Errata : Le mot « romaine » est un anglicisme. Le vrai nom en français est chicon et c’est effectivement une laitue romaine. Le terme désigne aussi une endive chicorée de la région de Bruxelles.
La Derivatives Oversight Agency dont je parlais hier n’existe que dans mes rêves. L’agence actuelle s’appelle la Commodities Futures Trading Commission et comme son nom l’ indique ne surveille qu’ une partie du marché des produits dérivés : les futures sur les matières premières et les options sur les actions. Elle a son siège à New York avec des antennes à Chicago et à Kansas City.
29 octobre 2008
Laissons rêver le prion qui dort. Je voulais tout de suite le réveiller pour faire monter le suspens, mais sauter dix ans d’incubation pose un problème épidémiologique. On a l’impression que la maladie se déclare un beau jour et tout le monde est très étonné. En fait, Bistro et ses petits frères tombaient tout le temps malade.
J’ ai utilisé jusqu’ à présent la métaphore de la salade. Je vous propose de la remplacer par celle de la lasagne ou du tiramisu ou même de parler comme les banquiers, par tranche :
Les prêts qui servent de référence dans un CDS sont en fait segmentés suivant leur qualité. Soit un joli plat à four en céramique de la marque Le Creuset ; vous n’allez pas attirer le chaland avec un plat en étain. Tout au fond, vous placez la bouillie de vos prêts les moins sûrs. Cette tranche s’ appelle l’ equity layer et elle ne reçoit pas de note parce qu’elle serait mauvaise et donc dissuasive. Puis vous allez poser la couche du milieu, la mezzanine layer, qui contient des prêts de référence notés de AA à BB, eux aussi finement hachés. Enfin, vous aviez réservé la meilleure tranche, la senior layer, qui est liée à des prêts de qualité supérieure, qui ont tous reçu la note AAA. Les concepteurs de Bistro avaient rajouté un glaçage à leur beau gâteau : la super senior layer, qui n’avait que des noms d’entreprise de premier ordre, la crème de la crème, c’est bien le cas de le dire.
Chaque tranche reçoit une rémunération inversement proportionnelle au risque.
Avant de distribuer Bistro auprès des clients, il fallait aller à la pêche aux notes. Ils achèteraient même si ils n’y comprenaient pas grand-chose, à condition que quelqu’un qui s’y connaissait ait donné son aval. Imaginez un laboratoire pharmaceutique qui modifierait les résultats d’expérience jusqu’à ce que les données statistiques confirment les hypothèses. C´était presque la même chose. Standard & Poor’s faisait tourner le produit sur ses ordinateurs et invariablement la modélisation mathématique concluait que Bistro ne valait pas un clou. Il y avait trop de risque. Les forts en maths de chez JP Morgan reprenaient leur copie. Ils revenaient un peu plus tard en ayant changé quelques paramètres. Toujours trop risqué. Ils repartaient faire d’autres ajustements. Puis ce fut bon. Les ordinateurs de Standard & Poor’s se mirent à obéir : les différentes tranches avaient au maximum un risque BB.
Je saute des épisodes mais disons que d’emblée les problèmes éclatèrent dans la tranche mezzanine et dans la tranche du bas. JP Morgan ne pouvait pas l’ignorer puisqu‘ils avaient conservé cette dernière. Même les tranches supérieures donnèrent des nuits sans sommeil à leurs détenteurs.
Bistro II connut plus de pertes encore. Mais, sans peur et sans reproche, JP Morgan se lança dans l’industrie du CDS ; imité par toute la profession.
L’une des raisons pour lesquelles les instruments n’étaient pas aussi mirifiques que prévu résidait dans le droit que les entités émettrices de CDS retenaient de changer les prêts qui servaient de références ; du moment que le nouveau prêt et l’ancien avaient reçu la même note. Avez-vous déjà acheté une voiture d’occasion ? Le vendeur a un avantage sur l’acheteur, comme la banque, il sait ce qu’il y a sous le capot. Cette asymétrie d’information crée un risque moral. Et les banques ne se sont pas gênées pour déverser leur dépotoir dans le plat Le Creuset, avant qu’il cesse de s’appeler triple-A.
Mais comme les forts en gouaille avaient bien fait leur travail de tenir le gouvernement et les agences de régulation à distance, comme les malfaçons ne se révéleraient que dans l’ avenir et comme ces produits n´étaient pas appelés à rester sur les livres de la banque mais au contraire à être vendus le plus vite possible, ce fut un franc succès.
La finance ayant une imagination et une insatiabilité commensurables, en 2003, elle se mit à confectionner des produits dérivés des emprunts immobiliers et à les servir en titres, ce furent les Collateralized Debt Obligations.
Les CDS et les CDO sont tous nés de la même matrice. Bistro était censé vacciner contre les risques en les mutualisant. Au lieu de se rendre compte qu’elle venait d’ inventer une nouvelle maladie, JP Morgan laissa sortir le patient zéro. Les autres banques lui demandèrent un peu de salive et se précipitèrent pour la mettre en culture.
Le milliardaire Warren Buffet, aussi appelé sans rire, « l’oracle d’ Omaha », (un trou perdu dans le Nebraska –j’ espère que je n’ aurais jamais à boire mes paroles), avait prophétisé dans une lettre à ses actionnaires en mars 2002 que les « produits financiers dérivés sont des armes de destruction massive». Il expliquait comment elles semblaient protéger contre le risque au niveau micro-économique et comment elles le transmettaient en le disséminant au niveau macro-économique.
Muriel, dite Mickie Siebert, 76 ans, la première femme trader à avoir travaillé pour elle-même à Wall Street rappelait en décembre 2002, devant la commission d’enquête du Sénat américain constituée pour éclaircir les origines du scandale Enron qu’elle était déjà venue avertir des dangers des produits dérivés en 1988 et en 1998.
Elle citait donc ses propres paroles. En 1988, suite à la crise de 1987, elle disait que les contrats à terme sur actions – communément appelés futures- « étaient devenus la queue qui faisait remuer le chien » (« futures have become the tail wagging the dog »). Et de montrer comment les logiciels de trading automatique sur le marché des futures avaient provoqué l’effondrement du cours des actions de 22,6% en une seule séance. Ces logiciels furent modifiés. En 1989, les autorités de régulation installèrent une série de disjoncteurs qui servent encore de nos jours.
Dix ans plus tard, en 1998, un hedge fund appelé Long Term Capital Management failli faire exploser le système, de nouveau à l’ aide de produits financiers dérivés. Avec de l’ argent emprunté (effet de levier de 1 à 100), le fonds avait misé pour 1 trillion de $ au Forex sur la valeur future des monnaies. La situation ne manquait pas de piquant, si j’ose dire, puisque Robert Merton et Myron Scholes qui avaient reçu le prix Nobel d’Economie l’année d’ avant pour leur contribution théorique aux marchés des produits dérivés siégeaient au conseil d’administration de LTCM.
Puis vint le scandale Enron en 2002 sur le marché totalement dérégulé de l’énergie ; un autre marché Over The Counter. Enron pour faire du chiffre émettait des opérations dans les deux sens. Pendant ce temps, Bush rongeait son frein pour partir libérer le pétrole en l’Irak. Ces opérations dans les deux sens étaient légales sur un marché OTC mais auraient été interdites à la bourse, car libellées ventes fictives (wash sale).
Trois crises, trois types de produits financiers dérivés, trois appels à la régulation dans le désert. Enfin, deux, car en 1987, il y eut de vrais changements visant à préserver le système. On voit bien que même les thuriféraires de la Bourse ne croient pas en l’éthique du capitalisme pour prévenir les abus.
Mais revenons à la lettre de Warren Buffet à ses actionnaires. Il leur expliquait comment à l’ occasion d’un rachat d’entreprise, il s’était retrouvé avec une branche derivatives (=produits dérivés). A cause du système des contreparties (vous vous engagez à couvrir un risque pour quelqu’un d’autre) et parce qu’ il s’ agit d’ opérations dans le futur parfois lointain, la réassurance et les produits financiers dérivés sont comme l’ enfer, il est très facile d’ y entrer et presqu’impossible d’ en sortir.
Warren Buffet voulait se débarrasser de cette unité, coûte que coûte. A son arrivée, General Re Securities était la contrepartie en tant qu’acheteur ou vendeur dans plus de 23.000 opérations. Montant : 1 trillion de $. Une de ses équipes s’attela à la tâche de dénouer les rets de ces produits dérivés qui liaient tant de variables ensemble que les chances que le risque se produise étaient démultipliées. A la fin, en étant extrêmement prudente, l’ équipe avait quand même perdu 200 millions de dollars sur 500 trades. 98% des opérations étaient RAS et 2% létales.
Maintenant prions, car le prion se réveille.
Gabrielle Durana
Chroniques du tsunami financier
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