mardi 7 octobre 2008

Chronique n°10 Qui emprunte, qui prête, et comment?

«Il ne faut pas désespérer Billancourt !» aurait dit Sartre s’il avait regardé la conférence de presse de Ben Bernanke ce matin sur Wall Street TV. «Il faut vous entendre, les mecs» aurait ajouté son fantôme qui, quelques minutes auparavant, louchait encore sur la réunion des 27 ministres de l'économie et des finances de l’ UE, réunis au Luxembourg. Le Président de la Fed parle devant l’équivalent de l’ Association française des Banques et la Bourse passe de moins 130 points à moins 290 points. Les ministres européens se réunissent et continuent de décider que chacun peut se débrouiller très bien tout seul. Ils ne sont d’ accord que sur un point : aucune banque européenne ne fera faillite. Vous vous moquiez quand Rome était sous les eaux, savez-vous ce qui est arrivé à l’Atlantide ? Il est vrai qu’avec la principale place financière européenne, Londres, en dehors de la zone euro et un gouvernement allemand en pleine campagne électorale, la plongée sous-marine a de l’avenir en Mer du Nord.

Donc on bricole et on écope, du français : vider l’eau d’une embarcation.

Aux États-Unis, la Fed s’invente une quatrième mission, outre la politique monétaire, la surveillance des banques et son rôle de prêteur en dernier ressort. Puisque les banques ne se prêtent plus les unes aux autres et que les entreprises ne peuvent pas emprunter à court terme auprès des banques pour financer leurs besoins de trésorerie, la voici devenue prêteur en premier ressort. Qu’est ce que cela veut dire et comment en est-on arrivé là ?

En sciences économiques, on distingue trois marchés : le marché des biens et services, le marché du travail et le marché des capitaux. Le marché des capitaux (en anglais, financial market) est divisé entre le marché monétaire (money market) qui offre des financements à court terme (de un jour à deux ans) et le marché financier (capital market) qui permet de financer les projets à plus long terme.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles le marché monétaire est fréquenté par les agents économiques. Exemples : je suis une banque de détail, genre Bank of America ou BNP-Paribas, j’ai beaucoup de dépôts de mes clients, ce serait dommage qu’ils ne me rapportent rien.

Autre exemple, je suis une banque d’affaires, comme Merrill Lynch ou Smith Barney (maintenant je suis adossée à une banque généraliste, mais je fais toujours le même métier) et j’emprunte à court terme pour faire des investissements à long terme; c’est beaucoup moins cher que d’emprunter à long terme pour faire des investissements à long terme, ou à court terme, d’ailleurs.

Autre exemple : je suis l’État de Californie et mon budget est toujours voté avec trois mois de retard car mon Parlement est un vrai bazar. De toute façon, même quand ils s’entendent, entre le moment où le budget est adopté et le moment où les impôts arrivent dans les caisses, je suis toujours à court.

Dernier exemple : je suis le concessionnaire BMW de San Francisco, j’emprunte pour acheter les voitures et je rembourse, une fois que je les ai vendues.

En ce moment, le marché monétaire est asséché. Les détenteurs de liquidités préfèrent ne pas prêter par peur de ne pas être remboursés. Les agents qui ont besoin de se refinancer ne trouvent pas prêteur et sont étranglés. Juste un chiffre : environ 24 % de la dette des banques d’affaires doit être refinancée chaque jour (!!!) (ce qu’ en anglais on appelle overnight rollover). Si on se souvient qu’il y a un effet de levier, par lequel les banques empruntaient jusqu’à trente fois le montant de leurs fonds propres, on comprend que les sommes sont astronomiques et que les choses peuvent très vite mal tourner.

Vu la conjoncture mirifique, les détenteurs de liquidités fuient les actions et les obligations d’entreprises dont les cours baissent et dont la pérennité même devient sujette à caution. Ils se ruent vers les bons du Trésor, un placement sûr et hyper-liquide. Du coup, loi de l’ offre et de la demande, le taux auquel l’ Etat américain rémunère l’argent qu’il emprunte est au plus bas, presque rien : 0,29% à un mois, 0,85% à trois mois (contre 1.7% au 1er septembre).

En revanche, si vous devez absolument vous refinancer, le taux auquel les banques se prêtent entre elles, le Libor est à 3,94% pour un prêt à un mois et 4,14% pour un prêt à trois mois. (contre 6 ou 7% la semaine dernière, donc comme dirait Charlotte de Turckheim, «ça va nettement mieux»).

L’écart (le spread dans le langage des banquiers) entre les bons du Trésor et le Libor est un bon indicateur du manque de confiance et de l’incertitude des agents. Ils préfèrent du garanti à presque zéro % que du 4% avec risque.

Un autre indicateur de cette peur était le montant des avoirs déposés par les banques auprès de la Banque Centrale. En Europe, la BCE a injecté depuis dix jours une quantité de liquidités faramineuse, 120 milliards en un week-end et en même temps les banques ramenaient plus de 44 milliards d’euros en dépôts à son guichet.

Pour sortir de cette impasse, la Fed va donc prêter de l’ argent à court terme aux agents économiques. La banque centrale remplace les banques dans leur rôle de prêteur en premier ressort. L’une des raisons pour lesquelles les institutions financières ont montré des réticences à prêter, ces derniers temps, c’est parce que les garanties qu’on leur apportait, dans un mécanisme proche du Mont de Piété, étaient douteuses ou difficiles à vendre à cause du cercle vicieux du credit crunch; M.Bernanke, en banquier central et en professeur d’histoire économique spécialiste de la crise de 1929, vient de déclarer dans sa conférence de presse qu’à partir de maintenant, la Fed acceptera les effets de commerce à trois mois, avec ou sans contrepartie.

Aujourd’hui, Rome écope encore de moins 508 points. Sous 9.447 tonnes d’ eau salée, le couple Paulson Bernanke cherche toujours Némo.

Précision : Dans le 6ème volet, s’il n’ y a effectivement pas de sénateur américain de confession musulmane, Keith Ellison, élu du Minnesota, a prêté serment sur le Coran lors de son entrée en fonctions en 2006 à la Chambre des Représentants.



Chroniques du tsunami financier Gabrielle Durana All rights reserved

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