dimanche 26 octobre 2008

Chronique n°26 Tout ce que vous vouliez savoir sur les subprimes sans oser le demander

Si vous avez raté les quinze premières minutes, vous vous demandez pourquoi les personnages sont accrochés à un radeau, ils dérivent loin de la lagune et crient dans une langue inconnue « subprime, subprime ! ». Plutôt que de rembobiner la cassette, je vous invite à manger une salade.

L'entrée du restaurant est flanquée de colonnes doriques. On lit sur le fronton : «Put your mouth where your money was» (=mettez votre bouche là où avant vous mettiez votre argent). Au Ventre du banquier, il faut attendre quand on n'a pas de réservation.

Un banquier avait pris tous ses emprunts immobiliers et les avait déchirés avec les doigts pour en faire une grande salade. Dedans vous aviez de la laitue, de la roquette, de la romaine, des feuilles d'épinards. Quand il eut fini de tout mélanger, les morceaux étaient devenus tellement petits qu' on avait du mal à les reconnaître. Ensuite, il a servi dans des verrines. Les clients ont adoré. Le monde entier en voulait. Il y avait la queue devant son établissement, pire que chez Berthillon sur l'Ile Saint-Louis.

Les autres banquiers se sont dit «Eh, quelle est sa recette? Copions-la!». Toute la finance se mit à faire des grandes salades, à les déchirer en tous petits morceaux et à les servir à la haute populace affamée.

Un jour, une dépêche Reuters tombe : certaines des feuilles sont souillées par un colibacille indétectable et radiorésistant. Vous en mangez, c' est fichu, vous mourez.

Alors tous les banquiers de la terre n'ont plus voulu toucher aux bols de salade. Les champs de laitue, de roquette, de romaine ou d'épinards se mirent à pourrir sur pied. Plus personne ne voulait les récolter; même avec des gants. De toutes les façons, les clients feraient la grève de la salade.

Le colibacille c'est le prêt immobilier subprime, fait à des gens qui clairement ne pouvaient pas rembourser. Le bol de salade c'est le ballot de prêts. Le geste de les déchirer puis de les servir en verrine c'est ce qu' on appelle la titrisation.

La serveuse nous précède. La salle est pavée de marbre multicolore. Les fenêtres ovales ramènent la lumière. Elle se faufile entre les tables et nous désigne celle dans l'angle. Le coffre-fort a été transformé en cuisines. Elle attend pour nous présenter les menus. Tandis que vous me demandez de traduire certains termes, je vous raconte que mes salades, je les tiens de la meilleure émission de la télévision américaine: Charlie Rose sur PBS, tous les jours de minuit à une heure du matin. Cette émission est tellement célèbre qu' elle est reprise dans les films. Un exemple récent: Elegie avec Pénélope Cruz dans une mise en scène d'Isabel Coixet; le professeur, un intellectuel renommé, y est interviewé par un faux Charlie Rose. Jeudi soir, le vrai Charlie Rose avait invité David Smick, l' auteur d' un livre au titre à la noix, The World is curved, qui vient de sortir. C'est la meilleure explication en langage accessible que j' aie entendu sur la genèse de la crise; et si vous parlez anglais, je vous invite à écouter l'entretien intégral:

http://www.charlierose.com/shows/2008/10/23/2/a-conversation-with-david-smick

Mais tandis que nous attaquons la salade, je me mets à vous décortiquer le rêve américain: la maison individuelle manucurée, dans une banlieue sans trottoir que les méchantes langues appellent Suburbia, comme si en sortant de la ville, vous vous rendiez à l'étranger. Les trois garages, la family room, et toutes les autres rooms dont vous n' avez jamais entendu le concept : le den (pièce du père de famille, littéralement la tanière), l'entertainment room (la salle télé), la library (la bibliothèque), tapissée de fausses reliures.

Aux Etats-Unis, 75,5 millions de ménages habitent dans leur maison et en sont propriétaires. Avec la baisse des prix de l'immobilier, qui dans certaines zones peut atteindre 30%, 12 millions de ménages soit 16%, se retrouvent à devoir à la banque plus que ce que ne vaut leur maison. En 2006, ce chiffre était de 4%. En 2007, il s' élevait à 6%. Parmi les gens qui ont acheté ces cinq dernières années, 29% sont dans cette situation.

Au 30 juin 2008, 9,16% des prêts immobiliers portant sur une à quatre habitations étaient en retard de paiement ou avaient atteint la phase de saisie. En 2007, ce chiffre s' élevait à 6,52%, un record depuis quarante ans. La plupart des emprunts aujourd'hui en souffrance ont été octroyés entre 2006 et 2007, au moment où le gouvernement Bush a fait pression parce qu'il voulait une nation de petits propriétaires, mais sans la politique sociale du logement, pour que Fannie Mae et Freddie Mac acceptent de donner leur caution à des dossiers de moins en moins bons, tandis que les prix continuaient de grimper.

Il y avait plusieurs catégories d'emprunts : les conforming loans qui remplissaient toutes les conditions en termes d' apport personnel et de justificatifs de revenus et qui ne dépassaient pas 417.000$ (625.000$ dans les régions chères). Puis il y avait les non-conforming loans, qui pour une raison ou une autre ne remplissaient pas les critères. Soit le montant était supérieur au maximum garanti par Fannie Mae et Freddie Mac, ce sont alors des jumbo loans. Soit la personne ne pouvait pas fournir tous les justificatifs, on appelle ces prêts les Alt-A, (A comme Alternative). Le surnom que leur avait trouvé les banquiers est plus parlant : liar loans, les prêts des menteurs. Puis, il y avait les prêts accordés à des personnes aux revenus insuffisants, les subprimes pures et dures. Les prêts conformes et une grosse partie des prêts jumbos étaient des prêts sans histoire. Le colibacille s' est logé quelque part dans les Alt-A et dans les subprimes. Mais des mains inconscientes ont déchiré la salade.

Vous ne pouvez pas croire qu' on ait pu prêter à des gens qui ne pouvaient pas rembourser. C'est comme un prêtre qui se spécialiserait dans les gens qui n'ont pas d'âme. La liste des entourloupes est inextinguible; je n'en choisirai qu'une. Ils en faisaient la pub à la radio.

Voici comment marche un prêt à amortissement négatif (négative amortization) : vous achetez une maison par delà vos moyens. Les mensualités s' élèvent à 3000 $. Elle est spacieuse, elle est à vous, elle coûte 600.000$. 3.000$, c'est ce que vous gagnez avec les heures supplémentaires et la prime. Pas de problème. Vous allez rembourser 2.000$. 2.000$ par mois, vous allez bien vous débrouiller? Nous n'aurons qu'à louer la pièce à côté du garage. On vous accorde un prêt à taux variable. Alan Greenspan a beau maintenir l'argent bon marché, en fait, vous, votre taux est assez élevé parce que vous êtes considéré à risque. Ne réfléchissez pas, signez. De toute façon dans deux ans, vous pourrez restructurer le prêt. Vous signez, vous emménagez, vous êtes heureux comme tout. Enfin, vous aussi, vous vivez le rêve américain. Vous avez trois jobs et pas d' assurance santé mais tous les mois, religieusement, vous remboursez vos deux mille dollars.

Tous les trente jours, 1.000 dollars supplémentaires s' ajoutent au capital de la dette. Donc deux ans après, vous devez 624.000$. L'agent immobilier vous avait dit que la maison en vaudrait alors 800.000$. Sauf, que pas de chance, les banquiers font la grève de la salade, tous les champs sont en train de pourrir et plus personne ne veut financer la culture des feuilles vertes. Votre maison en Suburbie lointaine vaut maintenant 450.000$.

Mais j'en dois 624.000$ ! Pour vous, comme pour 12 millions d' Américains, le rêve est fini. Les 64 autres millions de ménages propriétaires apprennent les mauvaises nouvelles et ne sont pas concernés : 24 millions ont fini de payer leur maison et 40 continuent de rembourser et d'accumuler du capital.

La baisse des prix de l'immobilier a rendu le logement plus accessible mais le resserrement des critères des banques fait que peu de gens peuvent en profiter. En même temps, pourquoi acheter maintenant? Une majorité est convaincue que les prix vont continuer à baisser. Au jeu des mille dollars, leur Lucien Jeunesse demande comment stabiliser les prix de l'immobilier. Paul Krugman, mi rire, mi-sérieux, suggérait de faire baisser l'offre en détruisant des maisons. Le Républicain McCain propose que l'Etat rachète les maisons dépréciées en payant les banques plein tarif et en offrant des prêts au prix du marché aux emprunteurs étranglés. C' est la prime à l'irresponsabilité. Le candidat Barack Obama offre un moratoire et une renégociation au cas par cas.

Fromage ou macédoine ?

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