mardi 18 novembre 2008

Chronique # 40: pendant ce temps, en Afrique

16 novembre 2008

Sarah Palin, gouverneur de l’Alaska, un Etat qui compte moins d’habitants que la ville de San Francisco ne savait pas que l’Afrique n’est pas un pays. Elle ignorait aussi apparemment la différence l’Afrique du Sud (South Africa) et le Sud de l’Afrique (Southern Africa). Aussi improbables que soient ces anecdotes, rapportées par un collaborateur de Mccain qui la préparait pour le débat des colistiers contre Joe Biden, elles dénotent une ignorance assez commune.

L’Afrique, c’est « Blood Diamonds » ou « Le dernier roi d’Ecosse » sur le dictateur Amin Dada ou « Hotel Rwanda », au mieux « Out of Africa ». On se souvient rarement de Picasso visitant le Musée d’ Ethnographie du Trocadéro et inventant les Demoiselles d’ Avignon. Pourtant l’art moderne doit presque tout à l’ art africain. On oublie également que l’Europe s’est entredéchirée pendant des siècles ; et il n’y a guère, à quelques encablures de Venise. Mais surtout, ces films d’action véhiculent une image statique. Tous les continents évolueraient sauf l’Afrique, qui serait congelée dans une atemporalité faite de secousses et embuée de pauvreté et de beaux paysages. Comme on dit en anglais, think again (=pense à nouveau).

D’ abord, l’Afrique d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec l’Afrique précoloniale. Comme l’a bien montré l’historien britannique Basil Davidson, l’Afrique d’avant l’homme blanc était sous-développée économiquement mais pas socialement. En fait, elle était même en avance, visitez le Nil.

Ensuite, beaucoup de conflits depuis la décolonisation ont été des guerres par procuration (proxy wars) dans lesquelles des ethnies étaient montées les unes contre les autres, et le crime profitait aux pays occidentaux. Par exemple, aujourd’hui la reprise du conflit au Congo masque la lutte à mort pour le contrôle des minerais nécessaires à la fabrication de téléphones mobiles et autres produits électroniques, entre la Chine et l’Occident.

Toutefois, en 20 ans, la violence mesurée par le nombre de conflits armés et de victimes civiles a reculé. Depuis 2003 en particulier, trois graves conflits régionaux ont cessé : dans l’Afrique de l’Ouest, le conflit entre le Libéria et le Sierra Leone ; en Afrique centrale, les guerres au Rwanda, au Burundi et en République Démocratique du Congo ; en Afrique australe, la guerre civile en Angola. Vous souvenez-vous que Nelson Mandela était élu président de l’Afrique du Sud il y a déjà 14 ans ?

Oui, bien sûr, comme après l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis, la fracture sociale n’a pas été résorbée en Afrique du Sud parce qu’il n’y a pas eu de redistribution des richesses, contrairement à ce qui avait été promis (quarante hectares et une mule, comme le label de Spike Lee). Et il est douloureux de reconnaître que les Sud-Africains noirs vivent moins bien que le reste des habitants du continent, à l’exception du Zimbabwe. Mais peut-on regretter la prospérité de l’Algérie française ?

La démocratisation, mesurée par le nombre d’élections libres s’est accélérée : on en comptait 28 dans les années 60-70, 36 pour la décennie 80, 65 dans celle de 90 et déjà 41 élections entre 2000 et 2005. D’après la Banque Mondiale, de 1995 à 2005, les pays d’Afrique ont connu une croissance moyenne annuelle de 5,4% ; pas de quoi faire trembler les Tigres d’ Asie, mais les Guépards ne sont réveillés et ils ne sont pas tous gorgés de pétrole. En 2007, le PIB du continent s’élevait à 1,15 trillion de $ (PIB de la France : 1,8 trillions de $ en 2006) avec de grandes disparités entre une élite et le reste de la population.

Quand début 2008, au lendemain des élections, le Kenya a connu des tensions ethniques, ce sont les milieux d’affaires kényans qui ont poussé le Président sortant, Mway Kibaki et le chef de l’opposition, Raida Odinga à s’entendre. Le calme revenu a profité à toute la population. L’Afrique change.
Au G20 le week-end dernier à Washington, Thabo Mbeki, le président sud-africain était le seul représentant du continent. Tenez sur la photo, il est au premier rang en partant de la droite.

Comme il ne s’est rien décidé de tangible, on ne peut pas dire que le reste des pays d’Afrique ait raté quelque chose- sauf la photo. Mais rappelons-nous que ce sommet était censé refonder Bretton Woods, or en 1944, on avait bien invité la Mongolie ou le Honduras, alors pourquoi pas cette fois le Nigéria et Djibouti ? Enfin bon, de toute façon, les bulles spéculatives dans l’immobilier, les dangers des produits financiers dérivés ce sont des névroses de pays riches, le tsunami ne passera pas par l’Afrique. Non ? Think again.

Si nous dessinons un diagramme avec en abscisses la vulnérabilité de la croissance à des facteurs macro-économiques tels que la baisse de la demande extérieure, le prix des matières premières, les investissements directs à l’étranger et en ordonnées la vulnérabilité à des facteurs financiers, comme un crédit crunch ou des faillites pour cause de dette libellée en dollar ou une dévaluation pour cause de rapatriement des capitaux, on pourrait répartir les pays suivant le type de risque.

Le Brésil, la Chine, l’Inde et la Russie se trouveraient très près de l’axe des abscisses, car leur risque macro-économique est assez faible voire nul et sur l’axe des ordonnées ils seraient rangés dans cet ordre ; la Russie étant clairement le pays le plus vulnérable des BRIC en termes financiers. A l’opposé, l’Islande présente un risque élevé en termes macro-économiques et très élevé en termes financiers. Sur le diagramme, on la placerait donc assez haut à droite.

Bénéfice de ses inconvénients, l’Afrique possède peu des mécanismes financiers de transmission de la crise, à l’exception peut-être du Nigéria et de l’Afrique du Sud. La plupart des banques de l’Afrique subsaharienne financent leurs prêts à partir des dépôts et elles les gardent sur leurs livres jusqu’à ce qu’ils soient remboursés. Il n’y a quasiment pas de titrisation et l’emprunt à l’étranger est relativement marginal.

Aujourd’hui, 50% des pays africains possèdent une place boursière, condition pour qu’émerge un marché des capitaux moderne c’est à dire liquide, même si beaucoup sont à l’état embryonnaire. La capitalisation boursière-soit la valeur de toutes les entreprises cotées sur une place- a doublé sur le continent entre 1992 et 2002, atteignant 244 milliards ; par comparaison, le conglomérat de Warren Buffet pesait 178 milliards de $ au 3 novembre 2008. La plus ancienne des bourses, située à Alexandrie a été fondée en 1883, suivie en 1887 par celle de Johannesburg qui demeure la plus importante avec près de mille titres cotés. La Bourse de Casablanca créée en 1929 a 77 entreprises admises à la cote. La quatrième historiquement et la deuxième en importance est la place de Lagos où 223 valeurs nigérianes sont échangées chaque jour. Alors, la crise ne passera pas moi ? La bourse de Nairobi a perdu 30% en un an, le Case 30 en Egypte 57%, le FTSE et le JSE sud-africains 40% depuis l’été ; idem pour l’indice nigérian, depuis son zénith en février dernier. Mais rappelons-nous que la capitalisation est modeste.

Les facteurs macro-économiques de transmission de la crise en revanche sont réels. D’abord la baisse, que dis-je la dégringolade du cours des matières premières redistribue les cartes. En quatre semaines, le prix des métaux s’est divisé d’un tiers. Par exemple, les prix du palladium, un composant essentiel des pots catalytiques, extrait en Ethiopie et transformé en Afrique du Sud ont baissé de 70% depuis mars, à mesure que la demande de véhicules ralentissait aussi. La moitié de la production d’aluminium au Mozambique et en Afrique du Sud est devenue non rentable. 30% des mines de nickel, 15% des mines de zinc ne méritent plus d’être exploitées, faute de pouvoir rentrer dans ses frais. Le cuivre dont la Chine est si friande a baissé de 50% depuis avril.

On ne peut apprécier la volatilité actuelle sans réexaminer l’envolée délirante des prix de ces dernières années. En 2003, la tonne cubique de nickel coûtait 9.000$. En 2007, elle était passée à 40.000$. Aujourd’hui, elle se vend à 11.600 $. Aucune variation de la demande ne peut justifier de telles montagnes russes. Il s’agit typiquement de queues qui se baladent sans les chiens, de hedge funds qui spéculaient sans avoir la moindre intention d’entrer en possession de ces matières premières.

En revanche, la baisse de la demande chinoise, maintenant en proie à une frénésie immobilière beaucoup moins virulente est bien réelle. Elle provoque des conséquences à des milliers de kilomètres dans des mines du Kenya ou de Zambie. On peut aussi voir le verre à moitié plein : le commerce Chine-Afrique devrait atteindre 100 milliards de dollars en 2010. Pendant que Nicolas Sarkozy appelle au renforcement de l’Eurafrique et croit inspirer la jeunesse dorée avec son discours à Dakar de juillet 2007 qui peut se résumer à « vendez-nous vos matières premières, gardez votre folklore qui est si joli et nous, nous garderons notre matière grise », les Chinois sortent leurs chéquiers en premier. Simplement, depuis le tsunami, les chèques seront un peu moins gros.

L’éclatement de la bulle spéculative du pétrole, redescendu de près de 150 $ le baril cet été à 54,42$ aujourd’hui annonce la fin de la fête pour l’Angola, premier fournisseur de la Chine, et aussi pour les pays du Golfe de Guinée, comme le Nigéria et le Ghana qui avait plusieurs exploitations off shore. Si à quelque chose malheur est bon, peut-être que la réduction du magot noir provoquera un tassement de la violence sur le Delta du Niger. A moins que la production n’augmente pour justement compenser la baisse des prix et que la rébellion, très vaguement politique, croisse et ne se multiplie.

Ce qui est certain c’est qu’avec un pétrole à 50 $, certains projets d’acheminement vers l’étranger ne passeront pas le cap du fichier AutoCAD. Par exemple, l’exploitation du pétrole du Lac Albert en Ouganda requérait la construction d’un oléoduc de 1000 km jusqu’ à Mombassa sur la côte kenyane. Pour que l’investissement soit rentable, le baril ne saurait descendre en dessous de 80$.

L’un des grands handicaps de tous les pays en développement (et quand on voit l’absence de TVG pour aller de San Francisco à Los Angeles, visiblement de quelques grands pays développés aussi) est le manque d’infrastructures. Il est certain que l’amenuisement de la rente pétrolière va rendre plus difficile l’aménagement du territoire, surtout que les crédits internationaux se seront raréfiés. Il s’agit moins d’un crédit crunch car il n’ y avait jamais eu de liquidité que d’un assèchement du crédit. Et comme le Diable est bien bon, les politiques d’ajustement structurel feront le reste.

Ainsi, dans le cadre des joint-ventures, le Nigeria était censé participer de 2008 à 2012 à hauteur de 60 milliards de dollars, aux coûts d’exploitation de son pétrole. Maintenant que sa manne pétrolière a fondu et qu’emprunter devient plus difficile, le pays est victime d’un effet de ciseau, bien tranchant.

Une autre conséquence de la crise est la baisse de l’envoi d’argent des familles immigrées (remittances) vivant dans le Premier Monde. Elles représentaient 12 milliards de $ en 2007 mais la Banque Mondiale estime que le double correspond à une évaluation plus réaliste. Passons sur leurs coûts prohibitifs en termes de frais et de taux de change, ces virements sont le plus souvent contra-cycliques ; c'est-à-dire qu’ils augmentent quand la situation des immigrés s’améliore ou quand celle de la famille restée au pays se dégrade. En revanche, lors d’une récession, la fréquence et le montant des envois ont tendance à se réduire. Sur ce sujet, je ne résiste pas à vous renvoyer plus pour des raisons esthétiques que de théorie économique vers le film de Sembé Ousmane, « Le Mandat » (1968). Et pour une vision moins romancée, à une visite du Mali où des villages entiers vivent uniquement grâce aux envois de l’étranger ; certains travailleurs immigrés sont en réalité des esclaves modernes aux mains de chefs de famille ou de leurs propres parents. Souvent peu qualifiés, presque tout ce qu'ils gagnent est envoyé aux "maîtres".

L’aide au développement risque bien de devenir la dernière roue du tsunami. Si en temps normal, les pays développés ont déjà du mal à tenir leur promesse de contribuer au développement à hauteur de 1% de leur PIB, la crise rend égoïste. On parle souvent de l’aide qui ne marche pas, qui est volée ou gâchée, mais « le paradoxe du Mozambique » rappelle qu’en fait, elle sert. L’Aide Publique au Développement représente 1,5 milliards de $ par an, soit 25% du PIB du Mozambique. Depuis dix ans, l’APD a contribué à hauteur de 50% au budget de la nation. A ceci s’ajoutent les Investissement Directs de l’Etranger – les fonds privés- qui ont permis le financement de grands travaux. On dit qu’il y a paradoxe car le secteur bancaire local ne prête pas ou après trop de tracasseries. Il préfère faire des profits en achetant des bons du trésor ou en facturant des frais pour la tenue des comptes à vue. D´où vient alors la croissance ? Le Mozambique reste pauvre et tributaire de l’aide internationale, mais bien administrée, elle a permis de construire des écoles et des hôpitaux. Les pays d’Afrique ne recevraient-ils de l’aide que quand il leur tombe un vrai tsunami ?

L’aide au développement est en réalité une épée à double tranchant : d’un côté, elle protège, de l’autre elle ramollit. Alors, on peut aussi se dire que sa raréfaction ramènera les Africains de toutes les générations à leurs responsabilités. Ne te demande pas ce que l’étranger fait pour toi, mais ce que tu fais pour ton pays. Toutefois, si l’Occident pouvait saisir les biens des corrompus sur leurs belles avenues et les juger en bonne et due forme, ça ne couterait que le salaire des juges mais ce serait une aide qui fortifie.

Gabrielle Durana et Kuassi Mensah
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