Quand j’ ai reconnu la roseraie de la Maison Blanche sur l’ écran de Wall Street TV, je suis devenue très inquiète. Ce matin, le Dow Jones était en hausse de 400 points. C’est va-t-y pas que Bush commence à parler et tout le monde se remet à vendre. Il y avait deux pupitres, comme la nuit précédente sur la chaîne du Maire. (Le Maire de New York, M.Bloomberg a sa chaine d’ informations financières, la chaine 130, à ne pas confondre avec Wall Street TV qui se trouve sur le canal 58). Le chef du gouvernement britannique, Gordon Brown et son ministre des Finances Alistair Darling donnaient une conférence de presse pour expliquer en détail leur plan de stabilisation du système financier. Enfin, des dirigeants qui dirigent ! L’intelligence des réponses des deux Britanniques paraissait d’autant plus étincelante qu’elle contraste avec le locataire en partance du 1600 Pennsylvania Ave.
Arrive le locataire. La caméra se braque sur l’autre pupitre. Tiens, Berlusconi? Le locataire lui souhaite la bienvenue. Il continue: Christophe Colomb avait trois bateaux, la Niña, la Pinta et la Santa-Maria… La régie rend l’antenne. Sur Wall Street TV, même pendant la pub, vous pouvez encore voir les indices s’afficher sur le bord supérieur de votre écran. Ouf, on l’a échappé belle!
L’Italien avait atteint les côtes des Bahamas un 12 octobre. La Bourse de New York est ouverte, même si les banques sont fermées pour cause de Columbus Day qui tombe un dimanche. Dans toute l’Amérique Latine, on fête ce jour sous différents noms plus ou moins anticolonialistes. En Espagne, il s’appelle Día de la Hispanidad. Aujourd’hui, c’est aussi le Thanksgiving canadien. Ils remercient Dieu, pas les Indiens, de les avoir nourris lors des premiers hivers rigoureux. Alors quoi, la Bourse de New York remonte de 940 points, Londres clôture à + 8,26%, Paris à +11% et je sors l’ eau gazeuse?
D’abord les raisons de la prudence, ensuite les raisons d’espérer.
Le volume des opérations aujourd’hui était faible : 1,22 milliards de titres échangés. Est-ce parce que la moitié des traders étaient partis guindailler avec des gnochis arrosés d’Asti à Mulberry Street ? Ou plutôt n’est-ce pas qu’on va tremper juste un orteil maintenant que l’eau ne vous rentre plus par le nez?
Morgan Stanley qui, vous vous en souvenez, avait clôturé à 9,68$ vendredi, est remonté de 86% (!) en une seule séance. A présent que le short selling n’ a plus de secret pour vous, vous comprenez ce qui s’est passé : mercredi soir à minuit, l’interdiction de la vente à découvert expire. Jeudi, les short sellers font leur raid pariant sur un effondrement du titre. Ça va de mal en pis. 22, 18, 15… Arrive le week-end, temps mort ! On est lundi, le troisième jour du trade, celui où il faut couvrir ses positions. Là, c’est Panique City chez les spéculateurs qui avaient pris des positions courtes (vendeuses). Mitsubishi Financial va acquérir 21% de Morgan Stanley, ce qui fait redescendre son niveau de leverage de 24 à 20 fois les fonds propres.
Maintenant que la pérennité de l’entreprise n’est plus en cause parce que Mitsubishi Financial a les reins solides, et comme Morgan Stanley était clairement sous-évaluée, nous assistons au rally, la horde de traders qui courent pour acheter le plus possible d’actions afin de se couvrir en ce troisième et dernier jour du trade. Le prix remonte à 18,10 dollars. Si vous aviez shorté Morgan Stanley, jeudi, vous venez de perdre 3 dollars par action.
Avec un volume faible, les spéculateurs peuvent jouer au yoyo : ils prennent leurs bénéfices quand cela remonte, puis ils shortent d’autres entreprises et regagnent de l’argent. Puis rally puis prise de bénéfice. Avec un plus gros volume, c’est plus difficile car plus coûteux.
Autre exemple qui incite à la prudence. Il est midi et demi à la Bourse de Paris. Les Européens ont enfin réussi à s’entendre, c’est un conte de fées, le CAC 40 remonte de plus de 10%. Tout à coup, la rumeur court que la Société Générale a perdu beaucoup d’argent, non à cause d’un autre Kerviel mais dans l’immobilier et qu’il va falloir la recapitaliser. En moins d’une heure, l’action perd 20% de sa valeur. Les dirigeants démentent, mais, démentez, démentez, il en reste toujours quelque chose. Un jour où la Bourse grimpe de presque 12%, l’action termine en baisse de 2%. Pourquoi la rumeur a-t-elle pris ? Parce que la transparence des banques est devenue un oxymore, comme des gâteaux pour maigrir ou un programme pédagogique sur TF1.
Enfin, nous sommes en plein désarmement de la dette par les hedge funds. Et là, les sommes sont colossales. Mais les raisons d’ espérer sont en train de se mettre en place.
Ce week-end, les Européens sont tombés d’accord sur un plan de stabilisation. Le mérite politique est partagé par Jean-Claude Trichet, le Président de la Banque centrale européenne, Sarkozy, chef de la Présidence tournante de l’ UE et par Gordon Brown, dont le plan est le brainchild (=le fils de son cerveau) comme disent joliment les Anglo-Saxons. Il s’agit de recapitaliser les banques qui ont subi des pertes, non seulement à cause des subprimes américaines mais aussi de leur bulle spéculative nationale. Les gouvernements achèteront des actions avec leurs gros chèques. Ils s’engagent aussi à garantir les prêts interbancaires et à injecter des liquidités afin de desserrer l’étau du credit crunch. Enfin, s’il est vrai que chacun va payer ses pots cassés, les pays s’engagent à coordonner leurs actions de manière étroite.
Le principal mérite et la principale différence du plan Gordon sur le plan Paulson, c’est de recapitaliser les banques tout de suite. Oui, le gouvernement devient actionnaire, ce qui était dur à avaler pour Paulson, chantre du libéralisme et ancien PDG de la banque d’investissement Goldman Sachs. Mais ceci se traduira par des injections de capital en échange de preferred stocks qui vous donnent un rang plus élevé pour toucher des dividendes mais pas de droit de vote. Comme disait hier Gordon Brown sur la Télé du Maire, « We are not in the business of running banks, we are in the business of stabilizing the economy » (=notre but n’est pas de nous retrouver à gérer des banques mais de stabiliser l’économie). Donc notre triomphalisme idéologique doit être tempéré par une grosse dose de pragmatisme.
Le plan aussi organise une segmentation dans le secteur bancaire britannique; avec d’une part des institutions comme Royal Bank of Scotland, la Lloyds, HBOS et Northern Rock qui seront là pour faire du «service public bancaire» c’est-à-dire faciliter le crédit aux entreprises et aux ménages, mais dont les marges de rentabilité et la compétitivité seront modestes. De l’autre, la Barclays, HSBC, et Standard Chartered vont avoir les mains libres pour lever d’importants capitaux sur les marchés et repartir à la conquête du monde.
En ce 13 octobre, je ne boude pas mon plaisir à partager avec vous la nouvelle de la nomination au Prix Nobel d’économie de Paul Krugman. J’ ai étudié le commerce international sur son manuel ; clair, magnifique et traduit de l’anglais par un éditeur belge qui le vendait à prix d’ or. La version anglaise reliée coûtait 20 livres à l’époque. La traduction chez Boek coûtait 70 euros. J’ai toujours pensé que c’ était la meilleure illustration que le libre-échange est supérieur au protectionnisme.
Paul Krugman, Amartya Sen, Mohammed Yunnus et Kahneman étaient mes héros personnels quand j’essayais de résister au simplisme et à la pollution mentale des Baker et autre Milton Friedman. Aujourd’hui je suis contente pour lui.
Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved
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