«La crise ? Demandez à Bush, c'est la sienne, pas la mienne!» Selon le président Lula, les effets du tsunami devaient être «quasi imperceptibles» au Brésil. Le 24 septembre, il accusait à Sao Paulo, «le casino du système financier international où certains ont joué à la roulette et perdu.» Mais il se voulait rassurant: «Nous ne permettrons pas que le Brésil soit victime de ces jeux de hasard». Il est vrai que les exportations vers les Etats-Unis ne représentent que 2,5% du PIB brésilien contre 25% du PIB du Mexique. Pourtant les digues ont lâché.
Les gérants de portefeuille américains avaient investi au Brésil avec de l'argent emprunté sur la base des avoirs qu'ils détenaient aux Etats-Unis. C'est ce qu'on appelle faire des achats sur marge. Ce mécanisme, B.A-ba du banquier d'affaires vous permet de démultiplier la force de frappe de votre argent en utilisant l'effet de levier.
Toutefois, si les avoirs qui servent de garantie se déprécient, par exemple parce que vous aviez donné des titres adossés aux subprimes ou des actions dont le cours a beaucoup baissé, un jour vous recevrez un coup de fil. Lors d'un margin call ou appel de marge, le courtier exige que vous remettiez plus de garanties dans la balance ou de tout liquider. La combinaison des margin calls et des rédemptions de la part de vos riches clients, si vous êtes un fonds spéculatif, ou de vos petits épargnants si vous êtes une caisse de retraite, tous très inquiets, sonne la fin de la partie. Adieu, veau, tourelles, biches et perdrix, il faut vendre et rentrer bredouille.
En trois semaines, trois milliards de dollars sont sortis du pays et le real a perdu 25% de sa valeur. Mais il est important de comprendre que la sortie de capitaux est totalement déconnectée des fondamentaux de l'économie, ici, brésilienne. Les indicateurs fondamentaux du Brésil sont sains: la croissance tourne autour de 5-6% par an. Le chômage est autour de 10-11% avec une importante économie informelle. La dette publique s'élève à 35% du PIB, soit moitié moins que celle de la France. Et l'inflation est très sévèrement combattue par le Président de la Banque Centrale, M.Meirelles qui a accédé au poste en même temps que Lula, ex-tourneur, ex-syndicaliste, arrivait au Palais de Alvorada, le palais de l'aube.
Entre 1980 et 1994, les prix augmentaient de plus de 100% par an; le Brésil a même connu un abcès d'hyperinflation (+2000%) au début des années 1990. Quand M.Meirelles est arrivé, l'inflation caracolait à 12,5% et les taux d' intérêts à 25%. Il a immédiatement relevé les taux à 26,5% ce qui a provoqué un tollé. On l'accusait d'étouffer la croissance. Le gouvernement l'a laissé faire et avec beaucoup de maestria, il a réussi à ramener l'inflation à 2,96% en 2007.
Les taux d'intérêt bon marché ont permis l'essor de la consommation. La demande intérieure progressait à un rythme de 8,5% par an. A nous, frigidaires, jolis scooters, atomixers et feijoada! En juin, le pays a atteint les 100 millions de cartes de crédit, pour une population de 190 millions, une hausse de 17% par rapport à 2007. Mais la production nationale, elle, n'a crû que de 5% en 2007. Même au maximum de l'utilisation des capacités de production, le taux d'investissement national est trop faible par rapport à la taille de la population. On dit que la croissance bute sur la frontière de production.
Le Brésil est le premier exportateur au monde de viande de bœuf, d'acier, d'éthanol Et il importe des biens manufacturés. Ce déséquilibre cause un déficit de la balance commerciale et crée des tensions inflationnistes; pas plus de 5%! crie le banquier central.
Enfin, pour le moment, le faucon Meirelles a d'autres problèmes. La plupart des entreprises brésiliennes n'avait pas anticipé la remontée du cours du dollar. Elles avaient donc emprunté en devise américaine alors qu'elles sont payées en monnaies locales, peso, euro, ou yuan. La perte de change rend la raréfaction des dollars encore plus dramatique. Ainsi, prise à revers, la chaine de magasins mexicaine Controladora Comercial Mexicana SAB vient de faire faillite.
Pour éviter que cela n'arrive chez lui, Meirelles après avoir injecté des liquidités depuis fin août, a mis le paquet hier en annonçant 50 milliards de dollars sous forme d'échange de devises avec d'autres banques centrales. Il s'agit de défendre la valeur externe de la monnaie et de répondre aux besoins de dollars des entreprises étranglées par le credit crunch.
Dans l'espoir d'attirer des capitaux étrangers ou de freiner leur départ, le ministre des finances a aussi supprimé la taxe IOF de 1,5% sur les entrées de capitaux étrangers et de 0,38% sur les prêts libellés en devises; l'Imposto Sobre Operacoes Financeiras était une sorte de taxe Tobin nationale, du nom du prix Nobel d'économie qui en 1972 avait imaginé un impôt de faible montant qui tuerait la spéculation en taxant les mouvements du capital sans toutefois les dissuader.
Les banques publiques ont aussi été autorisées à venir au secours des concurrentes privées plus faibles et à les absorber.
A l'instar du Pérou et du Chili et à la grande différence de l'Argentine, le pays a réussi à se débarrasser du boulet de la dette extérieure. Il est devenu créditeur net par rapport au reste du monde. Son bas de laine se monte à plus de 200 milliards de dollars de réserves de change.
Pourtant en deux mois, le real a perdu un tiers de sa valeur. Une ritournelle diabolique résonne dans la tuyauterie du capital international. Elle rime comme une comptine mais elle déchire comme un scalpel le tissu économique brésilien: «High yield is no shield against deleveraging» (=les hauts rendements ne protègent plus contre le désarmement de la dette.
C'est d'autant plus injuste que le Brésil s'était tenu à l'écart des investissements pourris américains et que Lula, réélu avec 60 % des voix en 2006, a vraiment appliqué la philosophie du «trickle-up economics» (faire dégouliner la richesse de bas en haut).
En 2002, il avait promis de respecter ses engagements auprès du FMI et donner des terres à 400.000 familles pauvres avant 2006. Il a tenu parole. Tandis que les revenus des 10% de Brésiliens les plus riches ont augmenté de 7% entre 2001 et 2006, ceux des 10% les plus pauvres ont crû de 58%. Les sommes allouées aux programmes sociaux sont quatre fois plus importantes en termes de PIB qu'au Mexique qui a pourtant une population presque deux fois moindre. Le nombre de Brésiliens dont la fortune liquide est supérieure à 1 million de dollars a fait un saut de 19% l'année dernière, classant le pays au troisième rang derrière la Chine et l'Inde au palmarès des nouveaux millionnaires. Les banques nationalisées octroient de nombreux micro-prêts à des centaines de milliers de personnes. La Bolsa Familia accorde de petites aides à 45 millions de Brésiliens pauvres pour les aider à acheter de la nourriture et couvrir leurs besoins fondamentaux. Avec un budget de 5,6 milliards de dollars elle a été l'instrument le plus efficace, en sus de la loi sur le salaire minimum, pour élever les gens au-dessus du seuil de pauvreté; qui se mesure au Brésil par un revenu mensuel inférieur à 80 dollars. A la différence de l' Argentine, ici, une classe moyenne existe et consomme.
Alan Greenspan et Dick Fuld, le PDG de Lehman Brothers font trois petits tours et puis s'en vont. L' Amérique latine pose un garrot sur ses veines tailladées.
Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved
samedi 25 octobre 2008
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