samedi 18 octobre 2008

Chronique n°20 de la capillarité en matière de richesse

Ça va nettement mieux! Vous n’ aviez pas remarqué? Le Dow Jones termine sa meilleure semaine depuis 1982, en progression de 9%. La belle affaire, me direz-vous : en 1982, les Etats-Unis pataugeaient dans un marasme économique; ce qui prouve qu’ il faut avoir une saine méfiance des pourcentages.

Fermons nos calculatrices et ouvrons les yeux; je n’ ai pas dit ouvrez vos télés.

Je ne fais pas mes courses chez Wal-Mart, les barbares de la grande consommation. Là où ils passent, plus rien ne repousse. Mais chez Trader Joe’s, le Leader Price du bio, les caddies sont moins pleins et les gens viennent avec des listes. Sur Grant street, la rutilante boutique Gucci est vide. Personne ne pousse la porte chez Hermès. Tory Burch se morfond dans la ruelle chic de Maiden Lane. Je passe devant mon ancienne galerie. Je reconnais les tableaux en vitrine; ils faisaient déjà partie du stock, pardon de la collection, avant mon départ en juin. Ah, là il y a une dame avec des sacs de Loehman’s, le Tati des marques.

Robert Reich, l’ancien ministre du Travail de Clinton et conseiller du candidat Barack Obama résume la philosophie économique des années Bush d’une formule : « Trickle-down economics »(=faîtes dégouliner la richesse). Cétait déjà la bonne vieille idée des Reaganomics (=l’économie de l’ère Reagan inspirée par Milton Friedman et l’école de Chicago). Rendez les riches encore plus riches, ils consommeront des biens et services. Cela donnera du travail à une armée; la richesse dégoulinera le long de l’ échelle sociale.

Mon monde petit-bourgeois et celui de l’autre Amérique, celle qui se lève tôt et n’a pas d’assurance santé, se croisent chez l’esthéticienne. Sonia est Brésilienne. Elle habite aux Etats-Unis depuis une trentaine d’ années. Elle élève seule ses deux filles; la plus jeune a 15 ans. Avec beaucoup d’efforts, en 2003, elle a réussi à s’acheter un petit pavillon à Richmond, une banlieue bien bariolée et qui fait toujours la une des medias quand il y a des problèmes, et il y en a tout le temps. Richmond c’est un peu le Creil de la région de la Baie. Pendant qu’elle souffle sur la cire, je lui demande si elle a réussi à refinancer son prêt à taux variable. Malheureusement Bank of America n’a pas accepté. De trimestre en trimestre, ses mensualités continuent de monter et ses revenus de baisser. Cet effet de ciseaux lui coupe le sommeil.

Le Libor, le taux auquel les banques se prêtent entre elles est un acronyme pour London InterBank Offered Rate. Il est publié tous les jours à 11h00 par la Banque Centrale d’Angleterre. Il existe un Libor au jour le jour, un Libor à un mois, un Libor à trois mois. Il existe des Libor en dollars, des Libor en euros. Tous les titulaires de prêts hypothécaires à taux variable entretiennent des rapports intimes avec le Libor, comme Monsieur Jourdain avec la prose. A cause du credit crunch, les taux du Libor ont beaucoup augmenté. Le taux à 3 mois se situe aujourd’hui à 4,6% contre 2,88%, le 17 septembre. Certes, la baisse du taux au jour le jour montre une lueur de progrès. Il avait atteint 6,88% le 3 octobre et frôlait encore 5,09% le 9. Vendredi, il clôturait à 1,67%, son niveau le plus bas depuis septembre 2004. Mais les emprunts à taux variable sont arrimés au Libor à trois mois. En attendant, Sonia va faire comme ses voisins et mettre sa maison en vente.

Robert Reich propose une nouvelle philosophie économique après le 4 novembre : il l’appelle le trickle-up economics. Elle consiste à récrire les lois de l’apesanteur économique. Si l’Amérique qui se lève tôt et qui n’a pas d’assurance santé avait une assurance santé et de meilleurs salaires, si l’Amérique qui se lève tôt payait moins d’impôts et si celle qui dégouline d’argent en payait un peu plus, la richesse remonterait des bas-fonds vers le ciel. Ce n’est pas en appauvrissant les riches qu’on enrichira les pauvres? Dans le programme électoral de Barack Obama, 95% des électeurs ne connaîtront pas de hausse d’impôt. Aux foyers fiscaux qui gagnent plus de 250.000 dollars par an, il dit « spread the wealth » (=partagez la richesse). Les riches n’en seront pas bien pauvres. Et la classe moyenne pourra dormir la nuit, avec son bouclier sous le polochon.

Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved

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