jeudi 6 novembre 2008

Chronique # 34: Barack Obama marche-t-il sur l’eau?

Mercredi 5 novembre 2008

Hier soir, nous fêtions la victoire de Barack Obama avec les voisins, un couple de retraités. Nous avions sympathisé, lorsqu’un soir d’été indien, le mari était venu frapper à la porte pour nous dire qu’ils regardaient eux aussi MSNBC et qu’ils avaient déjà le son sur leur stéréo Bang & Olufsen. La chaine de Bill Clinton est aux liberals (attention en anglais, le mot veut dire « de gauche »), ce que Fox News est aux libéraux au sens français du terme : du caviar qui vous rentre par les yeux et les oreilles.

Dans notre résidence, située en centre ville, près de la mer, la moyenne d’âge est assez élevée et la catégorie socioprofessionnelle aussi. Sur 46 propriétaires, il y a un couple Noir, une dizaine d’Asiatiques ; nous, nous sommes un couple Franco-Bengali.

Il est 23h00 sur la Cote Est, 20h00 à San Francisco, McCain vient de perdre l’Ohio. Sans cet Etat et sans la Pennsylvanie, la barre des 270 grands électeurs est hors limites. CNN fait tourner son manège de colonnes grecques, le visage de Barack Obama s’affiche sur l’écran avec 52% des voix.
Nous sommes trop polis pour hurler de joie mais nous nous embrassons copieusement. Tandis que les voisins servent le champagne, je commence à envoyer mes SMS.

Mon intuition me dit que nos voisins sont des braves gens, mais pourrions-nous vraiment aller au fond des choses ? Heureusement, nous sommes tous submergés par l’émotion. Les mots sont remplacés par les larmes de Jessie Jackson, l’ancien candidat à la candidature Démocrate en 1984 et 1988, celles d’Oprah Winfrey, la seule milliardaire noire au monde et tous ces inconnus à Chicago, blacks, blancs, jaunes dont la joie et l’incrédulité explosent sur l’écran.

Comme des centaines de milliers d’autres bénévoles en Californie, j’ai passé l’après-midi avec un copain franco-américain à téléphoner à des électeurs du Missouri, de l’Ohio et de Pennsylvanie pour les inciter à aller voter. En rentrant, je me suis changée et mon autocollant pour défendre le mariage gay (Proposition numéro 8, soumise à référendum le même jour que l’élection présidentielle) est resté sur la veste de mon jogging.

Nos voisins se sont rencontrés au lycée et sont mariés depuis 52 ans. Leurs enfants et petits-enfants habitent à Philadelphie. Même s’ils trouvent cela un peu bizarre (« a little funny »), deux smokings ou deux robes blanches à la mairie, la femme m’explique qu’il fut un temps où un mariage interracial était « funny » aussi. Et même illégal, Madame. Les lois de « miscegenation » criminalisaient les relations sexuelles et le mariage entre les Noirs et les Blancs ; elles ont été abolies plusieurs fois mais sont restées en vigueur dans certaines parties des Etats-Unis jusqu’à une décision unanime de la Cour Suprême Loving vs Virginia de 1967. Donc quand les parents de Barack Obama ont couché ensemble à Hawaii, ils auraient pu être persécutés en Alabama. Elle ajoute : « Que ça nous plaise ou pas, les gays ont des droits civiques aussi ». Pour des gens qui ne sont pas d’anciens hippies et qui ont 75 ans, c’ est pas mal comme déclaration.

Ce qui me ramène aux droits civiques des Noirs. La campagne de McCain, orchestrée par le diabolique Karl Rove avait essayé de créer une polémique autour d’ une émission de radio dans laquelle Barack Obama expliquait que les droits conférés par la Constitution américaine n’ étaient pas des droits sociaux et que l’égalité devant la loi, sans l’égalité des chances rendaient ces droits purement formels.

Hier soir, tandis que le réalisateur Spike Lee, lui aussi dans la foule de Grant Park parlait du caractère historique de l’élection du premier président Noir américain, c’est moins les images de son film « Malcom X » qui me revenaient en mémoire que celles de son documentaire « When the levees broke » sur le requiem en quatre actes de l’ouragan Katrina. Ni la catastrophe naturelle ni la lenteur de l’arrivée des secours n’avaient crée la misère noire des héros de son film. Elle les avait précédés dans une longue indifférence.

Aujourd’hui la ségrégation socio-spatiale dans les écoles est moins forte qu’en 1954, quand la Cour Suprême dans sa fameuse décision Brown vs Board of Education avait forcé l’ouverture des écoles blanches à des enfants noirs mais elle est plus forte qu’en 1970.
D’ après l’organisation Human Rights Watch, les Noirs représentent 12,3% de la population américaine et 43,7% de la population carcérale.

Je pourrais continuer à égrener des statistiques qui reflètent les multiples formes de la pauvreté parmi la population noire. Mais comme Barack Obama l’avait si bien analysé dans un discours époustouflant d’intelligence, prononcé en mars dernier à Philadelphie, au moment où Karl Rove avait essayé de l’embourber grâce aux déclarations difficilement défendables de son pasteur, si la race est un facteur d’exclusion, la pauvreté est un facteur d’ exclusion plus fort encore. Et la colère du petit blanc, de l’immigré latino se nourrissent de la même frustration que la haine dans les ghettos d’ Oakland ou de Los Angeles. Pour le discours intégral qui vaut son pesant d’or, ici :
http://www.huffingtonpost.com/2008/03/18/obama-race-speech-read-t_n_92077.html

Clinton avait profité ou crée, selon les historiographes, 22 millions de nouveaux emplois en huit ans d’administration. Barack Obama arrivera-t-il à restaurer la classe moyenne blanche dans ses droits et à faire émerger une classe moyenne noire et latino? Cela prendra surement plus d’un mandat. Mais avec deux guerres et une crise économique, il est déjà tenu à l’impossible.

Gabrielle Durana
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