22 octobre 2008, l 'Argentine vient d'annoncer qu'elle allait nationaliser ses fonds de pension. Apparemment cela n'a pas grand-chose à voir avec la crise financière mondiale. Apparemment seulement. Cette mesure qui consiste à faire retourner dans la sphère publique un régime démembré par l'ultralibéral Menem pose problème. La bourse dégringole. La population s'inquiète.
La présidente Cristina Kirchner est l'élue du parti péroniste, aussi appelé justicialiste, qui à travers les différentes périodes de l'histoire argentine a tantôt été ancré à gauche –comme maintenant- tantôt à droite- la plupart du temps. Carlos Saúl Menem qui avait occupé la Casa Rosada de 1989 à 1999 et qui a ruiné le pays par un mélange de corruption et d' incompétence était, lui aussi, un «justicialiste». Les deux ont en commun un populisme qu'ils ont hérité du fondateur du parti, Juan Perón, deux fois président (1946-1952 puis 1973-1974) et de sa très célèbre et charismatique première épouse, Evita.
Cristina Kirchner avait succédé à son mari en octobre 2007 à la Présidence. Depuis leur accession, à la suite et fin de la crise financière de 2001, dans laquelle l'Argentine s' était déclarée en cessation de paiement vis-à-vis du reste du monde, le couple n'a eu de cesse de profiter de la hausse des matières premières pour désendetter le pays.
L'Argentine est un vrai grenier à blé, à viande, à soja, à maïs et à coups d' Etat. Un seul Président au XXème siècle est arrivé au terme de son mandat, Raul Alfonsin (1983-1989). Avec un passé rempli de dictatures et de prévarication, les Argentins entretiennent un scepticisme de bon aloi face à la puissance publique.
Si vous vous promenez dans Buenos-Aires, il n'est pas rare de voir taggué sur les façades des banques les mots « voleurs » ou « arnaqueurs », en souvenir de la manière dont entre 2001 et 2002, les épargnants ont été spoliés. D'abord en limitant le montant des retraits autorisés puis en convertissant de manière unilatérale et sans crier gare les avoirs détenus sur des comptes en dollars. Enfin le peso avait été dévalué de 28% par un autre Péroniste, Eduardo Duhalde; avant de décamper de la Casa Rosada en hélicoptère pour éviter le lynchage. Les banques ne s'embêtent même pas à effacer les graffiti. Elles savent que des mains rageuses retourneraient la nuit suivante avec les bombes de peinture.
Le passé ne passe pas et le prix des matières premières baisse de manière vertigineuse. Dans ce contexte intervient la déclaration de la Présidente de nationaliser dix fonds de pension : créés en 1994 par Menem, en pleine euphorie ultralibérale, du temps où le peso était arrimé au dollar et donc surévalué, avec un taux de 1 pour 1, les fonds de pension argentins ont attiré trois millions de cotisants.
Il y a deux manières de financer les retraites. Soit les cotisants d'aujourd'hui payent les pensions des retraités d'aujourd'hui et les cotisants de demain payent les retraites des cotisants d'aujourd'hui : c'est le système de retraite par répartition. Soit les cotisants d'aujourd'hui investissent leur argent et au moment où ils prendront leur retraite, ils le retireront avec une sortie en capital ou sous forme de rente; c'est le système de retraite par capitalisation. La France et les Etats-Unis ont des systèmes mixtes, avec une part obligatoire et une part facultative. Dans beaucoup de pays émergents, les gens ne sont pas obligés de cotiser et s'ils choisissent de le faire, c'est souvent dans des fonds de pension.
En Argentine, les économies des trois millions de cotisants avaient permis de recréer un marché local des capitaux. En effet, depuis la cessation de paiement de 2001 et jusqu'à ce qu'elle rembourse ses dettes, l' Argentine a été mise au ban par les prêteurs internationaux, y compris le FMI.
Il y aurait beaucoup à dire sur la manière inique dont les banques occidentales ont laissé les dirigeants successifs, à commencer par la Junte militaire (1976-1983), hypothéquer le futur en laissant s'emballer la dette. Mais comme disent les Arabes, Lifête mête : le passé est mort.
En tous les cas, les investisseurs institutionnels avaient injecté l'argent récolté dans des bons du Trésor (55%) et dans la Bourse (11%) qui avait prospéré ces dernières années avec des retours sur investissement de l'ordre de 13% par an. Seulement voilà, cette année les fonds de pension ont perdu 40% ; ce qui fait dire à la Présidente que «l'argent des retraites est aux mains des spéculateurs».
Mme Kirchner avance qu'elle prend des mesures conservatoires dans le même esprit que les gouvernements américain et européens qui viennent de nationaliser des banques.
La poule aux œufs d'or a trente milliards de dollars d'actifs et recevait 5 milliards de cotisations annuelles. En nationalisant les avoirs, le gouvernement s'évite de devoir rémunérer les bons du Trésor qui étaient à l'actif des « zinzins » et récupère pas mal de cash, environ 30% du total, soit 10 milliards de dollars.
Dix milliards c'est la moitié de la somme que l'Argentine doit rembourser à ses créanciers l'année prochaine. Sinon, comme le lui a rappelé le FMI la semaine dernière, gare! Si l'Argentine n'avait pas un tel passé de mauvais payeur, elle pourrait refinancer cette dette auprès de banques occidentales. Mais le Club de Paris, qui représente les créanciers floués en 2001 n' est plus prêteur.
Du coup, afin de ne pas rater l'échéance et de pouvoir réintégrer le concert du capital mondial, le gouvernement vient de faire main basse sur 30 milliards de dollars d'épargne privée; de manière unilatérale et sans crier gare. Forcément, ça rappelle des souvenirs.
L'autre moitié de la somme due devra être levée grâce aux réserves de change et aux droits de douane, en espérant que les prix des matières premières ne continue pas de baisser. Si le cash sert à payer la dette, il ne servira plus à financer l'économie locale. C'est ce que l' on appelle l'effet d'éviction. Ce n'est pas tant que le temple des spéculateurs tremble (le Merval perdait aujourd'hui 11%), c'est surtout qu'après une décennie de pillage et de destruction, la possibilité de réindustrialiser le pays s'éloigne, faute d'investissements. Sans confiance, sans sécurité juridique, aucune décision intertemporelle n' est possible. On navigue à vue et on n' émerge pas du sous-développement, en fait on y va droit devant.
Evita pleure du haut de son balcon. Les spéculateurs du Chicago Mercantile Exchange sortent leur parapluie.
Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire