mardi 18 novembre 2008

Chronique # 41: comment dépenser 700 milliards ?

Lundi 17 novembre 2008

Parmi les jeux de société auxquels vous avez peut-être joué si vos parents sont de gauche, il y en avait deux qui visaient détruire le capitalisme en s’amusant. Le premier s’appelait l’Antimonopoly et commençait là où le Monopoly se termine, c’est à dire avec un joueur possédant toutes les rues et les autres luttant pour briser son monopole. Malgré son nom, le jeu n’était pas particulièrement socialiste. De fait, il avait été inventé par des membres de la brigade américaine de la répression des fraudes et de la concurrence. Dans le deuxième, le Mad, du nom du magazine satyrique créé en 1952 par Harvey Kutzman, les participants recevaient une grosse somme d’argent en début de partie. Pour gagner il fallait la dépenser de la manière la plus folle et la plus rapide possible et surtout éviter de tomber sur la case où vous receviez le billet vert d’ un million trois-cent-vingt neuf mille soixante trois dollars (http://www.boardgamegeek.com/image/204608). Depuis le 3 octobre 2008, Hank Paulson, le Secrétaire au Trésor américain a reçu un très gros chèque dont l’ordre est resté en blanc. Le jeu s’appelle le Troubled Assets Relief Program (=programme pour soulager les actifs qui ont des problèmes), le TARP ; ou comment se débarrasser de 700 milliards de dollars en trois mois. Si vous voulez, vous pouvez regarder.

Le jeu compte six joueurs et un arbitre : Hank Paulson, qu’on ne présente plus, Bush qui joue au golf pendant que Laura finit d’emballer ne compte pas, Ben Bernanke, le gouverneur de la Fed, Gordon Brown qui se prend pour John Maynard Keynes et Nicolas Sarkozy qui a de bonnes idées pour changer la règle du jeu, la Chine qui paye si on le lui demande gentiment, enfin, les hedge funds qui font du short selling. Le Diable veille.
Sur le premier côté du tablier, les banques et AIG, l’assureur qui inquiète, sur le deuxième tronçon, les autres institutions de crédit, American Express, General Electric etc. et les hedge funds ; troisième côté : les constructeurs automobiles, la grande distribution, les PME, les collectivités territoriales. Les ménages surendettés, les chômeurs, les retraités ferment le quadrilatère.
La case « Relance », avancez directement au départ, dépensez 300 milliards est temporairement indisponible. Il existe une case « Barack Obama » dans laquelle le joueur est médusé et perd un tour. Enfin, la voie de destockage vous ramène au premier côté et tout est à recommencer. Parmi les cartes « Chance », vous pouvez piocher « le prix du baril baisse de 5$» et « traitement social du chômage » et « vos allocs ne sont plus dégressives ». Dans l’autre pile, vous avez « le Ted-spread explose », « le prix du baril augmente de 5$ » et « Nous interrompons momentanément nos programmes pour annoncer que les Etats-Unis sont en cessation de paiement ».
Si au 20 janvier, il reste encore de l’argent, Hank Paulson a perdu. Les autres joueurs reçoivent une carte de vœux : « Bonne et heureuse année 2009, signé : le Fonds Monétaire International ».
Avant de lancer les dés, Hank Paulson avait décidé que la meilleure façon de dépenser sans compter était de délester les banques de leurs actifs pourris. Supprimons les subprimes des livres des banques ! Avec Ben Bernanke, ils allaient mettre en place un système de vente aux enchères inversée pour payer le juste prix, c’est à dire le plus cher possible. Ces magnifiques innovations seraient conservées jusqu’ à ce qu’elles arrivent à pourriture ou à maturité.

Une semaine plus tard, changement de stratégie. Gordon Brown, venait de ravir la vedette en déclarant que l’urgence était de recapitaliser les banques. L’acquisition d’actifs non identifiables allait prendre trop de temps, il fallait recruter des managers ; les seuls compétents avaient des conflits d’intérêt. Hank Paulson convoque les PDG des 9 plus grandes banques américaines et tel JP Morgan en 1907, les enferme dans sa salle de réunion jusqu’ à ce qu’ils acceptent des participations de l’Etat dans leur capital. Rassurez-vous, dit-il, ce ne sont que des nationalisations Canada Dry. Vous continuerez à être maître chez vous.
125 milliards de dollars plus tard, le Wall Street Journal et le site web du Trésor annoncent que la même somme sera distribuée aux banques régionales qui en feront la demande.
En attendant AIG, l’assureur qui a vendu des CDS comme l’Apple store des chansons à 99 centimes a mangé les 85 milliards que le Trésor lui avait donnés le 16 septembre ; le lendemain de la faillite de Lehman Brothers. Ne vous inquiétez pas, je peux faire faillite aussi, sussure l’assureur. On va s’arranger. L’Etat c’est Paulson, il signe un chèque de 27 milliards.
Personne ne fait de mauvaise pioche, car Paulson garde la main. Pourtant le credit crunch perd-sévère et les banques riches de leurs capitaux tout nouveaux tout beaux ne se sentent pas le moins obligées de prêter aux consommateurs. Bank of America fait du zèle en suivant le programme du gouvernement « Hope Now » (=de l’espoir maintenant ; programme destiné à aider les ménages surendettés à garder leur maison), juste assez pour obtenir une pastille verte. Les autres pensent tout bas : Barack Obama promet de l’espoir, il n’a qu’à s’occuper lui-même de ces poids morts- expression en marketing pour les clients qui ne rapportent rien-, de ses pauvres qui ont voté pour lui. A la place, elles distribuent des dividendes et jouent au monopoly en ramassant par terre des banques plus petites.
Le 13 novembre, jeudi dernier, Paulson annonce « the situation has worsened, facts have changed » (=la situation a empiré, les données du problème ont changé) et une vieille nouvelle : il ne va plus acheter d’actifs pourris. Qu’elles se les gardent. A la place, il va aider les autres institutions de crédit à prêter au chaland. La titrisation (l’action de mélanger les feuilles de salade, de les découper et de les distribuer en ramequins) des prêts à la consommation est tombée de 50,7 milliards l’année dernière en octobre à 500 millions. Il faut faire quelque chose. Autrement, elles ne prêteront plus. American Express, la carte de crédit des riches va recevoir 3,5 milliards. Il y en aura aussi un peu pour les étudiants afin qu’ils aient toujours le droit de commencer la vie adulte avec un emprunt de la taille d’une maison, avant même de s’acheter un appartement.
Pas étonnant donc que personne n’achète de voiture ! Justement les constructeurs automobiles sont sur le point de rendre la clef à molette. Aux Etats-Unis, le débat se place en ces termes : d’ un côté, les économistes comme Robert Reich et les élus démocrates craignent que la faillite d’un, deux, trois constructeurs ne provoque la chute d’ un second astéroïde cette fois-ci sur l’ économie réelle, avec de un à trois millions d’ emplois menacés ; en incluant la sous-traitance et les sommes réinjectées via le multiplicateur keynésien (les salaires sont dépensés et font vivre d’ autres secteurs de l’ économie qui a leur tour embauchent et payent des salaires à d’ autres gens qui consomment etc.). Les partisans de la libre-entreprise disent qu’il faut laisser le marché sélectionner les plus aptes et que si Ford et Chrysler ont construit des voitures dont personne ne veut, parce qu’elles consomment trop ou ne correspondent pas aux goûts des consommateurs, et bien c’est la vie. Le raisonnement est d’ autant plus intéressant que c’est le même argument qui est utilisé au pays des petites voitures et de l’innovation technologique. Peer Steinbrück, ministre allemand des Finances a été très clair : « Nous ne tolèrerons pas les pique-assiettes dans cette crise ».
De la première tranche de 350 milliards, il n’en restait plus vendredi que 60 milliards. A l’avenir, il va falloir dépenser toujours aussi généreusement mais un peu moins follement, dit le Congrès qui doit acter l’autre moitié du chèque. Sinon le jeu s’arrête. L’Etat c’est Hank Paulson; il ne comprend pas. Ce matin, il vient de recevoir une lettre de trois villes, Philadelphie, Phoenix et Atlanta qui lui demandent 50 milliards. Il devrait se réjouir, s’il les leur prête, il aura tout dépensé.
Le deleveraging continue. La Bourse clôt en retrait de 2,63% à 8273 points. Le Diable fronce le sourire. Eric Thorson, le Treasury Department inspector general (=équivalent de l’Inspection Générale des Finances) résume la situation : « It’s a mess » (=c’est le bazar).
Rendez-moi les dés ! Madame, ils trichent !
Gabrielle Durana
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