J’étais partie me coucher en laissant les bourses de minuit à leur déconfiture. Ce matin, j’allume Wall Street TV : Londres , Francfort, Amsterdam, Zurich, Paris à -7,73%… je fais mon tour de la Bérézina. Hong-Kong, Bombay, Sidney -8,3%, Singapour -8%, Séoul- 4,1 %, Tokyo -9,6%. Tout va bien, Madame la Marquise. Sur le bord supérieur de mon écran, en lettres oranges le Dow Jones perd 600 points. Je mets le son. C’ est la chute libre depuis l’ ouverture. Nous sommes en-dessous des 8.000 points. Je laisse le Dow Jones à son triste sort et je vais me laver les dents.
Quand je reviens, les traders sont en train d’applaudir. Je ne m’habituerai jamais au rituel qui veut qu’à la fin de chaque séance, on entende la cloche et que tout le monde frappe dans ses mains. Surtout les jours où le marché s’écroule… C’est encore plus bizarre au Nasdaq, la bourse des valeurs technologiques car c’est un marché virtuel. Il n’ y a pas de corbeille, juste une vitrine sur Times Square. Pourtant à 16 heures, tous les jours, les gens applaudissent leurs ordinateurs. Mais bon, là il est 6h40 du matin, 9h40 à New York, pourquoi est-ce qu’ils applaudissent ? Je mords ma brosse à dents. Je refixe mon écran et je vois en jolis chiffres oranges :+20. La flèche est verte et elle pointe vers le haut.
La volatilité est la mesure d’un état d’ instabilité. La Bourse de Chicago des produits dérivés offre un instrument de couverture contre ce type de risque. En achetant une option, on acquiert le droit mais pas l’obligation de faire quelque chose à une certaine date. Si vient le besoin, on s’en sert. Sinon, elle expire et tant pis. Le marché sur lequel s’ achètent et se vendent les options est une sorte de miroir dans lequel la Bourse projette son avenir.
Sur ce marché des futures, il existe un indice des turbulences. C’est le VIX ; en quelque sorte le thermomètre de la peur. Il reflète l’instabilité anticipée par les agents sur les titres des 500 entreprises du S&P 500 (Vous vous souvenez, M.Poor…).
Allons poser nos brosses à dents, vous êtes réveillés ?
Il y a deux types d’ options. Les puts et les calls. Désolée mais la langue officielle de cette église est l’anglais.
Un put c’est quand vous avez le droit mais pas l’obligation de vendre une action à un certain prix. Cela veut dire que quelque part, quelqu’un a l’obligation de vous acheter l’action, au prix d’exercice, si vous décidez de vous en débarrasser.
Un call c’est quand vous avez le droit mais pas l’obligation d’acheter une action à un prix d’exercice. Encore une fois, quelqu’un s’engage en retour à vous vendre l’action au prix déterminé, si vous en avez besoin.
On ne panique pas, vous allez voir, je ne ferai pas de vous un trader, mais vous serez un citoyen informé.
Une autre chose très importante à comprendre c’est que, quand vous achetez une action, le maximum que vous pouvez perdre c’est le prix que vous avez payé. Cela arrive quand l’entreprise fait faillite.
Quand vous jouez avec les options, c’est très différent. Pas pour vous, puisque vous êtes l’investisseur qui détient l’ option mais pas l’obligation. Vous, au maximum, vous pouvez perdre le prix d’achat de l’option. En revanche, la personne à l’autre bout de la transaction assume le risque d’ une perte potentielle qui tend vers l’infini. A la date prévue, elle devra vous fournir l’action ou vous la racheter, selon le cas, quel que soit le cours du marché. Elle peut donc gagner mais aussi perdre beaucoup, beaucoup plus que le prix que vous avez payé. Vous multipliez ce risque par 500 titres et des millions d’actions et vous êtes le bienvenu à Las Vegas.
Dans des circonstances normales, la variation du cours d’une action est relativement lente et faible. Une option me coûtera un prix modique.
A l’heure actuelle, l’avenir est sombre et il s’obscurcit de minute en minute. Alors, mettons que je sois très inquiète quant à l’avenir de Morgan Stanley. On est lundi, le cours est à 22 $. Je vais essayer de me protéger en achetant une option call; avec un prix d’exercice supérieur et aussi élevé que possible par rapport au cours baissier que je crains dans le futur.
Celui qui va s’engager à me couvrir au prix que je désire est là pour faire un bénéfice aussi et il a les mêmes informations que moi. Par des temps de panique, le coût de cette option s’accroît et tend vers le prix auquel je désire m’assurer. Le coût de l’ option dans mon exemple frôlera les 22 dollars.
Plus le coût de l’ option augmente, plus la volatilité s’accroît, ce que reflète une hausse du VIX car cela veut dire que l’action va baisser et au bout d’un moment elle redeviendra une bonne affaire. Donc des gens vont se précipiter pour l’acheter. A ce moment-là, ceux qui sont à l’autre bout des calls (obligation de vendre) vont perdre de l’argent. Du coup, eux-mêmes se retrouvent exposés au risque de volatilité et doivent se protéger en essayant de vendre ou d’inciter les autres à vendre, parfois à l’ aide de fausses rumeurs.
On peut jouer au yo-yo toute la journée. L’appât du gain et la peur sont l’accélérateur et le frein dans le cerveau d’ un trader.
Ces jours-ci, la crise boursière est devenue tellement sévère qu’ on est passé de la peur de la baisse à la peur de la ruine. General Motors et Ford vont peut-être devoir fusionner. Wells Fargo a mangé la banque Wachovia. Morgan Stanley survivra-t-il ? Ou se fera-t-il absorber ?
Le VIX est un thermomètre de la peur et depuis le début de la semaine, il caracole au-dessus de 60, là où en temps normal il oscille entre 20 et 30. Aujourd’hui, il avait atteint 74. Ainsi en l’espace d’une séance, on a dégringolé de 700 points, on est remonté à +20, Bush a pris la parole et on est redescendu à -200 pour s’ écrouler à -500. On y reste. On déguste. Puis tout se joue dans la dernière heure de trading. Les courtiers doivent couvrir leurs positions, comme dans un jeu de chaises musicales.
Il est 16h, tout le monde frappe bien fort dans ses mains. Après deux Everest et un Kilimandjaro, le Dow Jones, à -128, flotte sur un polder. L’action Morgan Stanley, elle clôture à 9,68 dollars. Si seulement j’avais pu m’assurer, mais vous l’avez bien compris : quand il y a beaucoup de volatilité, le prix de l’assurance devient prohibitif.
Il faudra attendre la semaine prochaine pour savoir si la vente en chute libre de ce matin était le dernier stop avant de s’écraser. Si lundi la Bourse remonte et reste dans le vert, nous aurons assisté aujourd’hui à une capitulation dans les règles. Sinon, eh bien, tout est à recommencer.
Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved
vendredi 10 octobre 2008
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