jeudi 13 novembre 2008

Chronique # 39: retour à Bretton Woods

12 novembre 2008

Vendredi, le G20 se réunit à Washington pour essayer de trouver des solutions à la crise et prévenir la prochaine. Cette rencontre a été décidée le 19 octobre et le locataire du 1600 Pennsylvania avenue a invité tout le monde pour un cocktail d’adieu. Les Grands de toujours et des anciens Petits vont plancher sur une refonte du système économique international. Ils ont préparé le brouillon le week-end dernier et à Washington, ils vont accoucher d'un nouveau Bretton Woods. En tout les cas, c'est le film que se font Sarkozy, trop content de montrer qu'il s'active et Gordon Brown qui se voit bien en réincarnation de John Maynard Keynes. Un nouveau Bretton Woods ? La formule est presque aussi élimée qu'un nouveau Plan Marshall, une nouvelle nuit du 4 août, le prochain Google et le new New Deal.
Travelling arrière. En juillet 1944, un mois après le Débarquement de Normandie, les 44 alliés, du Libéria, à l'Angleterre, du Honduras à la Mongolie, en passant par l'Argentine, l’URSS et les Etats-Unis se réunirent, après deux ans de travaux préparatoires, pendant trois semaines à Bretton Woods. Le but affiché : éviter qu'une autre « Grande Dépression » ne se produise et jeter les bases d'un nouveau système économique international. Derrière les apparences d'un multilatéralisme que le chef de la délégation britannique taxait de « ménagerie grotesque » (« most monstruous monkeyhouse »), le vrai dialogue était un tête-à-tête serré entre l'Angleterre, le Grand de naguère, représenté par John Maynard Keynes, et les Etats-Unis, l'ancien Petit, incarné par Harry Dexter White, le sous-secrétaire au Trésor. Incidemment, réfléchir sur le nouveau système monétaire n’est pas bon pour la santé. L’état physique de Keynes et White se détériorèrent rapidement après les accords. Le premier mourut en 1946, le second en 1948, alors qu’ils n’avaient que 63 et 55 ans. Il faudra peut-être en glisser un mot à Strauss Kahn. Pour la petite histoire encore, les Américains continuent de se demander si Harry White, internationaliste convaincu, n’était pas un espion soviétique. Mais ce n’est pas notre sujet aujourd’hui.
La Grande Dépression avait été le résultat cumulé d'un krach boursier en 1929, d'erreurs de politique économique de la part de l'administration Hoover, et de la réaction égoïste, du protectionnisme des différents pays. En matière commerciale, l'épisode de 1930 dit de la « guerre des beurres » danois et néozélandais illustre la guerre commerciale que se livrait chacun contre tous, à coup de dévaluations compétitives. L'expérience des changes flottants dans les années 20 avait été concomitante de l'hyperinflation, donc il fallait éviter aussi. A Bretton Woods, il fut décidé d'établir des taux de change fixes ; fini le dumping. Dans le nouveau système monétaire international, la monnaie de référence, ce qu'on appelle un étalon, serait le dollar, lui-même ancré à l'or. Toutes les autres monnaies seraient ancrées au dollar avec une parité fixe. Si un pays avait des problèmes de balance des paiements, puisqu'il ne pouvait plus dévaluer, il recevrait l'aide d’une nouvelle institution, le Fonds Monétaire International.
L'auteur de la Théorie Générale appelait de ces vœux cette coopération internationale mais n’était pas d’ accord sur le choix de l’étalon. Pour lui, le « dollar as good as gold » était un étalon-dollar. Il ne voulait pas non plus d'un retour à un étalon-or qui dans le passé avait limité le développement du commerce international à la quantité de métal précieux disponible. Il proposait un étalon neutre qui ne soit la monnaie nationale de personne et qu'il appelait le « bancor ».
Keynes et White différaient sur un autre point : le Britannique voulait un FMI suffisamment puissant pour contrebalancer la puissance économique des Etats-Unis et organiser les flots du capital entre les pays. L’Américain voulait une institution qui complétait le rôle économique de son pays.
Le plan White l'emporta, le bancor rejoignit le musée de l'histoire monétaire et le FMI naquit avec une tare congénitale.
Le système de Bretton Woods se révéla pour ce qu'il était, un étalon dollar au cours des décennies suivantes. Les Etats-Unis pouvaient se permettre le luxe d'avoir des déficits jumeaux (twin deficits), à la fois de leur budget et de la balance commerciale parce que « le dollar était [leur] monnaie et notre problème » ; autrement dit la demande de dollars pour financer le commerce international rendait peu probable que tout le monde ramène ses billets verts et demande à les changer en or. Le reste du monde et singulièrement l'Europe mais aussi les pays producteurs de pétrole accumulèrent une pile très très haute et très très large de « dollars de l'étranger » qu'on appela les « eurodollars » et les « pétrodollars ».
Puis le 15 août 1971, les Etats-Unis mettent tout le monde devant la réalité que seuls les économistes avaient vue : le dollar « as good as gold » est un étalon dollar, donc abolissons la convertibilité du dollar en or. Beaucoup de raisons peuvent être avancées pour expliquer cette décision de Nixon. Eviter que les petits malins, comme le Général de Gaulle et Willy Brandt ne vident les coffres de la Fed de tout son or, en renvoyant tous leurs dollars. Eviter que tous les « pétrodollars » et les « eurodollars » ne rentrent dans la masse monétaire américaine, ce qui aurait eu un effet inflationniste certain. En tous les cas, le système de Bretton Woods n'est pas mort ce jour-là. Il a simplement commencé à se faire appeler par son nom, un chat un chat.
La crise couvait toujours. En mars 1973, les monnaies qui étaient arrimées au dollar se mettent à flotter. Là, le système né en 1944 décède. Le 8 janvier 1976, lors des accords dits de la Jamaïque, on abandonne toute référence à l'or dans la définition de la valeur des monnaies ; le système de Bretton Woods est enterré.

Depuis le début de cette chronique, vous vous demandez pourquoi je vous parle de taux de change alors que la crise de 2007-2008 a commencé dans l'immobilier pour se propager aux banques et maintenant au reste de l'économie. D' ailleurs si vous regardez l'ordre du jour de la réunion du G20, personne ne parle de réforme ou de refonte du système monétaire international. On vous parle de transparence et de la création d'une bourse pour les CDS, d'un système d'alarmes (whistleblowers) qui sonnent quand une bulle spéculative se forme, d'un accord Basel 3, où les fonds propres des banques seraient renforcés pendant les périodes fastes sur le modèle contra-cyclique qui a si bien fonctionné en Espagne. La liste se poursuit qui vise à arraisonner la finance, tout ça dans un joli paquet cadeau appelé régulation.
Ceci est très intéressant et certainement utile mais ne remonte pas à la racine de la crise. Mais on la connait la racine… Les subprimes, les petites verrines avec quelques milligrammes de risque par-ci, par-là, mettez en culture et distribuez à volonté.
Là, vous regardez le tronc.
Le rhizome de cette crise, la plus importante depuis 1929 est enfoui dans les déséquilibres des échanges internationaux. Depuis une dizaine d'années, vous avez deux sortes de philosophies en matière de taux de change. Vous avez les pays qui ont arrimé leur monnaie au dollar et ceux qui laissent leur devise flotter. Dans la première catégorie, vous avez par exemple le yuan, la roupie, une grande partie des devises latino-américaines, sauf le réal. Dans l'autre, vous pouvez ranger l'euro, la livre et le yen ; avec quelques aménagements, car il flotte librement mais a tendance à suivre les évolutions du dollar.
Depuis 2002, nous assistons à un replay de la situation des années 30. Pour promouvoir leur politique mercantiliste, les pays de la première philosophie ont arrimé leur monnaie au dollar en évitant qu'elle ne se réévalue au fur et à mesure qu'ils accumulaient des excédents commerciaux. En clair et sans décodeur, cela s’appelle faire de la dévaluation compétitive. Conséquence : des excédents commerciaux records, que dis-je, himalayens. C'était bien le but recherché, on appliquait les recettes du mercantilisme. Sauf que cet argent n'est pas resté en Chine- où il aurait provoqué de l'inflation. Il est reparti dans le circuit international et voulait trouver à se fructifier ; par exemple aux Etats-Unis.
Pourquoi les Etats-Unis ? Comment vont les jumeaux ? Depuis 1997, ils poussent, ils poussent. Ils sont grands maintenant. 700 milliards de $ en 2007 pour Déficit Commercial et 455 pour Déficit Budgétaire.

Ce qu'aurait dû faire Alan Greenspan, le gouverneur de la Fed devant la déferlante d'argent oisif ? Relever les taux, madame ! Car comme le dollar flotte et qu'il y a n'y a pas de barrière à la circulation des capitaux à l'entrée ou à la sortie, la théorie de la trinité impossible vous dit que la politique monétaire peut opérer.
Si c’est tellement évident, pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? C’est l’histoire du meilleur client et de son dealer. Un collectionneur invétéré qui a accumulé des toiles toute sa vie et qui vit très au-dessus de ses moyens a un marchand d’art (art dealer) qui lui rachète 90% de ses tableaux. Croyez-vous que le collectionneur va dire au marchand qu’il n’ aime pas ses idées politiques ou qu’ il devrait faire un peu de sport et ne pas mettre ses doigts dans le nez ?
Persuader la Chine de réévaluer sa monnaie pourrait être un thème au sommet du G20. A la place les Européens veulent parler régulation, transparence, ratios prudentiels, qui sont tous utiles et nécessaires. Mais c'est comme de discuter de la couleur du papier peint au lieu de parler de l'architecture de la maison. Si les Européens ne veulent pas mettre sur le tapis la réévaluation du yuan, c'est sans doute pour une bonne raison. Comme le fait que dans une vraie négociation, c'est toujours donnant-donnant. Pourquoi la Chine abandonnerait-elle une stratégie qui est en train de lui faire faire un grand bon en avant ? Juste pour être gentille avec le reste des gentils pays capitalistes ? Pour que la Chine accepte de perdre quelque chose, il faudrait qu'elle gagne autre chose ; par exemple un poids beaucoup plus grand dans le concert des nations. Strauss-Kahn doit son siège de managing director a son talent et à sa citoyenneté européenne. Les Européens sont-ils disposés à n’occuper qu’une place proportionnelle au poids de leur économie et de leur population ? Donc on parle de transparence et du temps qu'il fait, tout en caressant des rêves de pères fondateurs.
Quant aux États-Unis, pourquoi changer une situation qui, sauf quand elle vient vous exploser une fois par siècle dans la figure, marche la plupart du temps ? Si les Chinois sont contents de financer les jumeaux parce que cela leur donne un vaste marché dans lequel écouler leur production, tout de suite, année après année, pendant que leur pays opère sa transition hors du sous-développement en une ou deux générations, finalement c’est un arrangement qui favorise les deux parties.
En fait, la question des déficits jumeaux est un facteur de déstabilisation de l’ensemble du système quasiment tous les trente ans. La Chine d‘aujourd’hui avec ses excédents est moins à blâmer pour sa dévaluation compétitive – chaque pays essaie de tirer son épingle du jeu- que les Etats-Unis pour leurs déséquilibres structurels.
Comment, sans parti, pris recalibrer le système ?

White, dans sa thèse de doctorat consacrée au commerce international de la France avant la Première Guerre Mondiale arrivait à une conclusion qu’il réutiliserait lors de la création du FMI. « Some measure of intelligent control of the volume and direction of foreign investment is desirable ». (=une certaine dose de contrôle intelligent du volume et de la direction des investissements étrangers est souhaitable). Où est Dieu quand on a besoin de lui !
Aujourd'hui, les Etats-Unis sont un peu dans le rôle de l'Angleterre à Bretton Woods et la Chine dans celui des Etats-Unis ; sauf qu'on ne sort pas d'une Troisième Guerre. La destruction physique, économique, politique et financière n'est pas comparable. La Chine a-t-elle des envies de Roosevelt ou être Churchill lui suffit? La question n’est pas à l’ordre du jour. Barack Obama attend que l’ancien locataire finisse de faire ses cartons. Et les 19 invités, tout sourire que le bail expire.

Gabrielle Durana
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