe. Les Québécois à qui nous devons aussi le joli « courriel » l’emploient de préférence à « tchater ».

10 novembre 2008


Dans un roman publié en 1974 et intitulé « Derrière la vitre », Robert Merle qui toute sa vie travaillera comme professeur d’Anglais à la fac de Nanterre raconte les débuts du mouvement du 16 mars. Il décrit la fac, sortie de terre au pied des bidonvilles, la première génération d’étudiants et les mandarins, ces profs nantis qui utilisent les chargés de TD comme soutiers. Entre les deux mondes, une vitre et un tsunami nommé mai 68. Depuis l’ouverture d’un second épicentre en Europe, les pays hors de l’Eurozone lorgnent avec envie vers leurs cousins qui ont pu brandir l’euro comme un écu et se protéger des trombes d’eau.

Dire que l’Islande a voulu jouer au hedge fund comme je l’écris depuis des semaines est une image parlante mais insuffisante pour expliquer ce qui s’est véritablement passé. Après tout, les Etats-Unis sont des emprunteurs nets de capitaux et ils sont LE hedge fund puissance 8000, pourquoi est-ce qu’ils n’ont pas été transformés en ballon de grenouille à travers la galaxie ?
L’Islande réunissait quatre caractéristiques qui l’ont rendue vulnérable au même sort que l’Atlantide. 1) C’est un petit pays. 2) Avec un secteur bancaire très important et internationalisé –ce que j’ai hâtivement appelé « jouer au hedge fund »- 3) Sa propre monnaie. 4) et des capacités d’endettement public limitées au regard de la taille de son secteur financier.
Evidemment, avec le recul, il est facile de dire qu’elle n’aurait jamais dû creuser un secteur bancaire surdimensionné, 900% du PIB !, par rapport à des assises monétaires et budgétaires réduites. Dans une comparaison tirée par les cheveux, on pourrait dire qu’en vue de rembourser le FMI et les pays européens (Angleterre, Pologne, les pays scandinaves et la Hollande) qui sont sur le point de lui prêter 5 milliards d’euros, l’Islande va devoir, comme l’Argentine réorienter ses ressources vers la gestion de la dette. Cela a déjà provoqué une forte dévaluation de la couronne islandaise
L’euroisation (surtout) et la dollarisation (un peu) de l’économie avaient déjà commencé avant la crise mais elles se sont intensifiées depuis le décrochage de la devise nationale. Cela veut dire que les agents économiques utilisent une devise étrangère pour effectuer leurs transactions et souvent ils sont même payés en monnaie non-nationale.
La Banque centrale islandaise cherchant à retenir l’argent dans les banques nationales a relevé son taux directeur à 18%. Pour mémoire rappelons qu’en septembre 1992, en pleine attaque spéculative contre la couronne suédoise, la Banque de Suède n’avait pas hésité à augmenter ses taux de 16% à 75%, puis quelques jours plus tard à 500%. Les spéculateurs avaient arrêté de vendre et recommencé à acheter des couronnes. Tout était rentré dans l’ordre.
Le plus intéressant dans le cas islandais est qu’il n’est pas isolé. Il est seulement un cas extrême. Si vous avez un petit frère, vous lui avez peut-être fait la lecture de ce roman policier pour enfant où il faut promener une loupe rouge sur les images et aider l’inspecteur à trouver les indices. Si je prends ma loupe à quatre filtres 1) petit pays. 2) secteur bancaire surdimensionné et très international 3) monnaie nationale. 4) capacités d’endettement public limitées et que je la promène sur l’Europe, surgissent de la carte la Suisse, le Danemark, la Suède et jusqu’ à un certain point l’Angleterre, même si sa taille est plus grosse et que sa monnaie jouit de beaux restes de monnaie internationale (4,70% des réserves de changes mondiales). L’Irlande et les trois pays du Benelux ont l’avantage d’être dans l’euro et donc leurs dettes sont libellées dans une monnaie qui est aussi une importante monnaie de réserve internationale. En cas d’illiquidité, non seulement leur monnaie ne risque pas d’être dévaluée, ce qui ferait exploser leurs créances mais en outre la BCE est un super-pompier prête à ouvrir à flots les robinets des liquidités. En revanche, en cas d’insolvabilité, comme on l’a vu dans le cas du sauvetage de Fortis, les capacités d’endettement public sont limitées, donc il faut faire comme les trois mousquetaires, tous pour un et un pour tous.
Soyons cyniques. Si vous êtes la BCE vous avez déjà fort à faire avec les PIGS (Portugal, Italy, Greece, Spain). Remarquez au passage le joli acronyme qui vous dit tout le bien qu’on pense dans les couloirs de Francfort de l’Europe méridionale ; ces cochons (=pigs) qui trainent des déficits publics et de la balance des paiements ; au lieu de respecter le Pacte de Stabilité à la précision et au bon sens germaniques. Pourquoi iriez-vous vous embarrasser de nouveaux membres ? L’Angleterre et la Suisse, d’ accord. Qui ne veut pas adopter un cousin qui a réussi ? Mais la Roumanie dont Standard & Poor’s vient de ramener la note sur le risque-pays à « junk » (=pourriture). La Slovénie a déjà adopté l’euro. La Slovaquie se prépare pour l’année prochaine.
Soyons rancuniers. Vous, la Suède, le Danemark, pour l’Angleterre on va faire comme si on avait perdu la mémoire parce que quand même un cousin Rothschild c’est toujours bon à prendre, vous, la Hongrie, la République Tchèque, l’année dernière la Pologne, on vous avait proposé de rejoindre les corps des mousquetaires. Mais voilà, vous avez préféré la Fronde. Et bien maintenant, allez pleurer auprès du Cardinal Trichet. Peut-être qu’il vous tendra un crédit-swap.
La théorie des zones monétaires optimales qui est à la base de la monnaie unique européenne a valu a Robert Mundell, un professeur de Columbia, le prix Nobel d’ Economie en 1999. (Avec Marcus Fleming, il a aussi fait une contribution majeure à l’analyse de la politique économique et des « fuites dans le circuit » en économie ouverte). Il explique qu’il y a des coûts – notamment la perte du contrôle de la politique monétaire- mais que les avantages liés à l’effet de stabilisation et à la réduction des coûts de transaction l’emportent SI les populations peuvent migrer d’une zone à l’autre, ou si les prix des paniers de biens et des salaires sont suffisamment flexibles pour s’adapter à des disparités régionales. On voit bien la force et les limites de la théorie. Il est plus facile de déménager de Los Angeles à New York que de Cracovie à Madrid, ou de Galway en Calabre. Mais l’Europe n’est-elle pas est « une union de plus en plus étroite entre les peuples » ?
Alors voulons-nous vraiment laisser l’eau monter chez les voisins ? Oui, la vitre de l’euro nous protège et on peut les regarder patauger. Mais comme dans le requin de Damien Hirst, exposé au Metropolitan (http://rawartint.files.wordpress.com/2007/10/damien-hirst-shark.jpg), qui est le monstre ?

Gabrielle Durana
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1 commentaire:

pitalugue a dit…

Chapeau bas pour les "PIGS" également appelés les "pays club med" dans les commentaires de blog.

super blog, super analyse !
bravo !