Dans une nouvelle de Conan Doyle, un cheval de course nommé Etoile d’Argent est volé la veille d’un grand prix et son entraineur est retrouvé mort sur la lande. L’inspecteur Grégory a déjà arrêté un suspect quand il bavarde avec Sherlock Holmes : « Y a-t-il autre chose que vous vouliez me signaler ? » Sherlock Holmes répond : « Le curieux incident du chien pendant la nuit ». Le policier de Scotland Yard ne comprend pas, le chien n’a pas bougé. Sherlock Holmes sourit : « C’est cela qui est curieux ».
Encore une semaine étrange à Wall Street. Lundi, il ne se passait rien, tout le monde attendait l’élection. Mardi, Barack Obama est donné gagnant, reprise boursière (+ 305 points). Arrive mercredi, le marché dévisse de 5%. L’inspecteur Grégory qui a voté Obama dit : « Les riches sont inquiets, ils préféraient McCain. » Jeudi, on publie les chiffres du chômage (240.000 suppressions d’emploi en octobre) et le Dow Jones dégringole encore de 5%. « Les marchés n’aiment pas les mauvaises nouvelles, alors ils baissent ».
Vendredi, la bourse ouvre à la hausse (+200 points) malgré l’annonce de résultats catastrophiques dans le secteur automobile : l’action General Motors cote 4,51$ (-84,6% sur un an), Ford est passé sous la barre des 2$, moitié moins qu’un Big Mac (-74,24%). Toyota Motors tient mieux la route, à 68$ (-33,52%). Le président-nouvellement-élu, qui n’entrera en fonction que le 20 janvier 2009 donne sa première conférence de presse à l’Hôtel Hilton de Chicago. Le Dow Jones affiche +254 points. Derrière un rideau bleu, des drapeaux et une armée de conseillers illustres, de Warren Buffet au fondateur de Google, de l’ ancien Gouverneur de la Fed, Paul Volcker à Robert Rubin, le ministre des Finances de Clinton, le futur président délivre son message qui se résume en deux phrases : « Help is on the way » (=les secours arrivent). « There is only one governement and one president at a time » (=il n’y a qu’un gouvernement et qu’un président à la fois) ; sous entendu je me prépare mais pendant encore 74 jours, le bazar doit être géré par son auteur. Quand il finit de répondre aux questions sur la lettre de félicitations du président iranien et sur le genre de chien que ses filles vont adopter pour la Maison Blanche, le Dow Jones est retombé à +150 points. L’inspecteur Grégory se lève de sa chaise : « Les marchés n’aiment pas l’incertitude, alors ils baissent ». L’indice clôturera à +248 points (+2,85%).
Si à ses moments perdus au lieu de jouer du violon, Sherlock Holmes avait enseigné la statistique, l’une de ses phrases préférées aurait été « Concomitance n’est pas corrélation. » Si j’ouvre la porte et qu’il se met à pleuvoir, cela veut-il dire que l’ouverture des portes provoque les intempéries ? Si la Bourse baisse les deux jours suivant l’élection de Barack Obama, le début de la phrase a-t-il quelque chose à voir avec la fin ?
Depuis l’éclatement de la bulle spéculative immobilière en août 2007, nous assistons au phénomène de deleveraging, le désarmement de toute cette dette, un trimestre à la fois, qui avait été accumulée pour acheter des CDS et CDO. Les banques d’affaires, les banques de dépôt, les caisses d’épargne, les compagnies d’assurance, tout le monde y va de sa pâtée de mauvais actifs, un trimestre à la fois.
Quel est donc ce chien qui n’aboie pas ?
Ils sont 8000 fonds spéculatifs. Souvent domiciliés dans les paradis fiscaux, ils opèrent en toute opacité depuis leurs bureaux des grandes capitales. Ils promettent un retour sur investissement très supérieur au marché. En échange, les investisseurs acceptent de verser de copieux honoraires et de bloquer leur argent pendant des périodes prolongées. Ils ne font pas appel à l’épargne publique, ce sont des sociétés fermées, elles ne sont pas cotés en bourse et investissent des sommes colossales. Au 30 juin 2008, la capitalisation des hedge funds s’élevait à 1,93 trillions de $. L’un des plus gros hedge funds Citadel Investment détenait au 7 novembre 2008 16 milliards de $ d’actifs. Par comparaison, le plus grand fond de pension public américain, CALPERS, la retraite des fonctionnaires de l’Etat de Californie (sauf les profs) pesait 192,8 milliards en octobre 2008, soit 10 fois plus. Oui, mais ils sont 8000.
Les fonds spéculatifs sont régulés de manière très souple parce les forts en gouaille ont bien fait leur lobbying auprès du Congrès et du gendarme de la Bourse. La ligne de défense est qu’ils lèvent des fonds auprès de personnes aisées ou d’institutions qui sont censées savoir ce qu’elles font. Leur nom anglais, hedge funds donne une meilleure explication de comment ils génèrent leurs profits. To hedge veut dire se couvrir contre un risque. L’une de leurs grandes spécialités est le short selling, qui vous vous en souvenez consiste à miser sur une action à la baisse.
Les fonds spéculatifs utilisent l’argent recueilli comme un levier ; ils empruntent 50, parfois 70 fois ce montant. Leurs opérations sont très rapides et donc par nature spéculatives. Ils représentent la quintessence de l’économie de casino. C’est limite s’ils ne méritent pas le titre de parasites en col blanc. Leur courtermisme handicape l’activité économique productive. Comme ils brandissent constamment la menace de tout liquider, les dirigeants d’entreprise préfèrent à la fin du trimestre doper les dividendes plutôt que d’investir (je ne mentionne même pas les hausses de salaires).
De leur côté, les HF défendent leurs profits par leurs innovations. Mais l’argument ne tient pas : quid des innovations destructrices ? Nous pourrions remonter à la crise de 1998 où le hedge fund Long Term Capital Management avait failli faire exploser le système financier. Depuis l’invention des CDS, ils gagnent de l’argent quand le cours d’une action baisse et ils continuent d’en gagner, si l’entreprise fait faillite. Que l’on puisse dissocier les CDS (la queue) de la détention d’une créance (le chien) rend le système pervers. Non seulement je peux m’assurer si mon voisin est cambriolé mais j’ai intérêt à ce qu’il le soit.
On estime qu’environ 30 à 40% du volume boursier chaque jour est lié à l’activité des hedge funds ; en particulier en liaison avec le marché des produits dérivés.
Entre juin et octobre 2008, leurs actifs se sont contractés de 200 milliards. Ne faites pas les blasés. C’est beaucoup d’argent ; la guerre en Irak en coûte 10 par mois. Trois raisons au phénomène : les rédemptions des clients qui trouvent que le risque ne vaut plus la chandelle, le crédit crunch qui tout à coup vous empêche de vous refinancer et les pertes.
Mais interjette l’inspecteur Grégory : « Si les hedge funds ont misé sur la baisse du cours des banques et sur l’effondrement du Dow Jones en général, comment ont-ils pu perdre de l’argent, puisque leur prédiction s’est réalisée ? »
Miser à la baisse n’est que l’une des stratégies utilisées par les HF. De fait, ceux qui s’y sont adonnés ont gagné lors de l’exécrable mois d’octobre un retour sur leur investissement de 5,5% et de 20% depuis le début de l’année 2008. D’autres stratégies ont été moins payantes en particulier celles liées aux pays émergents (-12,53%) et à l’achat d’actifs pourris (-10%). Parler de moyenne n’a pas de sens. Les 10% de HF les plus performants ont connu une hausse de leurs profits de 35% depuis janvier. Les 10% qui vont le plus mal ont perdu 40% de valeur.
Personne ne se désolera de leur revers de fortune. Mais la performance n’est que l’un des facteurs qui explique le deleveraging. Les demandes de rédemption ont atteint un niveau record en 17 ans. Il faut trouver du cash pour désintéresser les clients que la conjoncture a affolés et qui veulent la porte. Les actifs ne sont pas liquide il faut les liquider quand même, sinon nous allons recevoir un petit appel de marge : « bonjour, je suis votre prêteur et vos garanties ont perdu de leur brillance, il va falloir remettre de l’ argent au Mont de Piété ». Alors on liquide tout, tout ce qui tombe sous la main.
Le fonds de Carl Icahn a reçu 1 milliards de $ de demandes de retrait, sur 7 milliards de capital. Pour éviter une vente à prix dépréciés, il va injecter 250 millions de son propre argent. Après que son fonds principal ait perdu 22% en 10 mois, Highbrigdge Capital, l’un des plus gros HF au monde doit rembourser15% de son capital d’ici à la fin 2008. Och-Ziff, 28 milliards au bilan et dont le principal fonds a perdu 12% sur neuf mois, doit lui retourner seulement 6% de son capital avant décembre.
En moyenne, la demande de rédemption avoisine les 20%. S’il n’y avait pas un credit crunch, plutôt que d’avoir à mal vendre leurs actifs pour lever du cash, les HF emprunteraient pour désintéresser les actionnaires apeurés. Mais en ce moment le capital a le blues et soit il est congelé soit il préfère les bons du Trésor qui ne risquent pas grand chose et qui ne rapportent rien. Pauvres hedge funds ! La Fed fournit des liquidités à Goldman Sachs et Merrill Lynch et aux mammouths de Bank of America et Citigroup. Vous gagniez 17.000 dollars de l’ heure, j’ en suis fort aise. Et bien maintenant pleurez.
Donc le chien n’aboie pas, il vend et il pleure. Il sait qu’un tiers des chiens vont mourir dans les années qui viennent. Même les cabots qui n’ont pas trop d’os cassés ont vu le nombre de leurs rédemptions exploser. Plainfield Asset Management, un HF au capital de 5 milliards a perdu 8% cette année. Il vient de recevoir une demande de remboursement d’un tiers de ses actionnaires. Blue Mountain Capital Management n’a perdu que 3% depuis janvier ; un quart de ses investisseurs veulent la porte. Trafalgar Asset Managers doit rembourser 25% de ses 3 milliards de $ de capital en deux mois. Maintenant, rappelez-vous qu’ils sont 8000.
Deux présidents avant Barack Obama ont été élus au milieu d’une grave crise économique : Roosevelt et Reagan.
Entre son élection en novembre 1932 et mars 1933, date de son arrivée à la Maison Blanche, le Dow Jones avait perdu 17%. Roosevelt, afin de reprendre le système financier en mains, commença par fermer la bourse pendant quelques jours. A sa réouverture, la séance connut une hausse de 15%. Cette année-là le Dow Jones remonta de 86% et entre 1933 et 1945 de 194%.
Quant à Reagan, la bourse ne varia pas beaucoup avant son entrée en fonctions. En revanche, de janvier 1981 à décembre, elle perdit 8%. Reagan profita de la mise sous contrôle de l’inflation par Paul Volcker qui se tenait cet après-midi derrière Barack Obama pour engranger de la croissance et au bout de ses huit ans, la bourse avait augmenté de 135%.
Avec son armada, Barack Obama voulait annoncer à Wall Street, à Main Street, à your street l’arrivée imminente des vaccins de confiance. Quant au chien, il reste coi. Il essaye de se faire adopter.
Gabrielle Durana
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